Comprendre le COVID, aller chercher l’information, au plus près de la recherche scientifique et médicale, et pour cela faire l’effort d’aller à la source, nous rendons compte dans nos colonnes d’un article juste paru dans la revue Science, écrit par Stéphanie Pappas sous le titre : Will we ever find COVID-19’s ‘Patient Zero?
Nous vous en proposons sa traduction et son adaptation en français, de même la mise en page et chacune des illustrations qui ornent cet article ont été choisies par WUKALI.
Voilà une semaine, les autorités chinoises ont rejeté une proposition de l’Organisation mondiale de la santé visant à enquêter sur les origines du nouveau coronavirus responsable du COVID-19. Cette décision soulève de nouvelles questions quant à savoir si le monde saura un jour quand, où et comment le coronavirus (SRAS-CoV-2) a fait le saut et s’est ainsi retrouvé chez l’homme.
C’est ainsi que la Chine s’est opposée au plan de l’OMS la semaine dernière parce que cette phase de l’enquête laisse ouverte la possibilité que le virus se soit échappé à la suite d’un accident de laboratoire, comme le rapporte la chaîne NPR. Sans la coopération de la Chine, les scientifiques seront confrontés à des béances frustrantes dans les données ce qui pourraient avoir pour effet de les empêcher d’identifier le moment précis quand la pandémie a commencé. Cependant, le virus lui-même contient des indices sur sa propre origine. Le plan génétique du coronavirus indique sa provenance et le temps qu’il lui a fallu pour provoquer l’épidémie qui a conduit à une catastrophe mondiale.
Même si les scientifiques n’identifient jamais le patient zéro – la première personne qui a été victime et a déclenché une chaîne d’infections menant à la pandémie – ils pourraient être en mesure de déterminer quels animaux ont facilité le saut et quelles activités humaines l’ont rendu possible, ont expliqué les experts à Live Science.
Définir le patient zéro
Dans les films de fiction qu’il nous est donné de voir sur les pandémies, l’épidémie commence toujours par un moment unique et dramatique, un temps T par exemple: une fiole de sang infecté se brise par exemple, un singe malade s’échappe d’un laboratoire, ou même un satellite extraterrestre tombe du ciel.
De la sorte, il est parfois possible de trouver et de remonter à une source, une origine unique pour engager une épidémie, voire même une pandémie dans le monde réel. C’est ainsi que voilà peu d’années, des épidémiologistes sont remontés à la source de l’épidémie dévastatrice que fut la fièvre Ebola de 2014 en Guinée, au Liberia et en Sierra Leone et cela jusqu’à l’infection et la mort d’un enfant de 2 ans qui s’appelait Emile Ouamouno.
Mais ce travail est extrêmement difficile et potentiellement stigmatisant. Par exemple, pendant de nombreuses années, un seul agent de bord québécois a été accusé d’avoir propagé le VIH en Amérique du Nord. Dans une étude publiée en 2016 dans la revue Nature, des chercheurs ont toutefois montré que l’agent de bord, décédé du sida en 1984, n’était qu’un parmi des milliers d’autres qui avaient été infectés par le virus, alors inconnu.
Cependant, et avec une certaine ironie, si cet homme a été accusé d’avoir contribué à une telle propagation et la dissémination de l’infection, c’est en partie parce qu’il était l’un des premiers patients des plus utiles aux épidémiologistes, car il a pu fournir des informations sur ses contacts sexuels, alors que les autres patients, eux, ne pouvaient pas reconstituer ni revivifier le fil documenté de leur mémoire.
Si l’on se penche sur l’histoire du VIH, toute notion de « patient zéro » devient floue : Le virus est passé des primates d’Afrique de l’Ouest à l’homme au moins trois fois, et la principale souche responsable de la plupart des infections est probablement apparue vers 1910 ou 1920.
Même pour les maladies de l’ère moderne, la découverte des premiers cas ne permet pas toujours de comprendre comment la maladie est passée de l’animal à l’homme. Personne ne sait exactement comment Emile Ouamouno a attrapé Ebola, et les scientifiques n’ont toujours pas découvert le réservoir animal de la maladie, bien que les chauves-souris soient un suspect de choix.
