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Déjanire, le roman d’une femme à fleur de peau

par Philippe Poivret

Un premier roman, c’est forcément une découverte. Une autrice, un auteur qui se jette à l’eau et qui attend impatiemment, anxieusement la réaction des éditeurs et des lecteurs. Ainsi, ce roman Dejanire est écrit par une jeune autrice, Lou Mees,  et nous raconte l’histoire ou plutôt la métamorphose de son héroïne en une femme qui assume tout ce qu’elle a fait, tout ce qu’elle fait et tout ce qu’elle devient. 

Qui est-elle donc ? M., dont on ne connaîtra jamais le vrai prénom, est une jeune épouse, mère de deux enfants, torturée par des angoisses incoercibles qui la débordent et l’envahissent. Elle est mariée avec un homme qu’elle n’aime plus. Les deux premières pages plantent le décor. Elles sont particulièrement réussies. Ce qui fait qu’on ne lâchera plus M. jusqu’à la fin.

En d’autres termes, elle trompe son mari jusqu’à ne plus savoir qui elle est. Lui ne se rend compte de rien. Les scènes de sexe solitaire, à deux ou à trois se succèdent jusqu’à la nausée. Elle prête son corps à des hommes qu’elle méprise, on est dans le porno pur et dur, dans le porno chic jusqu’à un certain point, le cœur de M. vomit ce qu’elle fait et rien ne va plus. Il est temps que ça cesse, autant pour elle que pour le lecteur. Et c’est ce qui va se passer. 

Si bien que M. décide de quitter son mari et de divorcer. Ce qui parait une évidence incontournable, à tel point que le divorce se passe sans trop de problèmes. Elle garde ses deux enfants, Baptiste et Solal, qui sont ses deux points d’ancrage, les deux seules personnes qu’elle aime depuis qu’ils sont dans son ventre et qu’elle ne lâchera plus jamais dans aucune circonstance. Et des circonstances, il va y en avoir. Pour rompre avec sa vie d’avant, elle se rend chez un coiffeur et c’est une jeune femme comme elle qui va, en suivant ses désirs, l’aider à se relooker donc à changer totalement.

Olécio partenaire de Wukali

Par conséquent, fini le sexe pour le sexe, elle restera maintenant toute seule et se trouve très bien comme ça. On part alors pour Venise en évitant tous les clichés, et pour Naples dont elle dit fort justement qu’elle est « fille du diable et du bon dieu » et pour la Sicile magnifiquement comprise par et avec Nicolas de Staël.

Dès lors son métier dans la banque ne résistera pas non plus à la déferlante. Reste à suivre M., qui était devenue Mia, droguée au sexe et à la cocaïne, et qui devient Morgane, comme la fée. Trois personnalités dans une seule personne.

L’autrice, Lou Mees, joue avec ces trois personnages qui n’en font qu’un dans un style fait de phrases courtes et percutantes. Il n’y a jamais de temps mort et même s’il ne se passe rien dans les faits, les inquiétudes, les interrogations, les impasses de M.-Mia-Morgane sont là, sans pathos ni voyeurisme. 

Il y a dans ce roman plusieurs interrogations, la principale étant la place des femmes dans le couple et dans la société. Dans le couple, rien n’est simple et si l’amour existe au début, il est voué à se déliter et à disparaître inexorablement.

Dans le mariage, M. refuse le schéma traditionnel, celui du couple qui étouffe et empêche de vivre, de rencontrer, de s’ouvrir. Ce n’est pas la rupture qui la fait souffrir, c’est ce qui s’est passé avant. Un échec donc, qu’il va falloir dépasser pour découvrir que l’amitié a toujours existé, même entre un homme et une femme, et que l’amour existe, avec un grand ou un petit a, et qu’il faut pour cela savoir attendre sans chercher. Il n’en demeure pas moins qu’il existe quelque part. La fin du roman nous dira ce qu’il en est. 

Dans la société ensuite. L’autrice est manifestement féministe. Mais pas du féminisme des femen, inutilement agressives. Dans la société et dans le couple, la relation homme-femme est asymétrique puisque « l’homme gagne toujours ». Mais les femmes « ont en elles cette part de sainteté qu’elles ne doivent pas souiller ». Un peu excessif ?

Or l’homme ne gagne pas toujours, loin de là et si le corps de la femme est sacré, elles ne sont pas toutes des saintes vierges et ne cherchent d’ailleurs pas à l’être. Loin de là aussi. « Être une femme de nos jours, et asseoir sa féminité devenaient une épreuve herculéenne ». C’est sûrement vrai puisqu’elle le dit et le ressent comme ça. Les hommes, qui ont dominé la société depuis la nuit des temps, ne manqueront pas de s’interroger sur cette affirmation. M est souvent bien plus sévère avec les autres femmes, les jugeant sur leur physique, leur façon de se présenter et de s’habiller moins que sur ce qu’elles disent, font ou pensent.

M. a des origines italiennes par son père. Cette double origine, loin d’être une richesse, est source de déchirements. Elle se sent d’emblée bien en Italie, pays où elle trouve ce qu’on appelle de nos jours, ses racines. Mais la connait-elle vraiment, cette Italie qui la fait rêver ? Elle condamne l’absence d’accueil des immigrés à Lampedusa mais refuse un accueil sans réserve des immigrés en France et à Paris. Ce n’est pas la moindre des contradictions de cette jeune femme qui se cherche. Et pour en rajouter sur ses origines, la Lorraine où elle est née, est l’objet de son admiration pour ses paysages mais elle n’a qu’une envie, c’est de la quitter. Ce qu’elle fera dès que possible.  

Et pour en finir, M. a une « profonde admiration pour la culture juive ». Elle a failli se convertir à plusieurs reprises. On pourrait lui conseiller de lire Erri de Luca et son fameux et émouvant « Et il dit » dans lequel il raconte son lien avec le judaïsme. Elle se dit croyante, catholique, elle sait prier mais refuse d’appartenir à l’église du pape. 

En outre, pleine de contradictions, jamais apaisée, M.-Mia-Morgane a une vie douloureuse, à la recherche de l’autre qui la fera vivre. Qui est- elle ? Que cherche-t-elle vraiment ? C’est ainsi qu’il faudra attendre les dernières lignes du roman pour comprendre qui elle est, qui est Dejanire, son double, encore que l’allusion herculéenne et l’apparition à plusieurs reprises de l’hydre orientent le lecteur. Mais on a déjà compris que M. tout comme Dejanire n’est certainement pas une douce et tendre dulcinée.  Lou Mees nous la fait vivre dans ce premier roman, on se demande, on espère, après avoir refermé la dernière page, que la vie de M. va se poursuivre ou que son autrice développera l’histoire d’un autre homme ou d’une autre femme avec les interrogations des hommes et des femmes d’aujourd’hui. 

Dejanire 
Lou Mees
éditions L’Harmattan. 20€

Illustration de l’entête: La Danse ( détail) 1906. André Derain (1880-1954). Collection particulière. (ADAGP, PARIS 2017)

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