Cézanne le maître de la Provence…
Les Carrières de Lumières, après Salvador Dalí, consacrent leur prochaine exposition artistique immersive à Paul Cézanne, (1839-1906), l’enfant de la Provence aux 900 toiles et 400 aquarelles. Dans le programme court, le fondateur de l’art abstrait Vassily Kandinsky.
« Cézanne, le maître de la Provence« suivi de « Vassily Kandinsky, l’odyssée de l’abstrait« , cerise sur le gâteau, sont visibles jusqu’au 2 janvier 2022. Si la situation le permet, mais pour l’heure, l’expo n’est pas ouverte au public. Si tout va bien, elle le sera en avril, même si aucune date n’est avancée.
« Nous sommes fermés depuis fin octobre, l’impact de la crise est majeur, mais malgré tout, nous avons à cœur de développer l’exposition, c’est un travail auquel nous avons continué de croire. », confie Etienne Devic, directeur des Carrières de Lumières.
Créé et mise en scène par Cutback, sous la direction artistique de Gianfranco Iannuzzi, le long métrage nous embarque pour un voyage au cœur des œuvres majeures de Cézanne. Comme toujours, on découvre les tableaux autrement. On se régale notamment de tous ces détails souvent imperceptibles à l’œil nu, qui ici, occupent une grande place sur les murs immenses des carrières.
En outre un artistique prolifique, c’est le peintre et poète, Vladimir Kandinsky (1866-1944), qui lui aussi a révolutionné l’histoire de l’art avec des compositions éclatantes. Ainsi, quelle belle idée que d’associer ces deux artistes car leurs recherches sur la symbolique de la couleur et des formes se font écho. En effet on est ici dans l’essence même de la création. Des débuts figuratifs, teintés d’impressionnisme pour les deux, puis chacun part vers son langage, dans un formidable élan de modernité.
Virginie Martin, Motion designer et architecte nous dira : « Concevoir une exposition immersive, c’est ouvrir un dialogue entre la peinture, la musique, l’architecture, le numérique et le visiteur. C’est une invitation à se libérer du réel à travers un voyage multi-sensoriel. C’est le cheminement du figuratif à l’abstraction qui m’intéressait, comment par la couleur Kandinsky nous fait perdre nos repères pour basculer dans l’abstraction. La musique s’immisce entre les traits de pinceau, et la puissance du lieu offre un autre regard sur les œuvres où le visiteur devient spectateur d’une réalité différente. »
Parmi les œuvres musicales, Dvorák: Serenade For Strings In E,Op.22, B. 52 – 2. Tempo di valse· Berliner Philharmoniker · Herbert von Karajan
D’autres peintures se dévoilent dans les Carrières au son du Prélude de Lohengrin de Wagner, en référence à l’amour inconditionnel de Kandinsky pour la musique. « C’est en écoutant cet opéra, que le peintre a eu la révélation d’une « sensation colorée, de ce don desynesthésie ». « Cette musique colle parfaitement à l’histoire de Kandinsky », commente Virginie Martin. Symbolisme, art populaire, abstraction, des séquences magiques. Tout est superbe. C’est sans doute « Le Bauhaus » et « Cosmos », les derniers tableaux du spectacle court qui retiennent le plus notre attention. Ce bouquet final marque les esprits. Une approche scientifique de l’art mais néanmoins poétique. Ainsi il émane de ce final une atmosphère optimiste et joyeuse. « Il s’agit d’un Kandinsky presque scientifique, décrit la réalisatrice, qui va nous emmener vers le cosmos, le microcosme et à la fois le macrocosme, c’est-à-dire que l’on regarde les choses au microscope, tout en gardant la tête dans les étoiles »
Et pour l’accompagner le génial David Bowie – Space Oddity. « L’idée avec ce choix était de s’envoler », conclue la réalisatrice, une musique sur « mesure » !
Revenons à Cézanne qui débute la projection
Son aventure aux Carrières débute au Louvre. C’est là que le jeune peintre passait des heures à étudier les œuvres des Maîtres anciens. Puis arrive la pomme ! C’est par elle que tout semble commencer.