De même, pour découvrir comment un nouveau virus est passé de l’animal à l’homme, il n’est pas toujours nécessaire de découvrir un patient zéro. Le SRAS-CoV-1, proche parent de l’actuel coronavirus pandémique, est apparu en novembre 2002 avec un seul patient, un agriculteur de province du Guangdong 广东 est mort à l’hôpital. Mais cet agriculteur n’était qu’un des nombreux cas précoces apparus dans cinq villes différentes.
D’autres études ont révélé que le SRAS-CoV-1 était étroitement lié à un virus présent chez les chauves-souris en fer à cheval, qui ont ensuite infecté les animaux vendus sur les marchés d’animaux sauvages, notamment les civettes.
Une étude réalisée en 2003 par le Center for Disease Control and Prevention a révélé que 13 % des personnes travaillant dans le commerce d’animaux sauvages dans la région avaient des anticorps contre le SRAS-1, contre 1 à 3 % de la population générale, ce qui donne à penser que le virus, ou un virus étroitement apparenté, était passé des animaux aux humains et ce de manière asymptomatique, ou avec des symptômes minimes, avant l’apparition de la grande épidémie. Parmi les personnes qui faisaient le commerce de chats civettes – l’espèce qui fait probablement le lien entre les chauves-souris et les humains – la probabilité d’une infection antérieure était de 72 %.
En fin de compte, les chercheurs ont trouvé un virus chez les chauves-souris qui était identique à 97 % au SRAS-1 humain, puis un virus chez les civettes et les chiens viverrins (un chien qui ressemble à un raton laveur) qui était identique à 99,8 % au virus qui a infecté les humains, a déclaré Stephen Goldstein, chercheur postdoctoral en virologie évolutive à l‘université de l’Utah. Les chercheurs ont ainsi établi la chaîne de transmission du SRAS-1 de l’animal à l’homme sans jamais savoir exactement quand et où le virus a fait le saut.
Des débuts obscurs
Le SRAS-CoV-2 peut être particulièrement difficile à dépister en raison de son irrégularité dans la production de la maladie. Quelque part, entre 30 et 40 % des personnes infectées sont asymptomatiques, et beaucoup d’autres présentent des symptômes légers ou modérés de COVID-19 qui peuvent être facilement confondus avec un rhume de cerveau ou un cas de grippe. Wuhan en Chine, où les premiers cas sont apparus, était au milieu d’une mauvaise saison grippale à l’automne 2019, de sorte que les premiers cas pourraient avoir été mal diagnostiqués.
Pour travailler dans ces limites, les scientifiques tentent de rembobiner l’histoire du virus à partir de son schéma génétique. Cela ne peut pas révéler le moment exact de la première transmission de l’animal à l’homme, mais cela peut s’en rapprocher de manière alléchante.
« Pour essayer de déterminer quand le VIH est arrivé pour la première fois aux États-Unis, notre incertitude est de l’ordre de quelques années, voire d’une décennie« , a déclaré Joel Wertheim, biologiste évolutionniste à l’université de Californie, à San Diego, qui mène ces recherches. « Pour le SRAS-CoV-2, notre incertitude est de l’ordre de quelques semaines« .
Wertheim et d’autres chercheurs dans son domaine dépendent d’un outil puissant dans l’évolution virale : une horloge moléculaire. Cette « horloge » est basée sur un empilement constant de mutations qui se produit chaque fois que le coronavirus se reproduit. La plupart de ces mutations n’ont aucun effet sur la fonction du virus, a expliqué M. Wertheim, mais comme elles se produisent à un rythme prévisible, les scientifiques peuvent les utiliser pour déterminer quand certains événements de l’histoire du virus ont eu lieu. Ces événements peuvent inclure le moment où l’infection qui a déclenché la pandémie s’est produite pour la première fois.
Ce n’est pas la même chose que la première infection humaine par le SRAS-CoV-2, a averti M. Wertheim. La plupart des personnes qui ont contracté les premières variantes du virus ne l’ont pas transmis, de sorte qu’il a pu y avoir des dizaines de chaînes d’infection qui se sont éteintes.
