Genesis of the Jewish community in Metz
[**André Spire*] écrit, à propos des Juifs de Lorraine, ceux qui y vivaient en 1850 :
« Sans doute, quand ces Juifs pensaient au passé, ils pensaient à l’histoire héroïque que leur contait la Bible, à Samson, à David, à Salomon qui bâtit le Temple, aux Maccabées révoltés contre les tyrans syriens, et à Bar Cochebas et aux cinq cent mille qui périrent avec lui ; mais leur histoire était l’histoire de France ; ils bénissaient la mémoire des rois qui les avaient protégés contre la populace, celle de Louis XIV surtout, qui avait visité leur temple avec Louvois et assisté à leurs cérémonies… Toutes les gloires françaises étaient devenues leurs gloires, les libertés françaises leurs libertés. »
[**– L’installation de la Communauté*]
Nous allons faire un peu d’histoire. On trouve une présence juive à Metz dès l’époque romaine, et au Moyen-Age, une importante communauté s’y était également développée. Ainsi, la rue « En Jurue », située non loin de la cathédrale, signifie « En Juifs Rue » ou « rue des Juifs », et juste à côté, au n°1 rue d’Enfer, en face de la maison où a vécu [**François Rabelais*], se trouvent les vestiges d’une synagogue du 11ème siècle. Puis il y eut des vagues d’expulsions, dans le contexte troublé du 14è siècle (croisades contre les Templiers, contre les Cathares, grand schisme d’Occident avec l’installation de papes en Avignon, Guerre de Cent Ans, épidémies de peste…) et c’est en [**1423*] que l’on trouve la dernière mention d’une présence juive à Metz au Moyen-Age.
C’est à cette époque que Metz devient ville de garnison, et vers 1560, on y construit la Citadelle, dont le bâtiment « Le Magasin aux vivres » (Avenue Ney, entre l’Arsenal et le Palais du Gouverneur), constitue le dernier vestige toujours visible actuellement. Pour financer ces travaux, ainsi que les soldes des militaires, le Gouverneur de Metz fera venir dans la ville des prêteurs sur gages juifs, cette pratique étant interdite aux chrétiens. Les premières années, ces Israélites ne pourront d’abord se loger que temporairement dans la ville. Mais c’est le [**6 Août 1567*] que quatre familles juives seront autorisées à résider de façon permanente à [**Metz*] ; les chefs de famille se nommaient : [**Gerson Zey, Michel Lévy, Mardochée Cahen, Isaac Grotwohl*], et, nous allons le voir, ce sont les ancêtres de la Communauté Juive de Metz actuelle, ainsi que de très nombreux Juifs de France. Le roi de France était alors [**Charles IX*], et nous sommes quasiment à l’époque de [**François Ier*], décédé en 1547 !
Il n’est pas possible d’établir de filiation entre ces Israélites et ceux qui vivaient à Metz au Moyen-Age ; cependant, on peut faire le lien jusqu’à nos jours. Ces quatre familles se sont d’abord installées pour la plupart dans la « Maison des Lombards », située actuellement au 1 rue de l’Abbé Risse, juste en face du Cloître des Recollets (sur une butte, au-dessus de la rue des Tanneurs). Ils quitteront assez rapidement cette maison, pour s’installer de façon définitive, en bas de la rue des Jardins, notamment dans les actuels Quai de Rimport, rue Saint-Ferroy, et rue du rabbin Elie Bloch. La première mention de leur présence dans ce quartier alors très commerçant date de [**1575*]. Y résidaient de nombreux métiers de bouche, mais aussi cordonniers, bateliers… Les renseignements sur ces familles juives nous viennent de nombreux actes notariés du 16ème siècle, portant sur des transactions ou prêts. Ceux-ci avaient lieu dans les quartiers commerçants de la ville : Place Saint-Louis (alors nommée Place des Changeurs), alentours de l’église Sainte-Eucaire (juste en face de la Porte des Allemands), de la rue Saint-Marcel (sur l’île du Saulcy), ou de l’église Sainte-Hilaire (depuis détruite, et actuel collège de l’Arsenal, derrière le boulevard de Trèves).
