Une vie en musique qui nous entraine dans un mouvement perpétuel, celui de Renaud Capuçon. Le mouvement, qui nous lie à l’action, au dynamisme, à l’effervescence. Le perpétuel invoquant l’infini, l’immuabilité, l’éternité, et si beaucoup se demandent s’il existe vraiment, ce fameux mouvement perpétuel, nous leur répondons que oui. Nous l’avons rencontré à travers ce joli voyage sonore que nous offre Renaud Capuçon dans son livre sorti peu avant le confinement. Le lire et l’écouter, dans le même temps, c’est un réel bonheur.
Le livre est lu et refermé, et la musique résonne encore, les notes de Brahms, (le compositeur bien aimé, qu’il a tant étudié et sans doute le plus joué), de Mozart ou encore de Mendelssohn, ces concertos pour violons qui ont accompagné notre lecture. Cela aurait pu être d’autres œuvres, il en est tant qui nous émeuvent sous l’archet du Maestro. À la découverte de « sa vie en musique », on comprend tout. Tout s’éclaire, comme une belle évidence de l’homme qu’il est devenu, et de son parcours hors-norme.
Le mouvement perpétuel, et cette énergie sans cesse renouvelée
Renaud Capuçon se souvient avoir dépensé une « débauche » d’énergie » pour reprendre ses termes, dans ses jeunes années de musicien, qui le poussait à jouer jusqu’à l’épuisement, jusqu’à la dernière seconde pour être parfaitement prêt ! Au fil des ans, le violoniste a appris à se poser et… à dormir ! Il a cette chance de pouvoir s’endormir profondément, « en un clin d’œil ». Cette énergie, Renaud Capuçon a appris à la canaliser, à l’apprivoiser. Lorsqu’on le voit sur scène, une chose est sûre, le violoniste est dans la maîtrise. On ressent cette force, cette énergie certes, mais elle est toute empreinte de quiétude et de sérénité. Cela ne s’est pas fait d’un coup de baguette magique. Il a fallu apprendre. C’était son plaisir. Apprendre tous azimuts. La « route était longue » et paradoxalement, tout est allé très vite pour le musicien précoce qu’il était.
Nul doute, doué pour la musique, doué pour le sport, doué pour le bonheur. Il voulait vivre ses rêves, réussir les projets les plus ambitieux, vivre ses amitiés « extra ordinaires », être là pour sa famille. Il est entier Renaud Capuçon, loyal et intègre. Il se raconte sans complaisance, dans un livre autobiographique, qui, à aucun moment ne nous fait perdre le fil de sa vie de musicien de ses 4 à 44 ans. Il se livre d’une traite, en toute simplicité, et en toute sincérité ; pas d’artifice, pas de poudre aux yeux. Les mots sont à son image. Ils collent aussi à sa musique. Quand il joue, on ne peut le confondre. Ce livre, nul doute, c’est lui : on le retrouve, vrai, naturel. Il se confie à nous et avoue qu’il nous aime. Le dernier chapitre s’intitule tout simplement « Vous ».
« Sans vous public, je ne serai qu’un passionné égoïste, ne sachant que faire de tous ces trésors que recèlent ces œuvres. » Il y a bien sûr quelques anecdotes, mais le tissu du livre est plus profond et va bien au-delà. On réalise à quel point Renaud Capuçon est un garçon « bien ». Cela paraît bête à écrire !
D’aucuns lui reprocheront ce côté « lisse ». Ils ont tort assurément de ne pas voir plus loin que le bout de son archet. Si le maestro est aux commandes de ce formidable et enivrant « tourbillon » de la vie, ce n’est pas parce qu’il veut être le premier, il est tout entier au service de la musique.
Le musicien nous offre un savoureux échange avec son fils. Au moment du coucher le petit garçon dit fièrement à son père : « Papa tu es le plus grand violoniste du monde ». Le musicien lui répond qu’ « en musique, ce n’est pas comme dans le sport, il n’y a pas de classement ». Puis d’ajouter au gamin visiblement très déçu : « On est une trentaine dans le monde à occuper une place de choix ! » Le dernier mot, il le laissera à son petit garçon, : « Oui mais dans les trente, c’est toi le meilleur ! »
C’est qu’en effet il est célèbre Renaud Capuçon, autant que sa belle et « solaire » épouse, Laurence, mais n’a pas pour autant la grosse tête. Il tient à préserver sa vie privée. Mais voilà, s’il est « public », c’est qu’on l’attend !
Dans les concerts en France, et aux quatre coins du monde, sur le petit écran, dans les grandes émissions ou les événements de communion intense avec le public, comme ceux de Notre-Dame ou de Fukushima.
On l’attend encore dans les festivals, ceux auxquels il participe, et ceux qu’il a créés, dans les masters class où il peut transmettre, dans les écoles de musique, où il peut enseigner et suivre des jeunes élèves comme il le fait à la Haute Ecole de Lausanne, depuis 2014. Il y a chez lui cette soif de musique qui jamais ne se tarit, et qu’il faut étancher, assouvir. A quoi rêve Renaud Capuçon ? Depuis longtemps déjà, il est attiré par la direction d’orchestre et depuis peu, une porte vient de s’entrouvrir. On se réjouit de cette orientation qui ne lui fera toutefois pas abandonner son violon.
Une vie en musique !
Or il n’a que 44 ans. C’est tôt pour écrire une biographie « d’une vie », même si elle est déjà bien remplie. Mais il a tant à dire, Renaud Capuçon. Il raconte avec précision, du reste. Sa mémoire est phénoménale. Au fil des pages, il partage des rencontres avec des êtres exceptionnels, des professeurs prestigieux, comme Veda Reynolds, Thomas Brandis… Renaud Capuçon a appris de tous. Leur présence lui donne des ailes !