Il existe des parallèles dans l’évolution humaine. Il y a environ 200 000 ans, en Afrique, vivait une femme Homo sapiens connue sous le nom d’Ève mitochondriale, car le patrimoine génétique maternel de tous les humains vivants aujourd’hui peut être retracé jusqu’à elle. Mais Eve mitochondriale n’était pas la seule femme de l’époque – elle était simplement celle dont la lignée génétique a survécu.
« C’est ainsi que l’on peut considérer l’ancêtre génétique de tout le SRAS-CoV-2« , a déclaré Wertheim à Live Science. « C’est le virus dont descendent tous les SRAS-CoV-2 en circulation, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu d’autres virus [SRAS-CoV-2] à l’époque, potentiellement très proches, qui se sont éteints.«
Joël Wertheim et ses collègues ont utilisé l’horloge moléculaire du SRAS-CoV-2 pour tenter de déterminer combien de temps a pu s’écouler entre la première apparition du virus chez l’homme et l’infection qui a déclenché la pandémie.
« Ce qui nous intéressait vraiment dans notre étude, c’était d’essayer de fixer une limite supérieure au temps que le virus aurait pu passer chez l’homme tout en donnant naissance à l’ancêtre génétique [commun]« , a-t-il déclaré.
Dans un article publié dans Science en avril, Wertheim et son équipe ont indiqué que l’émergence la plus précoce possible du coronavirus était octobre 2019, mais que la date la plus probable était mi-novembre 2019. Sur la base des changements génétiques du virus, très peu de personnes auraient été infectées à la mi-novembre, a déclaré Wertheim, ce qui suggère que les rapports sur les premières hospitalisations à Wuhan pourraient en effet être dus à la grippe, et non au COVID-19.
« Il aurait fallu que les niveaux d’infection soient très, très faibles pour qu’ils persistent sans donner naissance à cet ancêtre génétique« , a déclaré Wertheim.
L’autorité sanitaire locale de Wuhan a signalé le premier groupe de pneumonies mystérieuses dans la ville le 31 décembre 2019. L’OMS a ensuite déterminé que le premier cas qui pouvait être identifié avec certitude comme étant le COVID-19 était un homme qui est tombé malade le 1er décembre 2019.
Wertheim et ses collègues se penchent maintenant sur la génétique du coronavirus pour essayer de comprendre si le virus est passé de l’animal à l’homme une seule fois pour déclencher la pandémie, ou s’il a fait de multiples incursions qui ont conduit à de multiples chaînes d’infection. Selon M. Wertheim, le SRAS-1 était très tôt génétiquement diversifié, ce qui laisse supposer un scénario d’introduction multiple. Le SRAS-CoV-2 était moins diversifié, ce qui pourrait signifier que l’introduction n’a eu lieu qu’une seule fois, a-t-il ajouté. Mais les deux scénarios restent possibles au vu des données actuellement disponibles.
Le lien entre l’animal et l’homme
Malheureusement, la plupart des preuves de l’existence de la première pandémie ont disparu, ou du moins ont été dissimulées.
Lors de l’épidémie de SRAS-1, les marchés d’animaux vivants n’ont pas été fermés dans un premier temps, a expliqué M. Goldstein à Live Science. Lorsque les scientifiques se sont rendus sur les marchés des mois plus tard, les animaux infectés étaient toujours présents et la transmission d’animal à animal était en cours. En revanche, peu après que le virus SRAS-CoV-2 a commencé à se propager chez l’homme, les « marchés humides »ont été fermés. Cependant les autorités chinoises ont d’abord nié que des animaux vivants aient été vendus sur le marché au centre du premier événement de propagation, le Huanan Seafood Market 武汉华南海鲜批发市场. Les chercheurs ont ensuite démontré que sept vendeurs vendaient des mammifères, des oiseaux et des reptiles vivants sur ce marché, ont-ils indiqué en juin dans la revue Scientific Reports.
Si le gouvernement chinois a testé l’un des animaux présents sur les marchés au moment de leur fermeture, il n’en parle pas.
