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Les dessous de La jeune fille à la perle de Vermeer

par Jean-René Le Meur

Quand la science permet des voyages immobiles vers une lointaine proximité 

Titre accrocheur voire libidineux sur La jeune fille à la perle. Difficile de faire son retour après deux mois d’abstinence textuelle. Que voulez-vous je suis tombé dans les grosses ficelles de la presse de caniveau. Être sûr d’être vu. Je ne dis pas lu. J’ai conscience de mes limites ; un like suffira à la satisfaction de l’imposteur. Il s’en est passé des choses en deux mois et un dernier article rédigé sur une plage de la mer rouge. On expliquera donc ce manque de subtilité et cette facilité par 7 semaines de mobilisation totale autour du Covid 19. Juridique la mobilisation ; le risque demeure maitrisé. 

Et le sous-titre pédant, me direz-vous ? Et bien pareil ; toujours ce satané confinement. 7 semaines d’accompagnement scolaire à expliquer l’oxymore, la paraphrase ou l‘antiphrase au milieu de divagations autour de l’antimatière avec Roman après un cours sur le rôle de l’aorte dans l’hématose. Il est évident que je ne comprends rien à ce que je viens d’écrire. Je ne l’enseignerais pas autrement !

La beauté de l’inconnu

Il y a en effet une beauté dans l’inconnu voire dans l’incompréhension du monde. Inès vient de rendre sur la plateforme du CNED un bel essai sur l’étranger comme source d’enrichissement « mutuel » (quel talent !). Bref, ce dimanche matin, après une bonne nuit d’environ 16 heures (assez réparatrice bien que séquencée) je tombe sur une étude : « The Girl in the Spotlight ».

La jeune fille a été étudiée, analysée, découpée, torturée, martyrisée, outragée. La pauvre. Même si on nous dit que c’est non invasif, rendez-vous compte : 

Olécio partenaire de Wukali
  • Microscopie électronique à balayage – analyse par rayons X dispersifs d’énergie (SEM – EDX)
  • Microscopie électronique à transmission par faisceau d’ions focalisés (FIB – STEM) ;
  • Chromatographie liquide à ultra-haute performance avec un réseau de photodiodes, fixé à un détecteur de fluorescence (UHPLC-PDA-FLR) ;
  • Hydrolyse et méthylation assistées thermiquement, chromatographie en phase gazeuse par pyrolyse – spectrométrie de masse (THM-Py-GC / MS) ;
  • Photographie technique : photographie en lumière polarisée et réflectographie infrarouge numérique (900–1100 nm) ;
  • Fluorescence macroscopique aux rayons X (MA-XRF) ;
  • Tomographie à cohérence optique multi-échelles (MS-OCT) ;
  • Microscopie numérique 3D haute résolution.
Vermeer a utilisé différents pigments et mélanges de peinture pour peindre le visage de la jeune fille. À G : Photographie lumineuse visible [René Gerritsen Art – Recherche Photographie] Centre : Des pigments de terre contenant du fer (Fe) ont été détectés à l’aide de la balayage de fluorescence macro-rayon X (MA-XRF). [Annelies van Loon: Mauritshuis/Rijksmuseum] À D : La spectroscopie d’imagerie de réflectance (RIS) a cartographié les mélanges de pigments : le rouge est principalement vermillon, le vert est ocre jaune mélangé au vermillon, et le bleu est principalement ocre jaune. [John Delaney et Kate Dooley: National Gallery of Art, Washington.]

Mais la Jeune fille est libérée ! Libérée de quelques secrets. Une équipe internationale de scientifiques publie depuis 2 mois les résultat de ses études menées depuis début 2018. Et ces outils nous ont permis de « nous rapprocher de l’œuvre d’art plus que jamais » nous explique le dossier de presse. Des découvertes sur le pinceau de Vermeer, son utilisation des pigments et la façon dont il a « construit » cette peinture en utilisant différentes couches.