Le quartier en bas de la rue des Jardins prendra parfois le nom de « ghetto » comme c’était le cas à Venise. Mais, pour Metz, il ne faut pas confondre avec des quartiers de sinistre mémoire qui étaient coupés du reste de la ville par une enceinte ; celui-ci était davantage constitué de rues réservées aux Juifs, et on pouvait sans doute y entrer et sortir librement. La synagogue y sera construite en 1609 (ou 1619), à l’emplacement de l’actuelle rue Elie Bloch, et la Communauté Juive de Metz y recevra la visite de[** Louis XIV*] le 25 septembre 1657, ce roi devenant ainsi le premier monarque français à se rendre dans un lieu de culte juif depuis le Moyen-Age. L’édifice que l’on voit de nos jours date de 1850 ; le bâtiment originel, sans doute devenu trop petit, sera détruit et reconstruit. Les maisons constituant ce quartier juif, devenues insalubres et à la très forte promiscuité, ont hélas presque toutes été détruites au 20è siècle, et seuls en subsistent quelques vestiges.
[**- D’où venaient ces familles et qui sont leurs descendants ?*]
D’où venaient les familles juives messines installées à Metz à partir de 1567, et qui sont les aïeux de nombreux Juifs de France ? Jusqu’au début du 17è siècle, elles descendaient des ménages initialement autorisés avant 1574 ; hors mariage, il ne pouvait y avoir de nouvel arrivant. On le rappelle, les 4 chefs de famille de 1567 étaient : Gerson Zey, Michel Lévy, Mardochée Cahen, Isaac Grotwohl, et parmi les autres ménages de 1574 se trouvaient[** Israël Méir,*] ainsi que [**Mardochée Halphen*]. Nous en reparlerons, mais Mardochée Cahen est un lointain ancêtre, à la fois de Simone Veil et de son mari Antoine Veil, qui étaient des cousins très éloignés. S’il n’est guère possible de remonter pour l’origine de Michel Lévy et Mardochée Cahen, on peut par contre émettre des hypothèses plausibles pour les autres familles.
[**Gerson Zey*], né vers 1510, tient probablement son nom de la Zélande, cette partie du Sud de la Hollande, au bord de la mer du Nord, et frontalière avec l’actuelle Belgique. Gerson Zey (orthographié aussi Zay) est un lointain ancêtre de [**Jean Zay*], le ministre de l’Education Nationale du Front Populaire en 1936 ! On peut même remonter un peu : à supposer que Gerson Zey soit originaire des Pays-Bas, alors ses parents (son père s’appelait Lazare) seraient probablement des Juifs venant d’Espagne ou du Portugal. Rappelons-le,[** 1492*] a été pour l’[**Espagne*] l’« annus mirabilis » : découverte de l’Amérique, fin de la reconquête avec la prise de Grenade, rédaction de la première grammaire en Espagnol… mais [**1492*] aura été aussi l’année de l’expulsion des Juifs d’Espagne, et en 1496, ils seront également chassés du[** Portugal*]. Beaucoup émigreront au Maghreb, formant les ancêtres des Juifs pieds-noirs qui se sont installés en France à la fin des années 1950 lors de l’émancipation du Maroc et de la Tunisie, et en 1962, lors de l’indépendance de l’Algérie. Mais un nombre important de ces Juifs expulsés de la péninsule ibérique à partir de 1492 s’installeront aussi aux Pays-Bas, et certains de leurs descendants rejoindront ensuite Metz dès le 16ème ou 17è siècle.
