Un plateau de rêve, une nouvelle pierre à l’édifice de « l’évènement Beethoven » célébré à la Roque d’Antheron tout au long de ce festival. Le vendredi 7 août, trois concerts ont jalonné la journée pour offrir 36 Sonates au public : certains pianistes étaient présents dès le matin dont Kojiro Okada, Nicholas Angelich, Jean-Efflam Bavouzet. L’après-midi, les festivaliers retrouvaient Claire Désert, Emmanuel Strosser François Frédéric Guy, Manuel Vieillard.
A 21h, la troisième partie programmait les sonates n°12, 13, 14, dite Clair de lune,la 15 et la 16. Dans l’ordre d’apparition sur scène, Nicholas Angelich, Jean-Efflam Bavouzet, Yiheng Wang et enfin, Emmanuel Strosser.
Élaborées tout au long de la vie créatrice du compositeur, les 32 Sonates sont de ces œuvres-confessions dont Beethoven lui-même indiqua qu’il y déposa toute sa vie. L’occasion est belle de les entendre cette année à La Roque d’Anthéron dans leur intégralité, suivant l’ordre dans lequel elles ont été composées et dans l’interprétation de pianistes confirmés, beethovéniens de toujours, auxquels se sont joint cinq de leurs élèves, jeunes pianistes à l’orée de carrières prometteuses
La soirée de vendredi débute par la sonate n° 12 interprétée par Nicolas Angelich, une merveille, dont on connait surtout la marche funèbre, une marche « diamant brut « que fait briller le pianiste sous ses doigts experts, de longs doigts qui frottent et caressent les touches à la recherche de plus d’éclat. Le piano se fait tour à tour sage et paisible et le temps battu par une main gauche à peine audible nous invite à tendre l’oreille. Une invitation magique. Puis le piano se fait profond et parfois un peu trop austère en ce début de concert. Mais par ailleurs, on est troublé par le lyrisme exquis de l’andante,la théâtralisation du discours. On aura noté peut-être un peu trop de théâtralisation dans le jeu du pianiste, et aussi quelques approximations, mais Nicholas Angelich est un grand parmi les grands, il sait nous cueillir de nouveau à n’importe quel moment. Il n’a pas son pareil pour mettre en relief un détail avec une éloquence toute naturelle et souligner des accents superbes pour symboliser une respiration.
On suit le beau discours musical du pianiste, de l’Andante con variazioni, au Scherzo allegro molto, un scherzo qui nous bouscule et nous surprend, car il précède « joyeusement » la marche funèbre. L’œuvre éclate en mille morceaux, mille éclats, nous parlions de diamants et l’image est juste. Pourtant, tout dans Beethoven est compliqué, que ce soit l’expression, le langage pianistique, ou encore la forme. Mais dans les gradins, le maître de Bonn nous apporte un immense apaisement ainsi servi par Nicolas Angelich.
La sonate n°13 interprétée par Jean-Efflam Bavouzet est belle aussi, on peut lui préférer la n°12, mais quel pianiste, et comme Beethoven lui va bien ! Le musicien nous propose du beau piano, sans faute, équilibré, raffiné. Rien de vertigineux, on est davantage dans un « juste milieu » où l’esbroufe et l’affectation n’ont pas de place. Même dans Allegrod’une vivacité presque frénétique, le pianiste n’en fait jamais trop, il nous emmène par la main dans cette trajectoire vers la lumière. Cette sonate nous paraît plus simple de prime abord que la plupart des sonates de Beethoven, mais ne nous y trompons pas. Il y a quantité de climats en elle et ses humeurs changeantes ne sont pas facile à traduire. On a retenu notre souffle à l’écoute de l’éclatant Adagio con Expressione. Le chant du piano s’épanouit librement, passionnément. Cette sonate ne manque pas de noirceur, mais aussi de virtuosité. On en prend encore toute la mesure dans le Finale, l’Allegro vivace, d’une beauté déchirante.
La sonate n°14 nous est proposée par un jeune talent chinois de 24 ans, Yiheng Wang. Elle est célèbre, cette sonate, dite « Clair de lune » avec son mouvement lent méditatif qui contraste fortement avec la tempête finale. Le pianiste fait chanter son piano, et l’ambiance « nocturne » qui se dégage de ce premier mouvement, convient parfaitement au décor du parc Florans, les arbres centenaires joliment éclairés, la nuit qui s’installe et la lune pour témoin… Le jeune pianiste est doué certes, il a su se montrer délicat, mais lorsque les arpèges sous les doigts du jeune homme se déchaînent un peu trop, lorsque la tempête fait rage dans les entrailles du clavier, on se surprend à scruter le ciel. Serait-ce un présage ? Non, tout est bien, on peut écouter la suite, un bonheur.
Les sonates n°15 et n° 16 sont jouées par Emmanuel Strosser, un autre pianiste incontournable. Très apprécié aussi de ses partenaires, car assurément le pianiste a le sens du partage, à des kilomètres de certains pianistes, si égocentriques. « 36 sonates de Beethoven » « à partager » avec d’autres pianistes c’est quelque chose qui lui correspond bien. Un beau projet. Ainsi porté par le bonheur de jouer « en équipe », il débute la sonate n°15 joyeusement, visiblement très heureux d’être là. Il instaure d’emblée l’ambiance toute bucolique et légère des premiers mouvements, avec un jeu d’une maîtrise saisissante. Tout nous parait si limpide. C’est comme si le musicien nous « expliquait » Beethoven. Il le met à notre portée. Même le Scherzo, si original, devient facile à l’écoute, grâce à ce jeu, clair et limpide. Pourtant, le pianiste sait « s’envoler aussi », comme le prouve le Rondo : Allegro ma non troppo, qui termine cette sonate souverainement.
Emmanuel Strosser nous propose de conclure avec la sonate n°16. Étonnante pièce aux effets rythmiques peu entendus. On s’émerveille du joli jeu de mains du pianiste qu’on ne quitte plus de yeux. On aime l’Adagio Grazioso d’une élégance extrêmeet on se quitte enapothéose, avec le Rondo Allegrettoque le pianiste nous livre avec générosité et quelques notes d’humour.
Encore une belle soirée, avec de grands pianistes, des habitués du Festival de la Roque d’Anthéron, que l’on aime retrouver chaque année.
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