Par ailleurs, sa rencontre avec Isaac Stern, « l’un des plus grands violonistes du XXème siècle est émouvante et forte. Le grand homme, qui célèbrerait ses 100 ans en 2020 est mort en 2001. Il ne saura jamais que Renaud Capuçon, depuis 2005, tient entre ses mains le Guarnerius, le vicomte de Panette de 1737, violon que le virtuose américain joua pendant près de cinquante ans. Isaac Stern qui, lors d’une audition, alors que de nombreux candidats se présentaient devant lui, dit au jeune violoniste : « C’est vous, Renaud Capuçon, vous qui aviez un jour proposé le double concerto de Brahms ? Nul besoin d’en rajouter. Stern l’avait identifié. Ils travailleraient ensemble, et tous les conseils de Stern servent encore aujourd’hui au violoniste.
Ce violon, son violon, «compagnon de tous les jours, son double sur scène. » Pour en prendre soin, Renaud Capuçon fait appel à ses médecins des plus beaux violons, des luthiers devenus amis, comme Pierre Barthel. « Mon luthier n’en croyait pas ses oreilles. Le Gesù de Stern que le violoniste venait de tester en 2005, collait parfaitement à sa façon de concevoir le son. A ma manière de prendre la corde, de transférer le poids de mon bras droit sur mon poignet et dans les doigts, de façon à transmettre sur l’archet la pression nécessaire pour faire résonner l’instrument. J’étais sans voix.
On voyage encore, Berlin, Vienne, Lausanne, Cuba, Chicago, Tokyo, Paris, des grandes villes de la musique, aux destinations les plus inattendues. L’appel de la musique n’a pas de frontière, Renaud Capuçon joue dans les hôpitaux, les maisons de soin palliatifs. Courageux Renaud Capuçon ? Il s’en défend.
Il nous parle d’Aix-en-Provence devenue aussi importante que Salzbourg, avec ses deux festivals.
Les liens sensibles
Ainsi Renaud est proche de ces « merveilleux partenaires de scène », les citer tous serait trop long, mais de Martha Argerich, l’indomptable, Gérard Caussé, le gentleman de l’alto, Jérôme Ducros, complice de toutes les aventures, Nicolas Angelich, l’un des plus grands pianistes d’aujourd’hui, les chefs, comme C laudio Abbado, Daniel Barenboïm, Yehudi Menuhin, Pierre Boulez des personnages également essentiels.…Tous ont cru en lui, à commencer par l’agent des étoiles, son ami Jacques Thelen. Avec humilité, Renaud évoque la « chance » et il pose un regard amusé et émerveillé sur tous ces moments de félicité.
Également il nous parle encore de ses parents, sans lesquels tout cela n’aurait sans doute pas existé. De son frère, Gautier, comment ne pas l’aimer, lui aussi ? « Son talent est unique. » Renaud Capuçon nous livre sa vision de Bach, ce besoin de silence et de recueillement dont il a tant besoin pour vivre et jouer sa musique. « J’ai la « grâce d’avoir une foi simple, naturelle, solide. J’ai cette foi de charbonnier, dit-il souvent. Je doute de moi, je doute de tout, mais pas de cette foi inébranlable ». Nous découvrons encore ses innombrables coups de cœurs musicaux et l’appétit du musicien est illimité, de Beethoven, « On se sent compris par ce génie », j’ai un rapport extrêmement proche de ce compositeur, en passant par Mozart, Alban Berg, Arnold Schönberg… et tant d’autres génies.
Aussi c’est passionnant de voir comment il a construit sa propre culture musicale dans son enfance et adolescence, une jeunesse saine, remplie de culture et de sport . Cette formation se poursuit toujours, la musique est au cœur de sa vie.
Son goût pour la musique contemporaine est profond et constant, des créations qu’il faut « apprivoiser ». Il nous parle notamment du compositeur Nicolas Bacri avec chaleur. En littéraire averti, il est sensible à la musique des mots. La poésie aussi est entrée dans sa vie. Quelques superbes poèmes jalonnent du reste son livre. Rien d’étonnant à cela. Rythme et couleurs, phrasés et accentuations, nuances et ponctuation, ne se travaillent-ils pas également au violon ?
Depuis longtemps déjà, il est attiré par la direction d’orchestre et depuis peu, une porte vient de s’entrouvrir. On se réjouit de cette orientation qui ne lui fera toutefois pas abandonner son violon. Orchestres symphoniques, musiques de chambre, quatuor à cordes… il reste tant d’ aventures musicales et d’ émotions à partager ensemble.
Également un homme d’action, Renaud Capuçon a créé plusieurs festivals, dont le prestigieux festival de Pâques d’Aix-en-Provence, un projet qui aurait pu voir le jour à Evian ! Par chance, le destin, encore, ou plutôt, sa bonne étoile, a placé Aix et Dominique Bluzet, directeur des théâtres aixois, sur sa route. Comme il nous aura manqué cette année le festival ! La programmation était prodigieuse.
Son appétit de la vie, sa curiosité pour les autres. ainsi parle Renaud Capuçon de Jacques Chancel. Le brillant journaliste voulait convaincre le violoniste d’écrire. Par amitié Renaud Capuçon lui a promis de prendre régulièrement des notes et de tenir un journal. Ensemble ils prévoyaient un quatre mains, des conversations entre les deux hommes, mais Chancel s’en est allé. Plus tard, Renaud Capuçon a été contacté par l’éditeur, qui l’a convaincu d’écrire. Le journal s’est métamorphosé dans un « Mouvement Perpétuel. »
Mouvement perpétuel
Renaud Capuçon
éditions Flammarion. 20€.
E-book 13€99