Saison 2 , Épisode 4
Après le débarquement allié en Normandie, et selon les souvenirs d’Albert Speer, les intrigues de palais mêlées aux décisions d’Hitler de plus en plus irrationnelles et erratiques, accélérèrent la chute du troisième Reich, devenue maintenant inévitable.
L’autorité d’Hitler en question
Fin juillet 1944, l’Obergruppenführer SS Kaltenbrunner, chef de la Gestapo, se fit annoncer chez Albert Speer. Il était d’humeur cordiale, ce qui ne manqua pas d’inquiéter Speer.
Le 20 juillet, l’attentat qui avait failli tuer Hitler avait échoué, tout le monde était encore plus nerveux que d’habitude. «Nous avons trouvé dans le coffre-fort de Bendlerstrasse la liste du gouvernement prévu par les conjurés du 20 juillet. Vous y êtes porté comme Ministre de l’Armement». Speer fut consterné d’apprendre cette nouvelle, et cela se vit sur son visage, convainquant peut-être Kaltenbrunner qu’en effet, Speer n’était pas au courant. D’ailleurs, à côté de son nom, un conjuré sceptique avait écrit au crayon: «Si possible».
L’affairer s’arrêta là, et Hitler n’y fit jamais allusion. Mais cet incident avait affaibli Speer face à son ennemi du jour : Goebbels. Ce dernier avait, quelques jours auparavant, été chargé par Hitler de mobiliser le pays pour la Guerre Totale. Goebbels en profita pour s’immiscer dans la gestion des entreprises industrielles, en particulier les entreprises d’armement, qui étaient clairement le domaine de Speer. De fait, encouragés par Goebbels, les gauleiters exerçaient une pression énorme sur les chefs d’entreprise, créant, selon les termes de Speer, une «énorme pagaille».
Speer décida, le 20 septembre, d’écrire une lettre à Hitler à ce sujet, exposant les griefs du parti à son égard, ses efforts pour l’éliminer, ses soupçons et ses tracasseries. Il y indiquait qu’il ne se sentait pas en mesure «de mener à bien, en toute liberté et avec des chances de succès, la mission technique dont nous étions chargés, mes collaborateurs et moi, si notre travail devait être apprécié en fonction des critères politiques du parti…il est indispensable de décider sans équivoque si l’on veut à l’avenir continuer à diriger l’industrie selon le système fondé sur l’autonomie de l’industrie en faisant confiance aux chefs d’entreprises, ou si l’on veut appliquer un autre système. A mon avis, les chefs d’entreprises doivent conserver la responsabilité de leur entreprise et cette responsabilité doit être soulignée avec autant de force que possible». Cette lettre fut remise à Hitler le 21 septembre 1944 à son quartier général; il la lut sans dire un mot et sonna son aide de camp, le priant de la remettre à Bormann, c’est-à-dire à Goebbels (Bormann et Goebbels étaient alliés) !! Hitler était manifestement fatigué de devoir intervenir sans cesse dans ces querelles intestines.
Quelques heures plus tard, Speer reçu un message de Bormann, qui le priait de venir dans sa chancellerie. Il y reçut Speer en bras de chemise, les bretelles bien en évidences sur son «gros torse». Goebbels était là lui aussi, tiré à quatre épingles. Speer fut alors soumis à une véritable explication de gravure. Goebbels dit à Speer qu’il entendait bien user des pleins pouvoirs que Hitler lui avait conféré par décret le 25 juillet, et que donc il était en mesure de lui donner des ordres. Speer n’avait plus qu’à se soumettre à Goebbels. Ce dernier ajouta qu’il n’appréciait pas que l’on cherche à influence directement le Führer, et de plus dans son dos. Goebbels devenait de plus en plus désagréable, cynique et menaçant. Cette fois, Goebbels avait gagné la partie et avait soumis Speer. Le droit à l’initiative que réclamait Speer existait maintenant, mais d’une manière surprenante, c’était Goebbels qui le détenait.
Mais, 48 heures plus tard, Hitler changea d’avis et signa un document destiné aux directeurs d’usine, les mettant à l’abri des intrusion de Goebbels. Speer pensa que ce document marquait une victoire contre le tandem Goebbels-Bormann, mais en vérité, ça n’était pas le cas. Goebbels ignora royalement les instructions d’Hitler, passa par dessus, et intervint directement dans l’économie du Reich.