Nous évoquerons aussi une des familles messines de 1574 : la fille d’[**Israël Méir*], Hanna, épouse vers 1575 Mardochée Halphen, qui était probablement originaire de Prague. Cela a pu être établi en déchiffrant les pierres tombales du très vieux cimetière juif qui se trouve dans cette ville, dont la visite, ainsi que le quartier juif médiéval, constitue de nos jours une des principales curiosités de la capitale tchèque. [**Mardochée Halphen*] et [**Hanna Méir*] ont eu une très importante descendance, et sont les ancêtres de nombreux Juifs de France. Cela devient hypothétique, mais il est encore possible de remonter dans la généalogie : cette famille praguoise aurait des origines à Venise, descendant de [**Samuel Halphen*], né vers 1400, et surnommé « [**Serfati*] ». Si Halphen signifie « le changeur » en hébreu, Serfati signifie « Français » dans cette même langue. C’est un nom porté assez fréquemment dans les familles juives séfarades, c’est-à-dire de la Méditerranée et du Sud de l’Europe (on pense aux sketches [**d’Elie Kakou,*] originaire de Tunisie, avec « Madame Sarfati ») et ici cela pourrait vouloir dire que ce lointain ancêtre des familles israélites messines descendrait des Juifs expulsés de France à la fin du 14è siècle. Nous en reparlerons.
A partir du milieu du 17è siècle, la Communauté de Metz va continuer à se développer, et de nouveaux arrivants vont s’y installer, notamment en provenance de localités allemandes, en général situées à proximité du Rhin. Beaucoup de Juifs porteront comme nom de famille la ville dont ils étaient originaires : [**Coblence, Worms, Trèves, Francfort, Mayence, Spire, Breisach, Fribourg, Hadamar*]…
Jacques Hadamard, ce mathématicien d’origine messine, était aussi un cousin de l’épouse du capitaine Dreyfus, née Lucie Hadamard. Au fait, quelle est l’étymologie de ce nom « [**Dreyfus*] » ? Il signifie tout simplement « originaire de Trèves » ; prononcé avec un accent guttural, cela devait donner quelque chose comme « Treïfous », et, avec l’accent français, c’est devenu « Dreyfus », un nom assez répandu chez les Juifs. Le [**capitaine Dreyfus*], lui, avait tous ses ascendants en Alsace. Cela pourra faire l’objet d’un autre article, mais du 16ème au 18ème siècle, jusqu’à la Révolution Française, dans la moitié Nord de la France, les Juifs n’étaient autorisés qu’en Lorraine et en Alsace. En effet, ils avaient été expulsés de France au 14ème siècle, et cet édit (qui ne s’appliqua pas en Lorraine et en Alsace, alors ne faisant pas partie de la France), ne sera abrogé qu’à la Révolution Française. Mais, comme on l’a vu, les Juifs seront autorisés à Metz et en Moselle à partir du 16ème siècle ; et en Alsace, où une présence juive a été continue depuis l’an mil, voire davantage, les Juifs ont été autorisés à rester lors du rattachement de cette région à la France au 17ème siècle. Il convient de souligner qu’il n’est pas possible en généalogie de remonter aussi loin que pour la Moselle, les données s’avérant souvent incomplètes.
[** – De la Révolution à nos jours. L’exemple de Simone et Antoine Veil*]
Les Juifs de Lorraine et d’Alsace acquirent la nationalité française en 1791, l’édit du 14ème siècle qui leur interdisait de résider dans le reste de la France sera abrogé à la même époque, et ils pourront alors s’installer librement dans le pays. La route était lancée pour une assimilation avec le reste de la population. Comme pour les autres Français, la pratique religieuse n’a cessé de diminuer jusqu’à nos jours ; cependant, jusque 1950 environ, il n’était pas concevable, sans doute par convenance sociale, d’épouser un non-juif, et c’est ainsi que du 16è/17è siècle jusqu’à 1950 environ, cette communauté d’Alsace-Lorraine s’est assez souvent mariée exclusivement entre elle de façon endogamique, y compris lorsqu’elle vivait dans d’autres villes.