Méthodes et objectifs

Certes, cette étude n’est pas la première évidemment. La précédente date de 1994. Les analyses scientifiques et les observations de l’époque avaient été associées à une restauration. Elle avait permis d’obtenir des informations précieuses sur les matériaux et les techniques que Vermeer a utilisés pour peindre. 

Gauche : Photographie lumineuse visible [René Gerritsen Art – Recherche Photographie] Droite : Sous-couches sous la surface révélées à l’aide de la réflectographie infrarouge multispectrale (MS-IRR). [Image: John Delaney et Kate Dooley, National Gallery of Art, Washington.]

C’est qu’en effet le projet de 2018 n’a pas été motivé par des préoccupations de conservation spécifiques ou une conservation potentielle, mais plutôt par l’objectif plus large d’en savoir autant que possible sur les matériaux et les techniques de Vermeer et l’évolution de la peinture.

Les questions spécifiques concernant les aspects matériel et technique de la peinture étaient :

  • Quelles mesures Vermeer a-t-il prises pour créer le tableau ?
  • Que pouvons-nous découvrir sur les couches sous la surface ?
  • Quels matériaux Vermeer a-t-il utilisés et d’où viennent-ils ?
  • Quelles techniques Vermeer a-t-il utilisées pour créer de subtils effets optiques ?
  • À quoi ressemblait la peinture à l’origine et comment a-t-elle changé ?
  • Quelle est la condition chimique et physique de la peinture ?

Il faut savoir que l’examen technique a eu lieu 24 heures sur 24 pendant une période de deux semaines fin février et début mars 2018, dans la salle dorée du Mauritshuis. Au cours de la journée, des membres de l’équipe de recherche étaient présents pour mettre en place et réaliser les différentes techniques d’imagerie et d’examen. Pendant la nuit, des méthodes de balayage ont été employées qui pouvaient être surveillées à distance ou utilisées en toute sécurité sans surveillance constante.

Quelques remarques et surprises 

Dans l’ombre d’un doute s’appesantir sur les couches et sous-couches, les glacis et vernis, la composition chimique des pigments pourquoi pas… mais je n’y ai rien compris. De la ballade matinale de lecture, je partage quelques remarques et surprises. J’invite les jusqu’au boutistes à lire et télécharger les articles de la revue Heritage Science sans oublier pour les anglophones comme moi le clic droit de leur souris (traduire).

Entrer dans le tableau : deux petits pâtés blancs

Microphotographie numérique 3D
la perle à grossissement 140 (1,1m/pixel) Hirox Europe,Jyfel

Alors recentrons-nous. Sortons de l’épaté de Pâques qui ne fut cette année pas comme les autres malgré une bonne volonté familiale, à Boulogne ou dans mes locaux. Les pâtés blancs que nous avions vus et ressentis et bien nous les partageons. Grâce à l’outil mis à disposition en ligne. On n’a jamais vu une qualité aussi impressionnante. Sfumato, craquelures, lumières, ombres et transparences. Qui pensait avoir une telle émotion en «scrollant » : https://www.micro-pano.com/pearl/. Merveilleux !

La 3D avant la 3D

À cet égard on apprend dans les articles que Vermeer a réalisé une tridimensionnalité en jouant : 

  • sur l’effet d’ombre (gauche du visage) et de lumière (droit du visage) avec une transition imperceptible entre les deux côtés du visage, qui suit sa pommette. 
  • avec les couleurs pour créer un contraste lumière-obscurité : une couche de surface rose vif, une sous-couche grisâtre ou brune, un crème claire pour les zones claires, un brun rougeâtre pour les ombres plus profondes, des tons froids définissant les traits, en particulier autour de ses yeux et sur le côté de son visage ; 
  • avec un contraste prononcé en donnant l’impression d’une personne qui se tourne soudainement et spontanément vers le spectateur dans l’obscurité totale.

