A Nordic sculptor
[**Johan-Tobias Sergel (1740-1814)*] fut le plus génial sculpteur suédois de tous les temps. Il appartenait à l’école néoclassique. Si son nom est peu connu en dehors des pays scandinaves et germaniques, il n’en va pas de même dans les pays du nord où il est admiré et révéré, où il est considéré comme un maître talentueux de l’art statuaire. Le musée de Stockholm conserve nombre de ses grands travaux dans une grande salle qui lui est uniquement consacrée.
Dès son enfance l’artiste, surdoué, sait qu’il sera sculpteur. Fils d’un décorateur, formé d’abord sur place avant de s’exiler à [**Paris*] où il approfondit ses capacités, il séjourne à[** Rome*] de 1767 à 1778. C’est là qu’il va devenir incontournable pour tous les amateurs faisant leur « grand tour »*, les Britanniques en premier lieu. C’est dans la ville éternelle qu’il crée de nombreux groupes en marbre qui lui apporteront gloire, reconnaissance et fortune. Toute sa vie, il préférera les sujets mythologiques aux autres.
Réprimandé par son roi, il accepte ( à contre-cœur) de revenir en [**Suède*], où des commandes importantes l’attendent. Il rentre en 1779 en s’arrêtant quelques temps à Paris, où il est reçu à l’académie et où il laisse une terre cuite du même sujet, aujourd’hui au Louvre. Nous en parlerons en fin d’article.
Son atelier sera un foyer actif de la réaction néoclassique dans le nord européen. Débordant d’énergie et d’idées, jamais il ne manquera de travail tellement son génie est en parfait accord avec son époque. Sa renommée ne connaîtra jamais la moindre éclipse. Sa formidable liberté inventive, à connotations sexuelles assumées, sera acceptée simplement et naturellement par la plus haute société aristocratique européenne, pourtant très fermée et peu encline à sortir des sentiers battus.
De face, une molle bacchante se laisse emporter par un centaure accroupi. Si le corps de la belle est bien lisse et bien rond d’aspect, de petites traces d’outils (des mirettes probablement )sont visibles sur la peau des cuisses et des fesses. L’avant-bras du monstre présente une surabondance de veines, tandis que sa main montre tous les détails des phalanges, des ongles, des os. La sensation de vie qui s’en dégage est d’une intensité nouvelle dans la sculpture du temps. Le travail d’exécution des cheveux, très raffiné, est d’une précision quasi chirurgicale : chaque élément du système pileux y paraît individualisé, posé harmonieusement dans l’espace qui lui est dévolu.
L’abdomen et le thorax de l’animal mythique sont repris à l’outil. Les muscles aux sillons ravinés sont d’un rendu parfait. L’idée du mouvement saute aux yeux du spectateur. La bête mythologique est saisie juste avant qu’elle ne se relève avec son butin dans les bras. Les pattes sont d’un réalisme inédit avec les sabots où ne manque pas le moindre poil, tandis que le corps apparaît bien potelé. L’expression des formes est d’une nervosité telle qu’elle oriente la direction de l’action vers l’avant et sur le côté, comme si une décharge électrique possédait le centaure. La queue et l’arrondi de l’arrière-train sont dans la mouvance de l’avant-train, comme inscrits dans une courbe de mouvement, due à l’impulsion donnée par la vitesse d’exécution de ce rapt consenti.
La base porteuse de l’œuvre est d’une pièce avec elle : on ne note aucun élément rapporté qui fragiliserait la charpente de la statue.
L’aspect enlevé, franc, souple et instantané de la sculpture, se voit encore mieux lorsque qu’on l’examine de l’arrière: il y a fusion entre le corps barbare de l’animal et la poitrine de la ménade.
Ces composants sont toujours plus sensibles dans une terre cuite qui est, généralement, une étape vers la réalisation finale en marbre. Cet état intermédiaire marque, systématiquement, le moment de la cristallisation de l’idée directrice. Laquelle sera développée et achevée dans le travail définitif sur le marbre.
On dit souvent que la terre cuite rend plus vivante l’œuvre que le marbre poli. C’est faux car terre cuite et marbre n’ont pas la même fonction. Ce qui est avéré c’est que le côté « premier jet » intéresse beaucoup notre temps. Alors que l’époque y prêtait moins d’attention.
Le fait de recevoir en tant qu’académicien agréé un artiste étranger était assez rare. C’est dire à quel point la réputation internationale de l’artiste l’avait précédé. Elle le précéda partout, sa vie durant.
* le grand tour : du milieu du seizième siècle jusque vers 1850 c’était le long voyage entrepris, à la fin de leurs études, par les jeunes aristocrates fortunés issus des grandes familles nobles européennes, en direction des terres de vieilles cultures accessibles à leur époque : l’Italie dans toutes ses variantes avec passage obligé à Rome, quelquefois la Grèce, la Turquie ou le Levant, surtout au dix-neuvième siècle, époque à laquelle se joignaient à eux amateurs d’art, collectionneurs et écrivains à la bourse bien garnie. Cette initiation au monde culturel, qui annonçait leur entrée dans la vie mondaine et intellectuelle, pouvait durer quelques années, souvent sous la direction d’un tuteur plus âgé.
Illustration de l’entête: modèle collection Courty
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WUKALI Article mis en ligne le 29/06/2019
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