Ainsi un arrière-grand-père de Simone Veil, [**Jacques Jacob*], était né à Bionville-sur-Nied (entre Metz et Saint-Avold), et Antoine Veil était originaire de Blâmont, en Meurthe-et-Moselle. Nous citons ainsi un article du Républicain Lorrain du 30/06/2018 : « Le Cercle généalogique du Pays messin a réalisé une étude sur Simone Veil, née Jacob, et son mari Antoine Veil (…) Leurs généalogies convergent dans la communauté juive à Metz et en Moselle (…) Il a été trouvé au moins deux couples d’ancêtres dans leur lignée respective : Le couple Salomon May et Nenchen Levy et le couple Daniel Auchenbourg et Mendlé Cahen. » Nous compléterons même cet article : le patronyme de[** Salomon May*] pourrait vouloir dire qu’il provient de la ville de Mayen, près de Coblence ; il a épousé vers 1605 Nenchen, qui est sans doute la petite-fille d’Israël Méir, un des 8 chefs de famille de 1574. Et [**Mendlé Cahen*], citée également, est très probablement une des petites-filles d’une des 4 familles de 1567, celle de [**Mardochée Cahen,*] et a épousé vers 1623 [**Daniel Auchenbourg*], ce qui signifie originaire de la ville d’Augsbourg, en Bavière.
Cette généalogie de Simone et Antoine Veil pourrait se généraliser à de très nombreux Juifs de France : 4 familles résident à Metz en 1567, et 8 en 1574 ; ensuite, pendant plusieurs dizaines d’années, ce n’est que par mariage avec les descendants de ces familles d’origine, que de nouveaux arrivants juifs s’installeront à Metz ; ceux-ci étaient souvent originaires de villes allemandes. Ainsi se développe une communauté de plusieurs centaines de personnes, tous descendant des premières familles. Puis à compter du 17è siècle, et jusqu’à la Révolution Française, ils se marieront entre Juifs d’Alsace et de Lorraine, et résideront exclusivement dans ces deux régions, les seules où ils étaient autorisés à résider dans la moitié Nord de la France actuelle. Et ensuite, jusque vers 1950, même s’ils s’étaient installés depuis bien longtemps dans d’autres villes de France, ils ont continué à épouser des membres originaires de cette communauté. On parlait autrefois de « chatchen », terme yiddish pour désigner les entremetteuses, qui faisaient se rencontrer les personnes désireuses de se marier (le Shiddoukh ou Shiddou’h, en hébreu שִׁדּוּךְ ).
Aujourd’hui, beaucoup de ces descendants de ces familles juives messines du 16è siècle ont épousé des « goys » (des non-juifs), et ceux qui ont continué à se marier entre israélites l’ont fait en quasi-totalité avec des coreligionnaires issus des autres communautés, descendants des Juifs d’Europe de l’Est, de Hollande, ou plus récemment de tous ceux qui sont arrivés du Maroc, de Tunisie et d’Algérie. Mais l’Histoire n’est-elle pas un éternel recommencement ? Ces Juifs d’Afrique du Nord qui se sont établis à Metz assez récemment descendent des Juifs originaires d’Espagne et du Portugal au 15ème siècle, et sont donc peut-être de lointains parents de Gerson Zay, celui qui s’était installé à [**Metz*] en bas de la rue des Jardins, là où tout avait commencé 450 ans plus tôt ?
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[**Références bibliographiques :*]
– Pascal Faustini : La Communauté juive de Metz et ses familles (1565-1665), édité en 2001 par Les Presses du Tilleul
– Sous la direction de Bernhard Blumenkranz : Histoire des Juifs de France, édité en 1972 par Privat. C’est un ouvrage collectif, dont le chapitre sur les Juifs de Metz a été rédigé par Gilbert Cahen, ancien conservateur des Archives Départementales de la Moselle.
– Pierre-André Meyer : Comment rechercher ses ancêtres à Metz avant 1792, Revue du Cercle de Généalogie Juive, n°1,2,3 et 6
– Pierre-André Meyer : La communauté juive de Metz au XVIIIe siècle, édité par les Presses Universitaires de Nancy-Éditions Serpenoise
– Pages wikipédia : Histoire des Juifs en France/ Liste des toponymes juifs en France / Juiverie / Patrimoine_juif_de_Lorraine
– onomastique judéo-lorraine par Roger Berg (Cliquer))]
Illustration de l’entête: Le premier Memorbuch de la communauté juive de Metz (Livre des morts). Archives Départementales de la Moselle, 17 J 31
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WUKALI Article mis en ligne le 10/01/2020
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