Nous sommes en 1907, dans ce territoire français encore méconnu : la Guyane. Nous sommes à cette époque où l’Europe veut connaître son territoire, ses colonies. C’est l’époque des explorateurs savants : ils ont pour mission de décrire les territoires, leurs habitants autochtones et surtout les ressources naturelles qu’ils contiennent pour leur exploitation.
La Guyane est française depuis déjà quelques siècles. Sa bordure littorale est « connue », des tentatives d’exploitation agricoles ont eu lieu, en vain. On pense à l’essai de La Fayette juste avant la Révolution française. La Guyane, lieu de déportation d’abord des opposants politiques puis des droits communs au bagne. La Guyane, comme la Nouvelle Calédonie, colonie de peuplement. Mais surtout la Guyane et sa forêt amazonienne, véritable « terra incognita » aux ressources peu connues, à par l’or.
Jules Tripot était médecin et a participé à une expédition jusqu’aux sources de la rivière Itany, un confluent du Maroni. Son livre est son journal, son carnet de bord : il décrit, essaie de comprendre ce qu’il voit, procède à des analyses, s’émerveille de ces lieux si éloignés de la métropole, entre en totale empathie avec les autochtones. Nous le suivons de son arrivée en Guyane à son départ, il nous fait participer à son expédition jusqu’aux montagnes de Tumec-Humac, but de l’expédition.
A travers 26 courts chapitres, Jules Tripot nous décrit l’univers qu’il visite, qu’il rencontre.Tout y est : hommes, faune, flore.
Il visite le bagne, ne trouve en fait pas grand chose à y redire, même s’il trouve que la mortalité y est très élevée. Commence une série de portraits « hauts en couleur » avec le bourreau du bagne, très fier de sa technique pour avoir des têtes parfaitement coupées…
Mais bien sûr, il s’intéresse aussi bien au physique qu’au mental des autochtones, et même de ses guides. Des portraits où il se veut le plus « objectif » possible. Bien sûr, il fait part parfois de son étonnement, voire de son incompréhension car tout est si différent de sa culture de Français métropolitain du début du XXè siècle. Il essaie de se comporter tel un ethnologue, mais cette science n’existe pas ainsi définie à son époque, il faudra attendre Levi-Strauss. Cependant il ne réussit pas à surmonter tous ses préjugés : il n’arrive pas, par exemple, à comprendre que les « peaux-rouges » soient réfractaires au commerce et à l’accumulation de richesses.
L’explorateur s’intéresse à la vie quotidienne, aux techniques des personnes qu’il rencontre : les orpailleurs, les chasseurs d’aigrettes blanches, les guérisseurs, les chasseurs, la cuisine, les techniques d’écobuage, les récolteurs de lait de balatas (espèce d’arbre à caoutchouc), etc. Il décrit, crée des liens proches de l’amitié avec certains.
Lire Jules Tripot, c’est découvrir un monde à jamais disparu. Qui plus est il est un excellent écrivain avec une prose emplie de poésie, d’une majesté à la hauteur du pays : « nous longeâmes une série de collines où s’étageaient des milliers d’arbres de hauteurs insoupçonnées en Europe, et sur ces champs aériens dont l’uniforme verdure se perdait dans les lointains du ciel, çà et là, grâce à la saison, des ébéniers à la hampe élancée, étalaient, égayant à propos la monotonie du décor, la vive et claire tache d’or des parasols garnis de fleurs qui s’épanouissaient à leur faîte. »
Il est certains que les ayatollahs de la « bien-pensance » exigerons un autodafé de ce livre. Et oui, il parle de supériorité de la race blanche, de nègres, de noirs, se montre parfois condescendant, tout ce qui est banni à notre époque. Mais pas à la sienne. En plus, à l’inverse de plus d’un de ses contemporains, il essaie de les comprendre et reconnaît bien des valeurs à leur culture.
Jules Tripot décrit mais ne juge pas. Même, à la fin, il fait montre d’une vraie compréhension du mode de vie des indigènes et comprend, à son grand regret, que le contact avec les Européens aboutira à la disparition de leur culture.
La Guyane : au pays de l’or, des forçats et des peaux-rouges
Jules Tripot
éditions Le temps retrouvé. 9€80