A pertinent and witty essay about a billionaire and Croesus of the 17th and 18th century and a glimpse over contemporary blockades in France about economy
Constance dans la tradition. Près de trois siècles plus tard après **Jacques Coeur*] ( voir notre article « [Jacques Coeur aurait-il fait l’Ena ? »), un autre homme lui ressemblera comme un frère : [**Antoine Crozat*]; constance donc de l’intrusion de l’Etat dans le monde des affaires en France ( et inversement…(1))
L’homme est aujourd’hui totalement oublié, autant oublié que Jacques Coeur est célébré. Il ne reste de lui qu’un portrait relégué dans un coin perdu de Versailles. Et pourtant, et pourtant, l’homme fut, en son temps, puissant et célèbre, et surtout riche, très riche, peut-être l’homme le plus riche d’Europe, tellement riche qu’il pesait l’équivalent de trois fois la fortune de[** Bill Gates*] !!! C’est lui qui fit construire son hôtel particulier place Vendôme, qui est devenu aujourd’hui, après avoir été cédé à César Ritz, l’hôtel Ritz, et le palais de l’Elysée pour sa fille…
Mais comme Jacques Coeur, sa fortune viendra surtout, en plus de ses qualités d’intriguant rusé et sans scrupules, de son extraordinaire proximité avec le pouvoir et avec Louis XIV.
[**Une ambition dévorante*]
Originaire de Toulouse, fils d’un obscur ambitieux qui s’élèvera à la force du poignet jusqu’à devenir capitoule de Toulouse et financeur du Canal du Midi, il sera, à 34 ans, receveur général des finances de Bordeaux, une charge qui garantissait la richesse si on savait manoeuvrer sans scrupules; en plus de lever les impôts pour le compte du roi, les 21 receveurs des finances pouvaient vendre des charges, qu’on inventait à loisir, depuis la charge de « contrôleur des perruques » jusqu’à celle de « contrôleurs des porcs et pourceaux ». Le contrôleur général des finances [**Pontchartrain*] dira d’ailleurs à[** Louis XIV*] : « Toutes les fois que Votre Majesté crée un office, Dieu crée un sot pour l’acheter ». Bref, Crozat s’enrichit grâce à sa charge et aux faveurs du roi.
Puisqu’il est si bien parti, Antoine Crozat continue sur sa lancée; en 1690, il épouse [**Marguerite Le Gendre*], non pour sa beauté ( elle n’en a aucune ), mais pour la richesse de sa famille qui, bien que partie de rien, se retrouve elle aussi au coeur du pouvoir. Marguerite le Gendre se révélera aussi avide que son mari…et voilà Crozat, à 35 ans, encore plus riche. Avec ses frères et soeurs et les Le Gendre, ils formeront une famille « mafieuse » (2), toute dévouée a leur enrichissement et à leur ascension sociale.
[**Antoine Crozat*], comme [**Jacques Coeur*], finance les guerres ruineuses du roi ( exercice hautement périlleux ), et se voit attribuer en retour la Ferme, autrement dit le monopole, pour la fabrication et la vente du tabac, que le roi d’Angleterre [**Jacques II*] considérait comme « la fumée de l’enfer », mais qui était bien vue en France; et voilà Crozat qui s’enrichit encore plus. Crozat devient alors directeur de la Compagnie Royale des Mers du Sud et de la Compagnie de Saint-Domingue qui, avec l’aval du roi, se prête à la contrebande, au faux-monnayage et à la traite négrière avec l’Amérique Latine ( il rachètera plus tard, en 1701, la Compagnie de Guinée, qui jouit d’une exemption de droits de douanes sur le sucre raffiné, dont il se servira pour les exportations de la Compagnie de Saint-Domingue, et qui lui permettra aussi de décupler son traffic d’esclaves, belle affaire !! ); décidément, en matière de magouillage, Crozat n’avait rien à envier à Jacques Coeur !
[**Une illustre alliance*]
Dans Paris, on dit ceci, faisant parler le comte d’Evreux :
« Pour deux-mille écus, mon beau-père
Baiserait mes soeurs et ma mère
Fût-il tout couvert de haillons
Et quand j’entre dans sa famille
Il me donne des millions
pour me faire baiser sa fille »
« Les tabourets de nos dos duchesses
Portent de très ignobles fesses
Pour être assis maintenant
Il ne faut qu’avoir des richesses
D’Evreux, la dernière comtesse
Du sang de France était princesse
Mais du nom d’un si haut éclat
La culbute paraît burlesque
Qui va de la fille à Crozat
Faire une princesse grotesque » (2)
Crozat, à peine décrotté, est ainsi propulsé aux première loges de l’aristocratie et de l’état, il exulte, et fera construire le palais de l’Elysée pour les tourtereaux. Pourtant, dur avec les humbles, prévenant avec les puissants, on le déteste.