Le troisième Reich commençait à se décomposer, l’appareil du parti était rongé de l’intérieur, le loyalisme des dirigeants vis-à-vis d’Hitler n’était plus tout a fait absolu. «Désorienté (Hitler) était pris entre les exigences de Goebbels, qui réclamait toujours plus de soldats, et ma volonté d’accroître la production d’armement. Il approuva tantôt l’un tantôt l’autre, donna son accord à des ordres contradictoires, jusqu’au jour où les bombes et la progression des armées ennemies finirent par rendre totalement caduques l’une et l’autre de ces attitudes, puis notre différent lui-même, et pour finir, la question même de l’autorité de Hitler», dit Speer.
La folie destructrice de Hitler
En septembre 1944, les généraux, les industriels, les gauleiters, tout le monde à l’ouest s’attendait à une offensive ininterrompue des anglo-américains contre les troupes allemandes désarmées et épuisées, et personne ne pensait qu’on put les arrêter.
Les attributions ministérielles de Speer incluaient la préparation de la destruction des installations industrielles avant la conquête des territoires par l’ennemi. Cette politique de la «terre brulée» avait déjà commencé en Union Soviétique, la même politique devrait être mise en place à l’ouest.
Mais Speer voyait un peu plus loin. Il pensait qu’il fallait éviter de causer des dévastations qui auraient gravement compromis toute reconstruction ultérieure; mais Hitler et son entourage était gagné par une obsession de l’anéantissement. Speer eut recours à un stratagème : il fit valoir au Führer que, les revers étant provisoires, il fallait épargner les installations qui seraient dans l’avenir indispensables à la poursuite de la politique d’armement. Etant donné que, même dans les situations les plus désespérées, Hitler affirmait que les territoires perdus seraient reconquis, il suffisait d’utiliser cet argument pour duper Hitler et le faire fléchir ! C’était très simple et ça marchait.
Ains, le 20 juin 1944, après que les Américains eurent encerclé Cherbourg, Hitler renonça, au nom de ce principe, a détruire les capacités de production locale ainsi que la déportation en Allemagne d’un million de Français !
Mais la folie destructrice d’Hitler le repris bien vite. La 19 août, alors que les alliés se trouvaient au nord-ouest de Paris, Hitler repris sa marotte consistant à détruire totalement les capacités industrielles françaises; Speer obtint du Führer que ces installations soient non pas détruites, mais simplement neutralisées.
Il fallait se battre à chaque fois avec Hitler pour éviter que cette politique de la «terre brulée» soit appliquée avec trop de rigueur, et il fallait recourir aux mêmes arguments, qui commençaient à perdre toute crédibilité. Il devenait de plus en plus difficile d’affirmer que le replis des troupes allemandes n’était que provisoire alors que la défaite se profilait avec de plus en plus de netteté. L’argument devenait absurde et lorsque les alliées pénétrèrent en Allemagne, Hitler ordonna que la politique de la «terre brulée» soit appliquée impitoyablement, y compris en Allemagne, sur son propre territoire. Hitler ordonna la destruction des installations industrielles, des centrales électriques, des usines à gaz, des usines de distributions d’eau, du téléphone, mais également de tout ce qui était nécessaire au maintien de la vie. Les alliés, même en Allemagne, devaient pénétrer dans un désert dépourvu de toute vie !
Hitler l’incompétent
La machine de production d’armement tournait à plein. Alors qu’en 1939, l’industrie allemande avait fabriqué 771 chasseurs pour l’aviation, elle en produisit 12.720 durant les derniers six mois de la guerre !
En juillet 1944, Hitler avait donné son accord pour la formation accélérée de 2.000 pilotes.
Adolf Galland, général de l’aviation de chasse, et Speer, avaient fait un calcul très simple. Lors des bombardements au dessus de l’Allemagne, les formations de bombardiers alliés s’étalaient sur 1.000 kilomètres, offrant à la chasse allemande un flanc très vulnérable. Galland et Speer avaient calculé que l’Allemagne perdrait un chasseur par bombardier ennemi abattu au dessus de l’Allemagne. Mais comme les combats aériens auraient lieu au dessus du territoire allemand, les pilotes et équipages allemands seraient récupérés tandis que les pilotes et équipages ennemis seraient fait prisonnier. Certes, les Alliés étaient supérieurs en nombre d’hommes et en matériel, mais à terme, de cette manière, l’Allemagne pourrait rétablir l’équilibre. Cette stratégie pouvait réussir et faire cesser les bombardements des villes allemandes.