Il faut savoir que l’œil humain a une grande plage dynamique et est capable de s’adapter presque instantanément aux conditions d’éclairage changeantes, la projection photographique réduit considérablement la plage dynamique des images. L’obscurité apparaît plus sombre, la lumière apparaît plus claire et le nombre d’échelles de gris entre les deux est réduit. Est-ce l’usage d’une caméra obscura ? 

  • avec l’épaisseur des couches : 
    • une sous-couche de couleur crème appliquée en couche épaisse pour créer une tridimensionnalité « physique ». 
    • les tons moyens et les ombres révèlent des applications très fines de peinture finale de sorte que la sous-couche a été laissée partiellement exposée et a joué un rôle dans la couleur finale.

Néanmoins on tombe sur un détail des joues expliqué par un des articles : mélange en douceur entre les trois différents tons de chair rose-brun, de la lumière pour refroidir, demi -teinte à l’ombre. Et on apprend que vraisemblablement, Vermeer a doucement fait glisser la peinture (légèrement) humide d’une zone à une autre avec un pinceau sec, créant une transition presque transparente du reflet à l’ombre. Preuve en est, on a retrouvé des poils de pinceau sur la toile.

Palette et pigments 

Partant de ce fait la recherche a identifié et cartographié avec précision la palette de couleurs de Vermeer dans ce tableau pour la première fois:

  • rouge (vermillon, laque rouge et laque rouge en cochenille),
  • diverses nuances de jaune et de brun (pigments de terre, laque jaune et jaune en étain),
  • bleu (ultramarine et indigo),
  • nuances de noir(charbon de bois et noir d’os et blanc (deux types de plomb blanc) ; 
  • blancs de plomb ; deux variété pour des propriétés optiques différentes pour assurer une transparence subtile et une transition transparente de la lumière à l’ombre sur la peau.
3D m
Microphotographie digitale en 3D du turban bleu
Grossissement 140 (1.1 μm/pixel). [Hirox Europe, Jyfel]

Le rideau disparu et le souffle sur ses cils. L’imagerie infrarouge a visualisé de larges coups de pinceau vigoureux dans ces sous-couches. Il a peint les contours de la jeune fille avec de fines lignes noires. Vermeer a apporté des changements à la composition pendant le processus de peinture : la position de l’oreille, le haut du foulard et l’arrière du cou ont été décalés. Le peintre a travaillé systématiquement de l’arrière-plan au premier plan : après avoir peint le fond verdâtre et la peau du visage de la jeune fille, il a ensuite successivement appliqué sa veste jaune, son col blanc, son foulard et sa « perle ». 

Et la perle ? 

La perle est une illusion – touches translucides et opaques de peinture blanche – et le crochet pour accrocher la « perle » de son oreille est manquant.

À bien considérer les choses, l’une des conclusions les plus surprenantes était que l’arrière-plan n’est pas simplement un espace sombre vide, Vermeer a peint la jeune fille devant un rideau vert.
Les techniques d’imagerie visualisent les lignes diagonales et les variations de couleurs qui suggèrent le tissu plié dans le coin supérieur droit de la peinture. Le rideau a disparu au cours des siècles à la suite de changements physiques et chimiques dans la peinture verte translucide.  Alors qu’à l’œil nu, la jeune fille ne semblait pas avoir de cil. Le balayage de fluorescence macro-rayon X et l’examen microscopique les lui ont rendus. 

Microphotographie numérique 3D de l’œil droit de la fille à gauche: grossissement 140x (1,1 m/pixel) [Hirox Europe, Jyfel], à droite la carte de fluorescence macro-rayonne (MA-XRF) pour le fer (Fe) montre que Vermeer a peint des cils à l’aide d’une peinture brune. La pointe du cil est à peine visible sur le fond sombre décoloré. [Annelies van Loon: Mauritshuis/Rijksmuseum].

Mais le microscope ne dit pas qui elle fût.
Heureusement !

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