« Avec une pomme, je veux étonner Paris ! » dira Paul Cézanne. Pour l’heure se sont les fruits habituellement « paisibles » qui nous surprennent, tant leur « entrée en scène » est inattendue. Un clin d’œil à l’artiste qui bouscule les codes. Elles volent de toutes parts, pour se retrouver dans des compositions de natures mortes cézanniennes, accompagnées des notes Jazzy et dynamiques de Songe d’Automne du Rosengerg Trio, composé par Django Reinhardt.
On poursuit la balade dans la nature, on la respirerait presque, alors que, ne l’oublions pas, nous sommes dans les Carrières. « J’ai souhaité tracer un parcours sur la nature » nous dira Gianfranco Ianuzzi. C’est le leitmotiv du spectacle ». Effectivement, quel ravissement lorsque soudain s’ouvrent sous nos pas des parcs et jardins. Les grands arbres nous font de l’ombre et au détour d’une clairière, on assiste à des scènes de vie joyeusement colorées. L’eau s’écoute. Les baigneurs et les baigneuses s’en donnent à cœur joie, se fondent avec la nature, arbres et corps entremêlés sur la musique superbe Lonesome Blues de Eddy Davis, Greg Cohen, Woody Allen.
Mais le calme sera de courte durée. Car Cézanne est tourmenté. Retour sur les interprétations qu’il fera des peintures des Maîtres anciens. Des visions sombres et parfois cauchemardesques. « On reconnait cette touche de jeunesse, très épaisse, commente le réalisateur, une touche réalisée à la spatule presque grossièrement. » Les touches s’affinent au fil du temps, jusqu’à donner la vibration de la lumière. On le sait, il reprenait ses œuvres des heures, des jours, des semaines voire des mois plus tard, pour arriver au bout de sa recherche.
Alors on souffle un peu pour découvrir ses autoportraits. Pas forcément très paisibles pour nous, le public. On peut lire dans ses yeux, sa mine renfrognée, cette manière de peindre sans complaisance, tous ses doutes. Pour les accompagner, la musique du King Arthur or the British Worthy – Act III : What Power art thou (Cold Genius) de Henry Purcell – par Emmanuelle Haïm.
Un peu d’apaisement ensuite avec un retour sur ses terres de Provence. Des paysages qui nous sont désormais familiers, de même que sa famille, sa mère, son père, sa femme, son fils, les célèbres joueurs de cartes… On nous emmène encore au Jas de Bouffan. Peintures et photos s’entremêlent sur Blessed Are The Peacemakers by Woody Jackson, Tournesol (Live) par Stéphane Grappelli.
« Il faut traiter la nature par le cylindre, la sphère et le cône » ainsi disait Paul Cézanne. Nous entrons dans son atelier d’artiste avec l’air d’ouverture des Noces de Figaro de Mozart.
Dans cet atelier on est avec Cézanne. On oublie presque que nous sommes aux Carrières, c’est le peintre qui nous ouvre la porte. On se retrouve parmi les objets familiers, les modèles de ses natures mortes, son mobilier, ses dessins. C’est là qu’il étudie la perspective, expérimente les couleurs, les traits.
Les images présentées nous montrent comment le peintre compose et ouvre la voie au cubisme. Pour cette longue séquence, plusieurs musiques parfaitement choisies parmi lesquelles :
Rameau : Les Indes galantes, Quatrième entrée «Les sauvages » : «Forêts paisibles» (Zima, Adario, Sauvages) – Jean-Philippe Rameau – interprété par Aimery Lefèvre, Alexis Kossenko, Le Jeune Chœur de Paris, Les Ambassadeurs, Sabine Devieilhe. La musique est très variée », explique Gianfranco Iannuzzi, Schubert, Rameau, Vivaldi, mais aussi du blues, du jazz, des choses plus contemporaines qui montrent aussi cette ouverture vers la modernité.
