Accueil Livres, Arts, ScènesHistoire Mao et Staline-Le XXème siècle, un siècle de fer et de sang (Saison 3-2/5)

Mao et Staline-Le XXème siècle, un siècle de fer et de sang (Saison 3-2/5)

par Jacques Trauman

                                                                                 

« Qu’est-ce qu’un million d’hommes pour moi? », avait dit Napoléon

«Mao n’avait pas d’amis et était isolé de tout contact humain normal…il n’avait pas d’émotions humaines et était incapable d’aimer…peut-être avait-il vu tant de gens mourir qu’il s’était immunisé contrer la souffrance humaine, dit le docteur Li*. Mais il n’en avait pas moins une idée grandiose de sa place dans l’Histoire. Il n’eut jamais aucun doute sur l’importance de son rôle. Il était le plus grand leader, le plus grand empereur de tous -l’homme qui avait unifié le pays et allait le transformer, celui qui allait restaurer l’ancienne grandeur de la Chine.

Dr. Li Zhisui et Mao Zedong

Mao n’utilisa jamais le mot «modernisation» avec moi. Il n’était pas un homme moderne. Au contraire, il voulait rendre le pays riche et lui redonner sa gloire d’autrefois. Un rebelle et un iconoclaste, il oserait transformer la Chine, et lui rendre sa grandeur…Mao ETAIT la Chine, et il se méfiait de quiconque pourrait remettre sa position en question, ou dont la vision pourrait être différent de la sienne. Il disposait de ses ennemis sans pitié. La vie de ses sujets ne valait pas cher…

J’ai su dès octobre 1954, à la suite d’un meeting avec le premier ministre indien Jawaharlal Nehru, que Mao considérait la bombe atomique comme un «tigre de papier» et qu’il était prêt à ce que la Chine perde des millions de gens afin de gagner la guerre contre les impérialistes. «Il ne faut pas avoir peur de la bombe atomique, dit Mao à Nehru, la Chine a une vaste population…la mort de dix ou vingt millions de personnes ne doit pas nous effrayer». Nehru fut choqué…

Olécio partenaire de Wukali

De surcroît, en 1957, dans un discours, Mao dit qu’il était prêt à perdre 300 millions de Chinois -la moitié de la population d’alors. «Même si la Chine perdait la moitié de sa population, la pays n’en souffrirait pas beaucoup. On peut toujours produire plus de Chinois», disait-il (selon d’autres sources, il aurait dit plus crument : «les Chinois n’auront qu’à baiser plus»)…Cependant ce n’est pas avant le Grand Bond en avant 大跃进, quand des millions de Chinois moururent de famine, que je réalisais à quel point Mao ressemblait aux empereurs sans pitié qu’il admirait tant. Mao savait que des millions de gens étaient en train de mourir. Cela lui importait peu».
Ainsi parle le docteur Li.

Une vieille histoire

Mao se méfiait, on vient de le voir, de toute personne qui pouvait remettre sa suprématie en question. «La loyauté, pas les principes, était la vertu par excellence. Mao était le centre autour duquel tout devait s’organiser. Il demandait une loyauté totale à tous ses subordonnés», dit le docteur Li.

Mais s’il y avait quelqu’un dont Mao pensait qu’il ne lui était pas loyal, quelqu’un qui pouvait remettre sa suprématie en question, quelqu’un dont il se méfait comme de la peste, c’était bien Staline.

Mao Zedong et Staline
Mao assiste à Moscou au 70è anniversaire de Staline. 21 décembre 1949.

Toutefois le docteur Li croyait au début que l’Union Soviétique était le «Grand Frère» de la Chine, c’est d’ailleurs ce que clamait la propagande à tout bout de champs; mais la réalité était tout autre. La vérité était que Mao détestait Staline, en qui il n’avait pas la moindre confiance. Et cet état de fait remontait au début du communisme chinois.

Chiang Kai-Shek  et Mao Zedong
Chiang Kai-Shek

Dès 1924, alors que le Parti communiste chinois avait trois ans à peine, le Comintern, dirigé par Staline, lui avait enjoint de faire alliance avec le Guomintang de Chiang Kai-Shek; et ceci pour sortir la Chine du chaos et lutter efficacement contre les «seigneurs de la guerre».