« Ils n’ont pas annoncé qu’ils avaient testé l’un de ces animaux qui se trouvaient sur les marchés en novembre et décembre 2019« , a déclaré Goldstein.
De même, le gouvernement chinois a refusé de publier les premiers échantillons viraux de Wuhan qui pourraient en révéler davantage sur la génétique des premiers cas humains, en outre il a mis hors ligne une base de données contenant les premières séquences virales.
Il est donc difficile de découvrir le lien entre l’animal et l’homme pour le SRAS-CoV-2. Ce qui est clair pour l’instant, c’est que le virus est probablement apparu chez les chauves-souris. Le plus proche parent connu à ce jour est un virus de chauve-souris appelé RaTG13, avec lequel le SRAS-CoV-2 partage 96 % de son génome.
Des chercheurs ont découvert ce virus dans la province du Yunnan, en Chine, en 2013, et ont publié un article sur ses liens étroits avec le SRAS-CoV-2 en mars 2020. Les chercheurs sont toujours à la recherche de parents plus proches, mais les choses avancent lentement, a déclaré M. Goldstein, notamment en raison des restrictions de voyage liées à la pandémie et de la réticence de la Chine à inviter des équipes de recherche internationales.
« Il faut trouver les bonnes chauves-souris et c’est comme une aiguille dans une botte de foin« , a déclaré Goldstein.
Cependant, la comparaison entre les virus des chauves-souris et le virus humain peut apporter un éclairage intéressant. Les chauves-souris ressemblent beaucoup aux humains, a déclaré William Haseltine, président d’ACCESS Health International, et ancien professeur à la Harvard Medical School, où il a étudié le VIH et le génome humain. Comme l’homme, les chauves-souris ont une longue durée de vie, elles se déplacent sur de longues distances et se regroupent ensuite en grande promiscuité. Ce type de comportement peut ainsi expliquer en partie pourquoi les coronavirus qui évoluent chez les chauves-souris ont tendance à trouver un terrain fertile chez les humains.
« Une chauve-souris a la possibilité d’être infectée plusieurs fois au cours de sa vie, de sorte que ces virus doivent survivre dans un mammifère à longue durée de vie qui possède de nombreuses défenses contre eux« , a déclaré M. Haseltine.
Les protéines du SRAS-CoV-2 peuvent révéler comment l’évolution du virus lui a permis de se libérer des chauves-souris et de finir par infecter les humains. Les gènes seuls ne peuvent pas expliquer cette étape, a déclaré Ingo Ebersberger, bioinformaticien à l‘université Goethe de Francfort, car la plupart des mutations du génome ne modifient pas la fonction du virus.
Ce sont les protéines qui sont les chevaux de bataille, car les gènes donnent les instructions pour fabriquer les protéines et les protéines remplissent les fonctions biologiques. Dans une étude qui n’a pas encore fait l’objet d’un examen par les pairs mais qui a été publiée le 5 février sur le serveur de préimpression bioRxiv, Ebersberger et ses collègues ont étudié les protéines du SRAS-CoV-2 et ont constaté que la plupart des changements génétiques entre RaTG13, le SRAS-1 et les virus étroitement apparentés n’avaient aucun impact du côté des protéines.
« Le SRAS-CoV-2 n’est pas spécial« , a déclaré Ebersberger à Live Science.
En fin de compte, le seul changement fonctionnel majeur qui a permis au SRAS-CoV-2 de se démarquer est que le virus possède ce qu’on appelle un site de clivage de la furine. Il s’agit d’une minuscule séquence de quatre acides aminés qui améliore considérablement la capacité du coronavirus à fusionner avec les récepteurs ACE2 à la surface des cellules humaines. Cette minuscule insertion aide la protéine spike du virus à se déployer, afin d’exposer ses sites de liaison aux récepteurs ACE2, qui débloquent ensuite la cellule pour l’invasion du virus.
RaTG13 ne possède pas de site de clivage de la furine, mais d’autres coronavirus, dont certains circulent chez les chauves-souris, les souris, les chameaux et les chats, en possèdent un.
