When two books written by two different Russian writers, who, although they never realized they shared the same experience each other, provoke an existentialist and humanist pondering
[**Gaïto Gazdanov*] est un romancier russe né à Saint-Pétersbourg en 1903. Très jeune, il s’engagea dans l’Armée blanche qui combattait les Bolcheviks. À la fin de la guerre civile, il s’exila en Occident et ne revit jamais sa patrie. C’est sans doute un épisode de sa jeunesse qui lui inspira son roman, Le spectre d’Alexandre Wolf1 .
Dès la première phrase, le narrateur déclare que toute sa vie a été bouleversée par un meurtre qu’il a commis. Âgé de seize ans, alors qu’il était soldat en Russie, il s’égare loin de ses camarades. Soudain, un cavalier ennemi se présente et aussitôt fait feu, foudroyant sa monture. Notre héros se retrouve au sol face au cavalier qui déjà épaule son fusil pour achever sa besogne. Dans un réflexe, le garçon à terre extrait son revolver de son étui, tire et, miraculeusement, abat son agresseur. Le souvenir de ce meurtre le hante dans l’exil jusqu’au jour où il lit une nouvelle d’un certain [**Alexandre Wolf*] qui raconte la même histoire jusqu’au moindre détail, mais dans la bouche du cavalier dont il pensait avoir scellé le sort. Selon la nouvelle, l’homme laissé pour mort avait réchappé à ses blessures. S’ensuivent, on l’imagine, les péripéties de la recherche que l’exilé va effectuer pour retrouver ce mystérieux Wolf.
Mais, plus que l’intrigue, le remarquable dans ce roman, c’est l’analyse que Gazdanov nous livre de la conscience de son protagoniste. Aussi longtemps qu’il croit avoir tué son adversaire, il est rongé par le remords. Bien qu’il s’agisse d’un acte de guerre et même d’un cas de légitime défense, il ne peut se faire à l’idée d’avoir ôté la vie à un être humain. Et pourtant, même après qu’il a découvert que l’autre s’en est sorti, son acte continue à le tourmenter. Pourquoi ? Parce qu’il lui a révélé qu’il était capable de tuer et même plus que cela : il lui a découvert l’extraordinaire sentiment de puissance lié au meurtre.
L’être humain sait que des menaces de mort innombrables pèsent sur sa tête, catastrophe, accident, maladie, mais il est dans l’impossibilité de connaître le moment où interviendra la rupture fatale. Le meurtrier, lui, se trouve dans la situation extraordinaire de pouvoir échapper aux forces aveugles du destin. Face à l’autre qui le menace, il est exposé à un dilemme inouï : tuer ou être tué. Dans l’instant où il tue, il est plus fort que la terrible faucheuse. Il n’y est plus soumis, il est passé dans son camp, il échappe à la condition humaine.
Gazdanov affirme que celui qui a connu cette jouissance perverse n’appartient plus à l’humanité commune. Soit il bascule du côté de la mort à la recherche d’un nouveau moment de toute-puissance, soit il choisit de défendre à tout prix cette vie dont il a compris mieux que personne combien, depuis le crime de Caïn, elle était menacée par d’effroyables pulsions souterraines prêtes à s’emparer du cœur de l’homme.
En 2002, à un moment où Gazdanov était tombé dans l’oubli, [**Wolfgang Sofsky*] a avancé dans son essai, L’ère de l’épouvante2 , que les visages souriants des terroristes dont nous croyons un peu facilement qu’ils sont illuminés par leur foi s’expliqueraient par la jubilation perverse décrite si justement par ce romancier de génie.
1-Gazdanov Gaïto, Le spectre d’Alexandre Wolf, Viviane Hamy, 2013
2-Sofsky Wolfgang, L’ère de l’épouvante, Gallimard, 2002
[**Précédentes chroniques d’Armel Job parues dans Wukali*]
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– Où sont passés les héros
– Revenir à soi
– Nostalgie de l’idéal
– L’âme des foules
– Cléon contre Cléon
– De tous les peuples de la Gaule
– Kafka, la petite fille et la poupée de chiffon
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WUKALI Article mis en ligne le 14/09/2019
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