Le président de la République, soucieux de ses petits-enfants les Français, nous a enjoint, tel un maître d’école sévère, de lire pendant le confinement. Obéissant, j’ai bien sûr obtempéré, et j’en ai profité pour mettre cette fois à l’épreuve mes connaissances d’étudiant (j’avais alors franchi les caps des CP, CM1, CM2 mentionnés dans mon article précédent (Cliquer) qui traitait de la dette publique).
A l’heure où des économistes font fi de la ruine des épargnants français, de la faillite en chaîne des investisseurs institutionnels européens (banques, sociétés d’assurance, etc ) sans parler du chaos créé dans les marchés financiers et où ces économistes nous recommandent de répudier notre dette nationale, je mets la main sur un grand classique des crises financières, «Manias, Panics and Crashes, a history of financial crises», de Charles P. Kindelberger (John Wiley 1 Sons 1978).
La liste des crises financières de 1618 à 1990 qui figure en annexe B du livre, vaut son pesant de cacahuètes. Puis je me concentre sur un autre grand classique, « This time is different, eight centuries of financial folly», de Carmen M. Reinhart et Kenneth S. Rogoff (Princeton University Press 2009). Cette étude, sérieuse et complète, a été écrite par deux professeurs d’économie, l’un à l’Université du Maryland et l’autre à Harvard. J’allais pouvoir remettre en pratique mes connaissances des fractions.
Qu’apprend t-on? D’abord, que de 1800 à 2008, il n’y eut pas moins de 250 défauts souverains (ça, c’est quand un gouvernement décide de ne pas payer ou de restructurer sa dette); ainsi, l’Autriche fit défaut 7 fois, la France 8 fois, l’Allemagne 8 fois, la Grèce 5 fois (elle était en défaut ou en restructuration de sa dette la moitié du temps depuis son indépendance en 1821), la Hongrie 7 fois, l’Italie 1 fois, l’Espagne 13 fois, l’Argentine 7 fois, le Brésil et le Chili 9 fois, le Mexique 8 fois, le Venezuela 10 fois, alors que les Etats-Unis, le Canada et l’Australie ne l’ont pas été une seule fois. Bref, le défaut souverain est une habitude bien ancrée, alors, franchement, une fois de plus ou une fois de moins…
La France avait déjà pris le pli, se mettant en défaut de paiement 8 fois de 1500 à 1800, au point que l’Abbé Terray, contrôleur général des finances de Louis XV de 1768 à 1774, en avait fait une théorie, estimant qu’un pays devait volontairement et systématiquement se mettre en défaut de paiement une fois par siècle afin de restaurer l’équilibre des finances (on devrait exhumer les œuvres de ce ministre inspiré pour en tirer les leçons).
Ces défauts successifs de la France étaient liés à la belle habitude qui avait été prise depuis 1303 et qui consistait à réduire la quantité de métal précieux dans les pièces d’or et d’argent en circulation dans le royaume, une pratique encore en cours de nos jours avec l’utilisation massive de la planche à billets. Henri II fit défaut en 1558, après avoir juré ses grands dieux qu’il ne le ferait jamais (« nécessité fait loi »). Puis la France fit encore défaut après la Guerre de Succession d’Espagne (1701-1714), et encore deux fois en 1770 et 1788. Même si l’inflation qui suivit la Révolution française se chargea d’éliminer une bonne partie de la dette, elle ne manqua pas de se reconstituer.
Mais, au 20è siècle, l’Europe occidentale remet sa maison en ordre. Certes l’Autriche fait défaut 2 fois (1938, 1940), l’Allemagne 2 fois (1932, 1939), la Russie 3 fois (1918, 1991, 1998). Toutefois, ce sont surtout les pays émergents qui, en une magnifique noria de défauts, prennent le relais (Argentine 4 fois, Brésil 7 fois, Chili 7 fois, Venezuela, Mexico, Panama, n’étant pas en reste). La Chine, de son côté, fait défaut 2 fois (1921, 1939), le Japon 1 fois (1942), l’Inde 3 fois (1947, 1958, 1969), l’Indonésie, les Philippines, le Sri Lanka, etc…suivent le mouvement. En résumé, au 20e siècle, ce n’est pas l’Europe occidentale qui fait défaut, ce sont l’Amérique Latine et l’Asie.
Alors, n’est-il pas temps de rattraper le temps perdu, de montrer ce dont nous sommes capables, et de faire défaut à notre tour ?
Le livre de Reinhart et Rogoff est plein de statistiques passionnantes sur les crises financières. Ils reprochent d’ailleurs à Kindelberger de ne pas baser ses raisonnements sur des séries statistiques; voilà qui est réparé.
Dans le chapitre 14 du livre, ils étudient les effets d’une crise financière. Certes, les résultats sont un peu schématiques, car les crises étudiées, se produisant sur une durée de 8 siècles, sont fondamentalement différentes les unes des autres, mais il y a quand même quelques points communs. On peut donc en tirer des conclusions à peu près universelles.
Lors d’une crise et après une crise financière,
– les actifs immobiliers chutent en moyenne de 35% et il faut en moyenne 6 ans pour retrouver les prix d’avant
– les actifs financiers chutent de 56% en moyenne et mettent 3 ans et demi pour retrouver leur niveau antérieur
– le chômage grimpe en moyenne de 7%, et ne retrouve son niveau qu’au bout de 4 ans,
– le PIB chute en moyenne de 9%, mais se rétablit en 2 ans ½,
– la dette publique augmente de 80%, surtout en raison de la chute brutale des revenus générés par les impôts.
En gros, il faut 5 à 6 ans en moyenne pour se relever d’une crise financière. Celle que nous sommes en train de vivre étant particulièrement sévère, il faudra peut-être 10 ans pour s’en remettre, mais gardons espoir, le pire n’est jamais sûr.
Pour conclure, je voudrais remercier le Président de la République pour tout un tas de raisons. Tout d’abord pour nous avoir confiné, ensuite pour nous avoir enjoint de lire, et enfin pour avoir attiré notre attention sur le fait que lorsque nous ferons défaut sur notre extravagante dette, nous ne ferons que renouer avec une vieille tradition de l’Histoire.