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Les Contes de Fraimbois, un petit conte patriotique

par Kévin Gœuriot

Les contes de Fraimbois ont été publiés entre la fin du XIXesiècle et la terrible année 1914, sous la forme de petites cartes postales humoristiques, parfois grivoises, toujours moralisantes. Les textes, rédigés en patois de Lunéville, sont attribués à A. Grandjacquot et F. Rousselot, mais sans certitude. Publiés pour la première fois par J. Lanher en 1978, ils appartiennent pleinement à notre patrimoine régional. En voici un, particulièrement intéressant :

L’année 1912 était à son déclin ; on était aux regains. Le Claude Watrin retouranit, d’un coup sec de râteau, des andains qui étaient particulièrement drus et finement parfums. Ça et là ses yeux d’un bleu de faïence, qu’une casquette à large visière protégeait du soleil rasant de septembre, sur les coups de cinq heures de l’après-midi, ne pouvaient s’empêcher d’être fascinés par les tâchs violettes du colchique, particulièrement abondant, qui émaillaient la prairie le long de la rivière, en dessous de Chambrey. Il quitta son travail un court instant, juste le temps de venir inspecter les eaux de la Seille.

C’est tout juste s’il apercevait dans quel elle poussait son courant gris et trouble. Et l’esprit de notre homme s’en alla ailleurs, en face, là où il allait quelquefois, c’est vrai, sans qu’on le lui interdise ; et il songea  son fils, qui portait l’uniforme à Metz où il faisait son temps. Que dire ? Que faire ? Cela ne durerait pas toujours…

Un bruit mat de sabots de cheval, répercuté par le sol qui se desséchait un peu plus chaque jour à la sortie d’un été qui avait été chaud, le fit se retourner. À petite distance de lui, maintenant, se profilait la silhouette d’un cavalier en uniforme : le Claude identifia tout de suite un commandant de cavalerie. Poliment, ilôta sa casquette, et salua l’officier qui était fort bel homme, non toutefois sans mettre dans sa voix une pointe de je ne sais quoi d’irrespectueux, d’un sonore et distinct :

Olécio partenaire de Wukali
  • Bonjour, mon commandant !
  • Bonjour, mon bon ami, lui répondit l’homme à cheval.

Et  il allait continuer son inspection de long de la rivière qui faisait, là, frontière entre la France et l’Allemagne, lorsqu’il se ravisa. Immobilisant son cheval, il questionna :

  • Au fait, mon bon ami, comment écririez-vous « commandant » ?

Le paysan retira à nouveau sa casquette qu’il se mit à tortiller, curieusement ; il marqua un long silence. Puis, fixant droit dans les yeux son interlocuteur, il répondit :

  • Écoutez voir un peu, mon commandant… Que je vous dise… Comme on n’est plus Français, je ne l’écrirais pas avec un C ; comme on n’est pas encore Allemands, je ne l’écrirais pas non plus avec un K ; mais comme on est Lorrains… je l’écrirais avec un Q !

Le commandant et son cheval avaient déjà rejoint la gran-route qui traversait le village ; le Claude Watrin s’était remis au travail qui pressait. La Seille se mit, lui sembla-t-il, à retenir davantage ses eaux qui restaient troubles et grises.

Sur cette carte-postale des Contes de Fraimbois, on peut y lire les références de l’éditeur:
E. Bastien. Librairie-édit. 24 rue Germain-Charier. Lunéville

Ce petit conte, assez drôle au fond, mérite quelques explications. On pourrait le qualifier d’histoire à rire « patriotique ». Le lieu où se déroule la scène n’est pas anodin. Chambrey, petit-village situé près de Château-Salins, est devenu, depuis l’annexion de 1871, un village frontière, dans lequel les Allemands avaient construit une importante gare. La Seille, dans cette partie de la Lorraine, servait effectivement de frontière entre les deux nations. Le fait, d’ailleurs, qu’elle paraisse retenir ses eaux est un symbole utilisé ici pour montrer qu’elle ne veut pas filer vers Metz (et donc vers l’Allemagne).

On apprend dans le récit que le fils de Claude Watrin (un nom bien lorrain) fait son service militaire à Metz, sous l’uniforme prussien évidemment. Et le paragraphe de conclure par la phrase : « cela ne durerait pas toujours ». Une phrase qui fait écho au célèbre « ce n’a me po tojo » (ce n’est pas pour toujours) apposée en 1873 dans la basilique de Sion…

Quant à la réponse du Claude Watrin, elle est tout bonnement épique ! Elle proclame fièrement, à sa façon, la maxime si populaire pendant l’annexion : Français ne peux, Allemand ne veux, Lorrain je suis ! Sauf que là, c’est écrit avec un Q. Certainement le même Q que celui avec lequel l’employé communal avait orthographié Catherine, dans un autre conte de Fraimbois…

                                                          

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