A major exhibition at Orsay’s in Paris dedicated to this extraordinary she-painter with works coming from all over the world
Par Jean-René Le Meur / Cela commence souvent de la même façon, une question enjouée et aigüe : « Mon Jean, demain on va voir l’expo Berthe Morisot à Orsay1 ? », et la réponse ursine : « rhumfff ». Là c’était pire. Vous savez, le« je ne sais rien» de mépris à la [**Elie Kakou*] « ahhh Berthe Morisoooot ! ».
Et bien oui, quand je pense [**Berthe Morisot*], je pense [**Monet, Mallarmé*] et à [**Marie Cassat*]. Bref à des scènes d’enfants, des maternité avec peu de reliefs. Et puis surtout, je pense [**Manet*] : le balcon certes, sa cheville (à Berthe pas à Manet) dans un atelier des Batignolles devant une grille d’aération et son visage derrière un éventail, un autre portrait sur un canapé et l’envoûtant portait aux violettes.
Ah ce portrait aux violettes. Une tendresse particulière pour ses yeux noirs décidés et tristes. Tellement noirs que l’on apprend qu’ils étaient verts ! Sacré Manet avec son « jus de pruneaux » il nous aura eus jusqu’au bout. Tellement accroché que j’ai acheté trois exemplaires de la biographie écrite par [**Dominique Bona2*]. Je vous rassure, deux versions papiers dont un en poche et une numérique. Allez savoir pourquoi je ne l’ai jamais ouverte ni même parcourue ? Curieux. Sans doute que son visage m’impressionne autant qu’il m’intrigue.
J’ai honte. Je ne La connais pas ou seulement dans les représentations que son beau-frère a fait d’elle… Son regard c’est du jugement, du mépris je vous dis.
Pire encore, je me connais, je vais comparer[** Berthe Morisot*] aux autres impressionnistes des hommes bien entendu, tiens il y a du [**Monet*] ici, du [**Degas*] là et les canotiers c’est[** Caillebotte*] évidemment.
Mon Dieu, je suis un homme du 19ème siècle. Dans 5 minutes satisfait derrière mes bacchantes ou favoris je vais dire « bel ouvrage de ménagère… Passons au fumoir cher ami ».
Qu’il est difficile de s’affranchir de ses représentations, de ses clichés et de ses stéréotypes. Tentons le coup et le profil virginal d’Hélène regardant les peintures m’y aidera à n’en pas douter. Encore perdu, le chemin sera long, je vous le dis. En tout cas, je ne pensais pas qu’une sortie un mardi matin ensoleillé après un week-end du 15 août pluvieux allait me mettre dans un tel état.
L’exposition est créée sous le signe de l’émancipation. « Je n’obtiendrai (mon indépendance) qu’à force de persévérance et en manifestant très ouvertement l’intention de m’émanciper », écrit-elle en 1871.
Mousseline et Capeline/ Les filles sur le port sublimes / Cherbourg sans les lignes / Elle souligne leur ligne… de vie.
Une peinture féminine donc ?
Née dans un milieu qualifié par[** Renoir*] « d’austèrement bourgeois » ; elle ne sortait pas. Elle n’avait pas même d’endroit à elle pour se concentrer, prendre le temps de construire sa toile, la travailler, y revenir que cela soit chez ses parents ou « chez son mari ».
Chez ses parents, elle ne disposait que d’un petit placard pour ranger ses affaires lorsque que maman recevait. La jeune fille bien élevée doit faire la révérence dans sa robe blanche estivale. Une femme convenable n’a pas accès à ce Paris moderne. Aucune scène de cabaret, de café ; on oublie les Folies Bergères ou les buveurs d’absinthe de Manet, Saint Lazare ou le Pont de l’Europe de Monet et de Caillebotte. Il manquerait plus qu’elle ne sorte en « cheveux ».
C’est tempête sur la palette et sous un crâne. Surprenante vivacité du trait, rapidité du pinceau, lignes brisées, grattages et reprises. Les toiles ont des manques, elles ne peint pas sur tout le support. Un critique l’avait même baptisée « l’ange de l’inachevé ».
« Le berceau » en est l’exemple : le motif n’est rien. Si, un joli petit bébé, un effet de voile … mais ce sont les sentiments de la mère à l’enfant qui nous envahissent. Et à y regarder de plus près, c’est du double ou triple sentiments ou actions : protection maternelle, tendresse et introspection.
75 œuvres c’est beaucoup, l’on passe de l’une à l’autre. La majorité d’entre elles viennent de collections particulières et souvent étrangères. On ne les connaissait pas et on n’est pas près de les revoir.
On s’imprègne de loin, on évalue, on attend… et puis on se prend pas des coups de sac ou de téléphone (toujours très belles les photos de tableau prises avec un Galaxy S7 ou un Iphone 6). Comment des personnes raisonnées, d’un certain âge, a priori douces, intelligentes et polies prises séparément peuvent elles s’affranchir (elles aussi) de toute règle de courtoisie lorsqu’elles sont en groupe ? Cela m’étonne toujours !
Les deux sœurs sur un canapé japonisant, des enfants jouant, on en a parlé, un père et sa fille. On s’arrête. Et oui, Berthe Morisot est aussi un peintre de la paternité, sujet inexistant en 1881 et plus que rare encore aujourd’hui.
Les dernières œuvres en composition oniriques ou posées où sa fille Julie, ses nièces jouent du violon, dessinent et peignent nous aimons moins. Retenons surtout les tableaux qui nous ont choisis. La démarche est par nature subjective. Une petite fille dans un canot (Jeune fille aux Cygnes), sans doute ressemble-t-elle à ma fille enfant.
Et puis le cadrage étonne ; un cadrage en portrait déroutant et un je ne sais quoi qui l’est tout autant.
You canot be serious ? lui aurait dit [**Caillebotte*]. Très drôle ce Caillebotte surtout en langue anglaise ; pour cela que certains du Café Guerbois l’auraient baptisé Moon Boot, mais c’est une autre histoire.
Et puis Hélène a aimé la jeune fille à la Jatte ou celle en tablier rouge. La jeune fille à la jatte qui a quelque chose d’asiatique est une des seules œuvres où le personnage regarde de face. Les autres sont de dos, de profil ou de trois quart.
Un seul peut-être sauf un, son autoportrait saisissant. Nul besoin de jugement ou de mépris. Elle est au dessus de cela. Elle assure, elle assume, elle s’affirme, elle est parmi les grands, elle est autorité.
Ses yeux étaient donc bien les siens. A la fois ceux de la jeune femme au bouquet de violettes et ceux d’un chevalier volontaire.
Merci Madame !
1. A lire, Michel Bernard, « Deux remords de Claude Monet », Éditions La Table Ronde, collection Vermillon, 215 p. — 20,00 €.
2. Le Livre de poche, 378 pages.
[**Exposition Berthe Morisot*]
Musée d’Orsay jusqu’au 22 septembre 2019
[(
Contact : redaction@wukali.com
WUKALI Article mis en ligne le 29/08/2019
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