[**Louis XIV fait Crozat, en 1714, marquis du Châtel*]. En 1715, à la mort de Louis XIV, si on voulait évaluer la fabuleuse fortune de Crozat, que [**Voltaire*] surnomme « Crésus-Crozat », on pourrait dire qu’il péserait aujourd’hui…300 milliards de dollars ( à titre de comparaison, [**Bernard Arnault,*] l’homme le plus riche d’Europe et quatrième fortune mondiale, pèse, depuis peu, [**102 milliards d’euros*], donc Crozat valait l’équivalent de trois Bernard Arnault ! ).
[**La France en faillite*]
C’est alors qu’arrive un grand malheur. Le régent, poussé par la populace et le désir de faire rentrer de l’argent, convoque une Chambre Royale de Justice, destinée à juger les financiers honnis, qui se sont enrichis sur le dos du peuple; car si le peuple souffre, ce n’est pas à cause de 33 ans de guerres incessantes, à cause de la désorganisation de l’état, des dépenses inconsidérées des grands ou de l’incompétence des ministres, non, c’est exclusivement à cause de la turpitude des financiers. Un grand nombre d’entre eux sont jugés, condamnés à mort ou envoyés aux galères, et en tous cas livrés à la vindicte populaire. Antoine Crozat et ses amis sont paniqués, certains subissent un sort funeste, et finalement, Crozat est condamné à payer l’amende colossale de 6.6 millions de livres, avant que, finalement, ces excès ne se calment.
C’est alors que Crozat a une idée géniale. Pleurnichant, il va voir le Régent et lui propose d’abandonner son monopole sur la Louisiane ( dont il rêve de se débarrasser ), contre une remise de l’amende; et ça marche ! L’amende est réduite de 6.6 millions de livres à 1.3, une somme nettement plus supportable. C’est gagnant-gagnant pour Crozat, et pour lui seul.
Celui qui, parti de peu, était devenu l’homme le plus riche de France et qui avait su s’installer au coeur même du pouvoir avec [**Louis XIV,*] [**le Régent*], et [**Louis XV*], allait survivre encore 18 ans; il mourut enfin en 1738, à l’âge canonique de 82 ans, après avoir vécu quelques aventures encore, comme la construction du canal de Picardie ou de se voir retirer le Cordon Bleu qu’il dut racheter au [**duc de Bourbon*] pour 300.000 livres; ainsi Antoine Crozat dut racheter ce qui lui appartenait déjà, juste retour des choses ! Sa descendance s’allia avec la fine fleur de l’aristocratie Française, une de ses petites filles se mariant avec le [**duc de Broglie*], une autre avec le [**duc de Choiseul*]; mais tous ses descendants, honteux de leur aïeul, feront passer Antoine Crozat à la trappe afin de faire disparaître la souillure d’une origine aussi vulgaire. Sans la détermination de [**Pierre Ménard*], un jeune [**HEC*] de 24 ans, qui entreprit de faire sortir cet homme extraordinaire de l’ombre, il serait totalement oublié et on ne saurait presque rien de lui. Seules quelques rues en Louisiane, à Bâton Rouge, à La nouvelle Orléans, à Union et à LaSalle portent encore son nom…
[**Envoi*]
[**Jacques Coeur et Antoine Crozat se ressemblent étrangement*]. Tous les deux issus de familles qui avaient déjà engagé leur ascension, ils ne réussiront que grâce à leur proximité avec le pouvoir suprême, et ce point est capital. Des Grands bien placés les aideront à s’enrichir ( [**Agnès Sorel*] pour Jacques Coeur, [**le Régent*] pour Antoine Crozat ), et leurs fabuleuses fortunes feront fantasmer le public, qui y verra le résultat des secrets de l’alchimie pour Jacques Coeur ou de l’impitoyable exploitation des pauvres pour Antoine Crozat ( ce qui n’était pas faux…). Certes, [**Georges Bordonove*], dans son livre, « Jacques Coeur, le Médicis français », voit en Jacques Coeur l’équivalent français de l’illustre famille florentine. En fait, il n’en est rien. Ni Jacques Coeur ni Antoine Crozat, contrairement aux [**Médicis*] qui n’ont profité de la protection de quiconque, ne seraient rien sans les monopoles et autres avantages que leur à procuré l’Etat; leur habileté manœuvrière à la Cour, leur audace aussi, jouent plus dans leur réussite que leur sens des affaires, contrairement à ce qui fut le cas pour les marchands et financiers italiens ou flamands, qui furent, eux, d’authentiques entrepreneurs et de vrais preneurs de risques. Jacques Coeur et Antoine Crozat se prêtèrent à l’arbitrage entre les cours réciproques de l’or et de l’argent entre l’Orient et l’Occident, maniant les techniques financières avec dextérité, et se faisant, à l’occasion, faux monnayeurs, collecteurs d’impôts et argentiers du roi.
