Pendant des décennies, des scientifiques ont recueilli d’anciens échantillons de sédiments déposés sous le fond marin, le plancher océanique, pour mieux comprendre l’histoire des climats du passé, la tectonique des plaques et l’écosystème marin profond. L’équipe de recherche à l’origine de la nouvelle étude s’est constituée autour de l’Agence japonaise pour la science et la technologie marines-terrestres (JAMSTEC), la URI Graduate School of Oceanography, l‘Institut national des sciences et technologies industrielles avancées, l’Université de Kochi et Marine Works Japan. L’étude a été publiée le 28 juillet dans la revue Nature Communications.
Des résultats de recherche impressionnants
100 millions d’années, jusqu’à ce jour personne ne savait que les organismes unicellulaires pouvaient vivre aussi longtemps.
C’est qu’en effet sur le fond marin, autrement dit la lithosphère océanique, il y a des couches de sédiments constitués de neige marine (débris organiques provenant continuellement de la surface de la mer), de poussière et de particules transportées par le vent et les courants océaniques. De petites formes de vie telles que les microbes sont piégées dans ce sédiment.
La mission scientifique a foré de nombreux carottes de sédiments à 100 mètres sous le fond marin et à près de 6 000 mètres sous la surface de l’océan.
La vie défie le temps géologique
Les scientifiques ont découvert que l’oxygène était présent dans tous les carottes, ce qui suggère que si les sédiments s’accumulent lentement sur le fond marin à une vitesse ne dépassant pas un mètre ou deux tous les millions d’années, l’oxygène pénètre tout le long du fond marin jusqu’au sous-sol. C’est pourquoi ces conditions permettent aux micro-organismes aérobies – ceux qui ont besoin d’oxygène pour vivre – de survivre à des échelles de temps géologiques de millions d’années.
Ainsi, des microbes se sont retrouvés enfouis dans la terre il y a 101,5 millions d’années, avant même le Tyrannosaurus rex, lorsque le plus grand dinosaure carnivore de la Terre, appelé Spinosaurus, parcourait la planète.
Certes le temps a passé, les continents ont changé, les océans ont augmenté ou ont disparu, de grands singes sont apparus et finalement les êtres humains ont évolué avec la curiosité et les compétences nécessaires pour déterrer ces anciennes cellules. Et maintenant, dans un laboratoire japonais, des chercheurs ont redonné vie aux organismes unicellulaires.
Comment les chercheurs ont-ils procédé
Bref des chercheurs à bord du navire de forage JOIDES Resolution ont prélevé des échantillons de sédiments au fond de l’océan il y a 10 ans. Les échantillons provenaient de 328 pieds (100 mètres) sous le fond de 20 000 pieds (6 000 m) de profondeur du sud du gyre du Pacifique.
Notons que c’est une région de l’océan Pacifique avec très peu de nutriments et peu d’oxygène disponibles pour la vie. Qui plus est les chercheurs cherchaient des données sur la façon dont les microbes réagissent dans une région si éloignée du monde.
«Notre principale question était de savoir si la vie pouvait exister dans un environnement aussi limité en nutriments ou s’il s’agissait d’une zone sans vie», C’est ce qu’a déclaré Yuki Morono, directeur de recherche à l’Agence japonaise pour les sciences et technologies marines-terrestres et auteur principal d’un nouvel article sur les microbes.
« Nous voulions savoir combien de temps les microbes pourraient maintenir leur vie en quasi-absence de nourriture.»
Alors arrive cette information qui bouleverse notre savoir établi: « Les résultats indiquent que même les cellules trouvées dans des échantillons de sédiments vieux de 101,5 millions d’années sont capables de se réveiller lorsque l’oxygène et les nutriments deviennent disponibles. Au début, j’étais sceptique, mais nous avons constaté que jusqu’à 99,1% des microbes présents dans les sédiments déposés il y a 101,5 millions d’années étaient encore vivants et prêts à être consommés».
Des microbes qui en veulent
Écoutons bien le professeur Yuki Morono, il explique que la vie des microbes dans le sous-sol est très lente par rapport à la vie au-dessus, et donc la vitesse d’évolution de ces microbes sera plus lente. «Nous voulons comprendre comment ou si ces anciens microbes ont évolué», a-t-il déclaré. «Cette étude montre que le sous-sol est un excellent emplacement pour explorer les limites de la vie sur Terre.»
De fait, les microbes avaient cessé toute activité notable. Mais lorsqu’on leur offre des nutriments et d’autres nécessités de la vie, ils redeviennent actifs.
Dans ces conditions et pour s’assurer que leur échantillon n’était pas contaminé par des microbes modernes, les chercheurs ont ouvert le sédiment dans un environnement hautement stérile. Ils ont sélectionné les cellules microbiennes présentes en leur donnant des nutriments exclusivement dans un petit tube conçu pour ne pas laisser entrer les contaminants.
Or les cellules ont répondu, beaucoup d’entre elles rapidement. Elles ont rapidement englouti l’azote et le carbone. En 68 jours, le nombre total de cellules avait quadruplé par rapport aux 6986 d’origine.
Les bactéries aérobies – les respirateurs d’oxygène – étaient les cellules les plus résistantes et les plus susceptibles de se réveiller. Ces minuscules organismes survivaient uniquement sur les minuscules bulles d’air qui descendent dans les sédiments à des échelles de temps géologiques. Il semble que le taux métabolique des bactéries aérobies soit juste assez lent pour leur permettre de survivre pendant de telles périodes.
Illusration de l’entête: Yuki Morono (à gauche) et Steven D’Hondt (à l’extrême droite) à bord du navire de forage de recherche JOIDES Resolution observant des carottes de sédiments provenant du sud du Pacific Gyre. (Photo IODP JRSO)