A la mi-août, le général Galland, très agité, demanda à Speer de l’accompagner chez Hitler. Ce dernier avait ordonné aux 2.000 pilotes récemment formés de constituer une flotte aérienne, nommée «Reich», et de rejoindre le front de l’ouest. Or, Galland et Speer en étaient convaincus, un engagement sur le front ouest plutôt qu’une stratégie d’attaque des bombardiers au dessus de l’Allemagne signifiait le destruction rapide de ces avions.
Hitler écouta silencieusement les arguments de Galland et Speer, mais l’expression de son visage, l’agitation de ses mains et le fait qu’il se rongeait les ongles, indiqua à Speer que Hitler était très en colère. Hitler perdit alors le contrôle de lui-même, son visages s’empourpra et ses yeux se figèrent. «Les mesures opérationnelles sont mes affaires, dit-il ! Occupez-vous donc de votre armement ! Cela ne vous regarde pas ». Puis il ajouta «Je n’ai plus de temps à vous consacrer». L’entretien était terminé.
C’est ainsi que le le lendemain, Hitler convoqua Speer et Galland et leur dit : «je ne veux plus que l’on produise d’avions ! La chasse est dissoute. Arrêtez la production d’avions ! Immédiatement, c’est compris ?…récupérez tous (les ouvriers spécialisés) et envoyez les tous à la production de D.C.A». Puis Galland et Speer furent mis à la porte.
Cette décision était absurde, l’aviation étant susceptible de détruire bien plus d’avions ennemis que la D.C.A., et Speer décida de ne pas l’appliquer. Trois jours plus tard, Hitler s’était calmé. Il revint sur sa décision et ordonna que l’on continue la production de chasseurs
À suivre… prochain article:
24h avant l’apocalypse, mise en ligne le vendredi 5 mars
(*) «Erinnerungen», Albert Speer, Propyläen Verlag, 1969
En version française :
«Au coeur du troisième Reich», Albert Speer, Arthème Fayard, 1971
Le XXème siècle, un siècle de fer et de sang
par Jacques Trauman
Une série de 15 articles/ Staline, Hitler et Mao
Calendrier de publication
Saison 1.
Staline
1/1 Une sympathique petite équipe
mise en ligne à partir du vendredi 6 novembre 2020
1/2 Un dîner qui finit mal
mise en ligne à partir du vendredi 13 novembre
1/3 Le tribunal des flagrants délires
mise en ligne à partir du vendredi 20 novembre
1/4 Une improbable rencontre
mise en ligne à partir du vendredi 27 novembre
1/5 Un mélomane passionné
mise en ligne à partir du vendredi 4 décembre
Du fait d’une attaque informatique qui a considérablement endommagé et paralysé notre magazine pendant près d’un mois et mis à mal un certain nombre d’articles, les mises en ligne initialement prévues pour cette série d’articles de Jacques Traumann ont du être décalées. Nous vous prions de bien vouloir nous excuser.
Voici la nouvelle programmation :Saison 2
Hitler
2/1 Dans la tannière du diable
mise en ligne vendredi 5 février 2021
2/2 Le style c’est l’homme
mise en ligne à partir du vendredi 12 février 2021
2/3 Hitler chef de guerre
mise en ligne à partir du vendredi 19 février
2/4 Le commencement de la fin
mise en ligne à partir du vendredi 26 février
2/5Vingt-quatre heures avant l’apocalypse
mise en ligne à partir du vendredi 5 mars
Saison 3.
Mao Zedong毛泽东
3/1 La momie de Zhongnanhai
mise en ligne à partir du vendredi 12 mars
3/2 Mao et Staline
mise en ligne à partir du vendredi 19 mars
3/3 Dans la tannière de la louve
mise en ligne à partir du vendredi 26 mars
3/4 Guerre et Paix
mise en ligne à partir du vendredi 2 avril
3/5 Nous sommes informés de tout, nous ne savons rien
mise en ligne à partir du vendredi 9 avril