Les peuples sont le produit de leur histoire, et de nos jours, en France, hélas, un homme qui réussit et devient riche est perçu forcément comme un agioteur ou un spéculateur, rarement comme un entrepreneur ou un inventeur. Ainsi, dans une tribune du [**Figaro*] en date du 25 mai 2018, les Avernes, « groupe de hauts fonctionnaires, d’économistes, de professeurs d’université et de chefs d’entreprises », comme ils se définissent eux-mêmes, ( plutôt de droite, paraît-il ), publient-ils une chronique à l’occasion du salon de technologie VivaTech, où le [**président Macron*] a comparé la France à « une start-up nation » : « Non, Monsieur Macron, la France n’est pas une start-up nation », rétorquent ces petits monsieurs. Certes, la notion de « start-up nation » fait immédiatement penser à Israël, pays fort peu gouté dans nos contrées, et ceci devrait suffire a discréditer le concept; mais non, ce n’est pas cela ! Pour les Avernes, « cette transe collective n’est pas seulement puérile, elle est dangereuse ». Il est donc puéril et dangereux de recommander à nos jeunes de créer une entreprise ! La France est en retard dans l’économie numérique, dit la tribune, et c’est donc, pour les Avernes, une raison d’accentuer le retard plus encore. La notion de « start-up nation valorise l’hyper-individualisme au détriment du collectif. Elle proclame la fin du travail salarié », ajoutent-ils… Donc il vaut mieux être un bon salarié qu’un créateur d’entreprise, etc…etc…Arrêtons le massacre ! Franchement, avec ce genre de mentalité, la France n’est décidément pas sortie d’affaire…(4)
[**Marc Simoncini*], un véritable entrepreneur celui-là (5), parti de rien, se retrouve un jour dans le bureau de[** Michel Sapin*], un apparatchik pur jus, ministre de l’Economie et des Finances de[** François Hollande*] ( citons une nouvelle fois ce passage, déjà mentionné dans l’article sur Jacques Coeur ) :
« Quand en 2011, j’entre dans le bureau de Michel Sapin, énarque, quarante ans de carrière politique, il est assis derrière son grand bureau de bois, chaussettes roses et mocassins à gland. Il lève la tête, me regarde, et s’écrie : « Oh…un riche ». Je suis surpris, je pense « Oh, un con…! » Je le garde pour moi. Hélas ! ».
Faut-il haïr les riches ?
A la fin de l’envoi, je touche !
[(.
[**Notes et bibliographie*]
(1) Dans « Alstom, un scandale d’état », [**Jean-Michel Quatrepoint*] montre que la mondialisation a profondément changé la mentalité des élites, faisant insidieusement pénétrer dans la tête des dirigeants des entreprises du CAC40 et chez certains hauts fonctionnaires, une approche franchement anglo-saxonne. En quelque sorte, la mondialisation nous a fait tomber de l’autre côté du cheval; nous serions ainsi passé d’un pays de hauts fonctionnaires incorruptibles, investis d’un fort sens de l’état, même s’ils étaient parfois incompétents en matière de gestion d’entreprises, à un système où les dirigeants sont parfois tout aussi incompétents, mais intéressés exclusivement par leur interêt financiers personnels. « Nous sommes passées d’un capitalisme d’état à un capitalisme débridé, où l’enrichissement maximum dans un minimum de temps est devenu la règle », écrit-il. En quelque sorte, « Greed is good », même si la France doit se vendre au plus offrant ( souvent à des Américains ) et se vider de sa substance industrielle.
(2) Voir [**Pierre Ménard*] dans l’excellent « Le Français qui possédait l’Amérique », publié au Cherche Midi en 2017, dont cet article s’inspire largement.
(3) Sur l’histoire de John Law, voir « Les alchimistes de la confiance », [**Jacques Gravereau*] et [**Jacques Trauman*], et sur la Bulle des Mers du sud, qui lui est associée, voir « Tout vu, rien retenu », d’[**Olivier Marbot*] et [**Jacques Trauman.*]
(4) De passage à Paris, l’américain[** Bill Aulet*], responsable de l’accélérateur de start-up du MIT, déclarera le 4 mai 2019, au Point : « Mon conseil aux Gilets Jaunes ? Devenez entrepreneurs! ». On se demande pourquoi l’économie américaine croît a plus de 3 % ???
(5) Pour ceux qui se demandent quelle est la différence entre un simple « commis de l’État » qui fait fortune, et un véritable entrepreneur, nous recommandons une fois de plus la lecture de « Une vie choisie », de [**Marc Simoncini,*] créateur de Meetic. )]
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WUKALI Article mis en ligne le 05/07/2019
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