Des scènes maritimes aux paysages de Bibémus, ce sont d’autres visions qui s’offrent à nous. De belles vibrations se font sentir, tant visuelles que musicales avec la Valse Triste – Sibelius – par Berliner Philharmoniker Herbert von Karajan. On termine le voyage, vous l’aurez deviné avec un final magnifique autour de Sainte Victoire.
Sa montagne, qui se fera changeante, au gré du temps, de ses humeurs, de ses recherches. « Longtemps je suis resté sans pouvoir, sans savoir peindre la Sainte-Victoire parce que je l’imaginais, l’ombre concave, comme les autres qui ne regardent pas, tandis que, tenez, regardez, elle est convexe, elle fuit de son centre. Au lieu de se tasser, elle s’évapore, se fluidise. Elle participe toute bleutée à la respiration ambiante de l’air. »
Des scènes illustrées par des Pièces de clavecin, Book 1 (1746): No. 11 Le Vertigo – Joseph-Nicolas-Pancrace Royer – par Jean Rondeau. Générique : Vremena goda, Op. 67: L’Automne: Petit Adagio – Alexander Glazunov – interprète par Neeme Järvi Royal Scottish National Orchestra
Voilà un peintre qui a un peu snobé Paris, s’amusera Gianfranco Iannuzzi. Alors que tout le monde voulait être dans la capitale, ou à Auvers-sur-Oise notamment, lui s’est retiré ici. Son refuge était la Provence ».
Quelques focus sur des tableaux majeurs
Sainte-Victoire. Là encore, ses toiles sur ce thème sont des œuvres emblématiques du Maître d’Aix qui préfigurent le cubisme. C’est dans un cabanon situé à Bibémus, à portée de chevalet de ces carrières à ciel ouvert aujourd’hui abandonnées, que Cézanne trouve une nouvelle inspiration. Il entrepose son matériel dans le cabanon et viendra souvent peindre sur le motif. Une vie simple que le peintre affectionnait particulièrement.
Cette grande bâtisse du 17ème siècle est actuellement fermée pour des travaux de réhabilitation. Il nous tarde de re-découvrir l’ancienne demeure des Cézanne, inscrite au titre des Monuments historiques depuis 2001 et propriété de la ville depuis 1994. Autour de la bâtisse et de la ferme, 15 hectares de terrain, à 2 kms du centre d’Aix-en-Provence, On voit la bâtisse de biais. La maison « des vents » (Jas du Bouffan, en provençal), a été peinte à maintes reprises. Cézanne apporte à ces vues, toute la fraicheur et l’harmonie d’un lieu aimé. Il est attaché et l’écrira dans de nombreuses lettres, à ces arbres magnifiques qu’il décrit au moyen d’une succession de touches vibrantes, dans une gamme de verts très nuancée. La façade est irradiée de soleil, une lumière éblouissante. Nature et architecture ne font qu’un.
C’est un des lieux magiques des paysages cézanniens, la critique dit que c’est là que Cézanne devient Cézanne. Il se réinvente à travers le traitement de ce paysage et l’enjeu de ses séjours à l’Estaque est avant tout d’ordre pictural. Il est attiré par le motif, « la végétation qui ne change pas. Ce sont des oliviers et des pins qui gardent toujours leurs feuilles » et c’est cette permanence des formes et des couleurs qui inspirent le peintre et fait qu’il dépassera l’impressionnisme.
On est bien loin des natures mortes des débuts, sombres, dramatiques, ici, la couleur s’invite. Le vase est un pot d’olives, on les connait bien dans la région avec leur teinte bicolore. Cézanne aime placer dans ses natures mortes des objets simples du quotidien, des objets artisanaux, qu’il peint en accentuant leurs défauts, loin des conventions académiques. Il disait « Quand la couleur est à sa puissance, la forme est à sa plénitude ».
Les voilà les pommes de Cezanne, savamment mises en scène, parmi des objets utilisés dans la plupart de ses natures mortes. Des formes simples, rondes, des rouges, des oranges, des jaunes, des couleurs vives qui s’imposent au regard. On voit encore à quel point le peintre sais rendre somptueux le quotidien, et un objet banal, comme ce pot à gingembre qui brille de mille éclats, se fait superbe sous ses pinceaux.
