Sarah Montard-Lichtsztejen a écrit ses « mémoires » ou plus exactement a offert le témoignage de son vécu (cliquer), de son calvaire dans Chasser les papillons noirs – récit d’une survivante dans les camps de la mort. Depuis des années, elle va dans les établissements scolaires pour montrer l’horreur du nazisme à des jeunes gens qui ont son âge quand elle fut déportée. Travail de mémoire qui permet à cette génération pour qui la vérité se trouve dans les réseaux sociaux, de voir, d’entendre l’Histoire.
Régis Delpeuch après avoir eu l’accord de Sarah Montard-Lichtsztejen, a, non réécrit, mais plutôt transcrit cette histoire unique dans un livre pour adolescents. La littérature pour cette tranche d’âge est régie par des codes particuliers aussi bien au niveau du style, des mots, des concepts, du découpage en courts chapitres, etc. C’est en les maîtrisant (ce que fait parfaitement l’auteur) que les adolescents trouvent, comme par hasard, de l’appétence, de l’intérêt à la lecture. Car, quoiqu’on dise les jeunes lisent. L’édition pour la jeunesse se porte très bien et celle pour les adolescents aussi, il suffit se voir les chiffres de tirages des livres de fantasy.
La famille de Sarah a fui les pogroms en Pologne. Son père, a été fait prisonnier au début de la Seconde Guerre mondiale, et a réussi à s’évader du camp où il était prisonnier. Muni de faux papiers, il se cache à Paris, ce qui permet à sa fille de le voir de temps en temps à la sortie de lycée. Sarah vit avec sa mère, couturière. Elles subissent les discriminations imposées aux Juifs, et en plus elles sont étrangères. En 1942, elles sont arrêtées lors de la rafle du Val’d’hiver de triste mémoire. Mais elles arrivent à s’enfuir avant d’être déportées.
Munies de faux papiers, elles recommencent à vivre à peu près normalement, Sarah revient même dans son lycée et continue ses études. Mais en mai 1944, suite à une dénonciation anonyme, elles sont de nouveau arrêtées. Cette fois-là, elles ne peuvent rien faire. On les amène à la Préfecture de Police, puis à Drancy. De là, embarquées dans des wagons à bestiaux, elles partent vers un camp de travail. Du moins, c’est ce qu’elles croient. Elles arrivent, après un terrible voyage à Birkenau. Sans le savoir, dès leur arrivée, elles sont dans la « bonne file », ceux qui sont dans l’autre, Sarah l’apprendra après, sont immédiatement gazés. Jamais, elle n’aurait imaginé pouvoir être aussi humiliée. Puis c’est la quarantaine, le travail dans un Kommando, la fin, la mort partout, la violence, le sadisme, le manque total d’hygiène, les arrangements pour essayer de survivre, mais aussi une certaine solidarité parmi les détenues
Sarah ne quitte jamais sa mère qui fait tout pour que sa fille puisse survivre. Mais elles sont séparées, Sarah part à Auschwitz, toujours dans un kommando. Devant l’arrivée des Russes, les camps sont vidés, commence alors une marche interminable dans le froid, la violence, le manque de tout. Sarah retrouve sa mère, elles ont la « chance » de survivre à ce vrai calvaire et se retrouve dans le camp de Bergen-Belsen, un immense mouroir. Sarah est atteinte du typhus, arrive à surmonter cette maladie. Et puis les Anglais arrivent et sauvent les derniers rescapés. Ils soignent (la mère de Sarah a une dysenterie), redonnent des forces à tous ces corps épuisés.
Et le 25 mai 1945, les deux femmes arrivent à Paris. Elles sont vivantes, il va leur falloir réapprendre à vivre tout en assimilant l’idée que si elles ont été déportées c’est parce qu’elles sont juives et non parce qu’elles étaient prisonnières de guerre ou résistantes.
Ce très beau et émouvant récit est suivi d’un corpus documentaire avant tout historique qui permet de situer cette histoire individuelle dans la tourmente de l’Histoire. Annexes utiles, pédagogiques permettant de nommer l’innommable.
En 1998, un succès de librairie fut Matin brun de Franck Pavloff qui est toujours étudié dans les écoles. Ce petit livre, cette fable démontre les mécanismes qui amènent à la « solution finale ». Vous ne nous séparerez pas est la prolongation naturelle, le récit des conséquences des idées nauséeuses. Ces livres sont d’utilité publique car ils s’adressent à de futurs citoyens à ceux qui vont bâtir la société du futur.
Et surtout, il faut lire et comprendre la fin de l’interview que donne Sarah Montard-Lichtsztejen à l’auteur qui est un vrai message humaniste : « je ressens de la haine pour les nazis d’hier et d’aujourd’hui, et aucun ressentiment particulier contre les Allemands et les Français ».
Vous ne nous séparerez pas
Régis Delpeuch
Illustration de Myrtille Vardelle
éditions ScriNeo. 12€90
Illustration de l’entête: arrivée à Auschwitz de Juifs hongrois. Wagons affrétés de la SNCF