Mais en 1927, Chiang Kai-Shek se retourna contre le Parti communiste, le massacrant dans les villes où il était implanté. Mao décida alors de se réfugier dans les campagnes, et en particulier dans son Hunan natal? C’est là qu’ il imagina que les paysans pourraient le soutenir et lui permettre de gagner la partie, faisant de la révolution chinoise une révolution avant tout paysanne. Il n’y avait rien de marxiste-léniniste là-dedans, mais Mao pensa que cette stratégie s’accommoderait mieux dans le paysage chinois, avec ses particularités. Mao établi une base dans les montagne reculées du Jiangxi, lançant des opérations de guérilla contre les forces de Chiang Kai-Shek.

En 1930, Staline nomma un jeune homme de 25 ans qui avait fait des études supérieures en Union Soviétique, Wang Ming, comme son représentant en Chine. Wang Ming, en communiste traditionnel, poussa Mao à abandonner sa stratégie paysanne et à retourner dans les villes. Mao détestait que Staline dise de lui qu’il est «rouge à l’extérieur mais blanc à l’intérieur

Or il n’en reste pas moins que Chiang Kai-Shek regagnait du terrain, encerclant petit à petit Mao et ses révolutionnaires dans le Jiangxi, poussant Mao a entamer sa «Longue Marche» 长征 de 10.000 kilomètres, et sa route vers le pouvoir.

Donc en un mot, pour Mao, les premiers échecs du parti communiste chinois avaient une seule et même cause : Staline.

Mao accusa aussi Staline de se coucher devant les Américains après la Seconde Guerre mondiale, et de pousser le Parti communiste Chinois, à l’instar des communistes français, italiens et grecs, à rendre leurs armes au gouvernement en place. Staline n’offrit aucune aide aux communistes chinois, pas d’armes, pas de munitions, «pas même un pet», selon Mao ! «Alors, pendant l’hiver 1949, j’allais à Moscou pour négocier, ajouta Mao. Mais Staline ne me faisait pas confiance. Il me fit attendre deux mois sans rien négocier. Alors à la fin, je pris la mouche et je partis».

Guerre de Corée-affiche de propagande chinoise
Affiche de propagande chinoise célébrant
l’alliance avec la Corée du Nord

Puis il y eut la guerre de Corée. Lorsque les forces américaines atteignirent la rivière Yalu, Mao dit à Staline qu’il voulait envoyer des troupes; mais Staline l’arrêta, craignant une Troisième guerre mondiale. Etc…etc…

Quand Mao lui raconta tout cela, le docteur Li fut stupéfait. Selon la doxa officielle, l’Union Soviétique était le modèle de développement de la Chine et son allié le plus proche. Mais la réalité, selon Mao, était que la relation avec l’Union Soviétique était celle d’un dominant à un subordonné : «Ils veulent nous bouffer», dit Mao au docteur Li.

Cependant, Mao garda sa rancune pour lui, ne rendant jamais ses critiques publiques.

Aux sources de la Révolution culturelle

Février 1956

Le maréchal Zhu De était aimé de tous les Chinois, et il sucrait les fraises. Grand-père de la révolution, respecté de tous, vieux compagnon de Mao, il avait crée avec lui l’Armée Rouge chinoise, l’avait commandée, et était Vice-Président de la République depuis 1954, un poste largement honorifique. Il n’avait aucune ambition politique, et s’était développé une passion pour les orchidées, qu’il élevait dans sa serre de Zhongnanhai.

Là-dessus éclata en 1956 un coup de tonnerre. Au Vingtième Congrès du Parti communiste de février 1956, à Moscou, Khrushchev avait fait un discours secret contre Staline !! Mao n’y était d’ailleurs pas allé, il y avait envoyé le maréchal Zhu De, ce qui montre bien le peu d’importance qu’il accordait à ce Congrès.

Par ailleurs ni Mao ni Zhu De ne s’attendaient cependant à cette «dé-stalinisation», et Zhu De envoya un cable demandant des instructions à Mao, en suggérant de s’associer à Khrushchev. On eût pu s’attendre à ce que Mao, étant donné sa haine de Staline, ne se réjouisse. Eh bien pas du tout !! «Zhu De est un homme ignorant, fuma Mao. Lui et Khrushchev ne sont pas fiables».

Mao empereur de Chine
Mao Imperator

En fait, le destin de Staline et celui de Mao était plus lié qu’on ne pouvait le croire. Ainsi Mao avait une croyance mystique en son rôle de leader de la Chine, il ne douta jamais que son leadership, et seulement son leadership, pourrait permettre à la Chine de se relever. La croyance populaire le voyait en messie, et il était bien d’accord là-dessus. L’attaque de Khrushchev contre Staline pouvait  aussi miner sa propre position, et remettre en question son rôle de leader. En un mot, admettre qu’une attaque contre Staline était possible était admettre qu’une attaque contre lui pouvait l’être également.