Ce thème traditionnel de la peinture classique intéressera Cézanne qui l’étudiera dans près de 200 études et tableaux. Une de ces œuvres fera 2,08m sur 2,49m. Celle-ci, forcément présentée en grand format sur les murs des carrières est en réalité relativement petite. Cela n’enlève en rien à ses qualités picturales. Même si l’œuvre semble inachevée, comme une étude préparatoire, il ne lui manque rien ! Ce qui intéresse le peintre, ce ne sont pas les visages bien dessinés, ils sont comme invisibles ici, mais c’est l’harmonie qui se dégage de la scène. On s’éloigne là encore de la représentation fidèle de la nature dans cette composition particulièrement complexe.
Il s’agit du fils de Paul Cézanne né en 1872, l’unique enfant qu’il a eu avec Hortense Fiquet, sa compagne. L’enfant, de trois quarts, comme souvent dans des portraits de l’artiste, est comme photographié. Un morceau de dossier rouge d’un fauteuil, un fond travaillé de touches vertes, roses, bleues, et l’enfant dans sa blouse grise occupe pratiquement toute la toile. L’enfant, qui avait du mal à garder la pose, était l’enfant chéri de son illustre père, attachement réciproque. Toutefois, pour des raisons familiales, le garçon a surtout vécu surtout sa mère.
Dès 22 ans, Cézanne inaugure un exercice aussi intime qu’esthétique. Avec les autoportraits, l’artiste « fouille » les méandres de sa personnalité, complexe il est vrai, et observe, au fils des ans, l’implacable dégradation de son corps. On le découvre ici à 46 ans, une vision sans complaisance, visage fermé, voire légèrement hautain et un regard intense sous son chapeau melon. L’attitude « vive », cette tête qui se tourne vers nous, spectateur, donne une énergie rare à l’œuvre. Peu de décor, Cézanne reste surtout concentré sur son sujet comme pour chasser toute diversion.
Hortense représente pour le peintre son archétype féminin, visage ovale, et nez grec. Il fera 45 portraits d’elle. On parle de distance « respectueuse » entre les deux, voire de tendresse.
Elle le suivra partout, d’Auvers-sur-Oise à Paris, en passant par l’Estaque et Aix en Provence, même s’ils ne vivront pas ensemble au quotidien. Il ne consent à l’épouser que 15 ans après leur rencontre. A moins que ce ne soit elle, car elle avait la réputation d’être une femme de tête, et lui, on connait son caractère d’ours mal léché.
À 10 minutes de son atelier des Lauves, sur une colline qui surplombe Aix-en-Provence, Cézanne installe souvent son chevalet pour peindre sa montagne. La vue y est somptueuse. Il ne se lasse pas de la peindre, on peut parler d’une véritable obsession, et là encore, on comprend qu’elle est à la base d’une expérimentation permanente sur la composition et l’harmonie des couleurs. Une étude toujours plus passionnée. On aime cette œuvre étonnante par le travail du fond noyé dans une atmosphère bleue, ce ciel audacieux parcouru de verts, et les lumières réalisés par des blanc en réserve, comme dans les aquarelles. Toutes ces touches vertes, bleues ocres, apportent rythme, volume et mouvement à l’ensemble et notre regard est guidé vers le somment de la montagne.
Quelle puissance dans cette œuvre. Plus que jamais on peut parler d’expérimentations. Les touches forment des « vagues » qui submergent le Château Noir, situé entre le Tholonet et Aix, les lignes droites du bâtiment contrastent avec les éléments qui l’entourent. La vision de la nature repose sur la structuration géométrique des objets. On est aux portes du cubisme. Trois ans plus tard, Braque et Picasso développeront ce traitement de la nature. Et d’autres encore se réclament de lui… Fauves, expressionnistes allemands.
Les Carrières de Lumières se situent aux Baux-de-Provence à 800 mètres du Château, 15 km au nord-est d’Arles et à 30 km au sud d’Avignon.
Les Carrières de Lumières sont entièrement accessibles aux personnes à mobilité réduite