En 1953, à la mort de Staline, Mao avait soutenu Khrushchev, mais désormais, c’était une autre histoire…Khrushchev avait violé un des pilier de la révolution : la loyauté absolue. Khrushchev devait sa propre position à Staline, comment pouvait-il le renier ?

De plus, Khrushchev jouait le jeu des impérialistes «Il leur donne une épée, il aide le tigre à nous faire du mal, était son jugement. L’union Soviétique peut attaquer Staline mais nous, nous ne le ferons pas. Et pas seulement. Nous continuerons a le défendre».

Mao Zedong et Khrushchev
Nikita Khrouchtchev et Mao Tse Toung en 1959. La joie éclate sur les visages. o1959 ©Collection Zullo/leemage

En effet, Mao ne pardonna jamais l’attaque de Khrushchev contre Staline. Du coup, Mao commença à se méfier, et sa désamour contre le Parti communiste chinois prit forme. L’imitation obséquieuse et peu créative du Parti communiste chinois à l’égard de celui de l’Union soviétique le perturbait; car la Chine avait suivi la voie soviétique. Effectivement, bureaucratie massive, collectivisation complète dans les campagnes, contrôle des usines par le Parti, tout cela était emprunté à l’Union soviétique.

Mais Mao ne l’entendait pas de cette oreille. Il pensait, à juste titre sans doute, qu’avec la bureaucratisation, les révolutionnaires d’autrefois étaient devenus des ronds-de-cuir, plus soucieux de leur propre confort et du statut-quo que des idéaux révolutionnaires qui animaient Mao.

Effectivement pour Mao, la révolution n’était pas terminée, il fallait la poursuivre, et Mao était impatient. Mais les autres leaders, autrefois révolutionnaires, prêchaient la prudence, le développement graduel, comme en Union soviétique. Pour Mao, tout cela manquait de créativité, la copie servile de l’Union soviétique ne pouvait convenir aux conditions spécifiques de la Chine, et les lieutenants de Mao l’irritaient.

Car Mao voulait de la verve, de l’audace, et Mao se convint peu à peu que le Parti communiste de Chine en manquait gravement. Que certains des cadres, et même les plus proches, s’alignent sur Khrushchev pour attaquer Staline était une menace pour lui personnellement. Il ne voulait qu’aucun de ses hommes ne devienne le Khrushchev chinois après sa mort, ni qu’ils écrivent des «rapports noirs» qui l’attaqueraient.

Ceci est l’analyse du docteur Li, qui était tous les jours près de Mao et recevait ses confidences. Pour le docteur Li, c’est à ce moment là que commença à germer dans l’esprit de Mao l’idée de la Révolution culturelle qui devait servir à éliminer les anciens cadres du Parti communiste chinois. Une révolution dont il perdit presque le contrôle, on va le voir.

«La vie privée du président Mao», Li Zhisui, éditions Plon, 1994
(*) «The private life of Chairman Mao», Li Zhisui, Random House, 1994

Ne manquez pas la suite de cette série
Le XXème siècle, un siècle de fer et de sang
par Jacques Trauman

Prochain épisode Mao Zedong毛泽东,
Dans la tanière de la louve
vendredi 26 mars

Récapitulatif des épisodes précédents

Préambule
Une série de 15 articles/ Staline, Hitler et Mao

Saison 1
Staline
1/1 Une sympathique petite équipe
1/2 Un dîner qui finit mal
1/3 Le tribunal des flagrants délires
1/4 Une improbable rencontre
1/5 Un mélomane passionné

Saison 2
Hitler
2/1 Dans la tanière du diable
2/2 Le style c’est l’homme
2/3 Hitler chef de guerre
2/4 Le commencement de la fin
2/5Vingt-quatre heures avant l’apocalypse

Saison 3
Mao Zedong毛泽东
3/1 La momie de  Zhongnanhai
3/2 Mao et Staline
3/3 Dans la tannière de la louve
mise en ligne à partir du vendredi 26 mars
3/4 Guerre et Paix
mise en ligne à partir du vendredi 2 avril
3/5 Nous sommes informés de tout, nous ne savons rien
mise en ligne à partir du vendredi 9 avril

     

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