« Nous pensons que cette évolution peut se produire très rapidement« , a déclaré M. Ebersberger. Le changement ne nécessite qu’une minuscule mutation, a-t-il ajouté, et chaque animal malade produit des millions ou des milliards de particules virales, chacune d’entre elles ayant une chance d’acquérir accidentellement cette mutation cruciale.
Changement continu
L’acquisition du site de clivage de la furine a conduit certains à affirmer que les origines du COVID-19 ne se trouvent pas dans des virus animaux naturels, mais dans une manipulation délibérée en laboratoire. Les chercheurs contactés par Live Science pour cet article ont toutefois rejeté cette hypothèse comme preuve d’une telle origine. Selon M. Wertheim, la version originale du SRAS-CoV-2 comportait en fait une version faible du site de clivage de la furine et n’était pas particulièrement transmissible par rapport à ce qui allait suivre.
« Quiconque affirme n’avoir jamais vu de virus humain plus parfaitement adapté n’a manifestement pas rencontré la variante delta« , a déclaré M. Wertheim.
En janvier 2020, bien avant que le mot « variante » n’explose dans la conscience de tous, le SRAS-CoV-2 a acquis une mutation de la protéine de pointe appelée D614G qui le rendait peut-être 20 % plus transmissible. Les souches de coronavirus présentant cette mutation ont rapidement envahi le monde. En ce qui concerne la protéine spike, l’évolution s’est poursuivie. Selon la faculté de médecine de Yale, la variante alpha du coronavirus était 50 % plus transmissible que les variantes avec D614G seul, et la variante delta est environ 50 % plus transmissible que l’alpha.
Le point du génome du coronavirus qui code pour le site de clivage de la furine est également la preuve d’une origine naturelle, a déclaré Goldstein. La mutation est une chaîne de 12 nucléotides déposée en plein milieu d’un codon, ou séquence de trois nucléotides, qui code pour l’acide aminé sérine. Par un coup de chance de l’évolution pour le virus, la séquence fonctionne toujours pour coder les protéines : Tous les acides aminés sont codés par des codons de trois nucléotides, et comme 12 est un multiple de trois, le rythme global de la séquence reste inchangé. Mais la position de la mutation, en plein milieu du codon d’un autre acide aminé, ressemble beaucoup plus à un accident de la nature qu’à quelque chose de délibérément conçu.
« C’est une chose totalement bizarre que personne ne ferait jamais« , a déclaré Goldstein.
Enfin, selon M. Goldstein, la séquence d’acides aminés du site de clivage de la furine du SRAS-CoV-2 n’a jamais été expérimentée auparavant et personne n’aurait pu prédire qu’elle fonctionnerait particulièrement bien. Certains chercheurs ont expérimenté en laboratoire l’insertion artificielle d’un site de clivage de la furine différent de celui des coronavirus félins dans des fragments de virus inoffensifs. « Si quelqu’un essayait délibérément de rendre un virus animal transmissible à l’homme, dit Goldstein, on s’attendrait à ce qu’il utilise cette séquence éprouvée plutôt qu’une nouvelle chaîne d’acides aminés mal placée qui ne fonctionne pas si bien que ça.«
Aucune de ces études structurelles ne peut cependant prouver que le SRAS-CoV-2 n’était pas un virus naturel présent dans des échantillons de laboratoire. La question de savoir si le virus a pu s’échapper de l’Institut de virologie de Wuhan, un laboratoire où étaient menées des études sur les coronavirus de chauve-souris, est devenue un point de friction politique qui pourrait anéantir toute chance de découvrir l’origine du SRAS-CoV-2.
Le gouvernement chinois a catégoriquement nié que le virus provenait du laboratoire, tout en occultant les données brutes qui pourraient prouver que c’est le cas ou non. Dans des déclarations récentes, les responsables gouvernementaux ont tenté de détourner la conversation de la Chine, alors qu’il n’existe aucune preuve que le virus soit apparu ailleurs. (En effet, les travaux de Wertheim sur la dynamique de transmission précoce suggèrent que le virus avait besoin d’une ville densément peuplée comme Wuhan pour prendre son essor ; des simulations imitant la densité de population rurale ont abouti à un virus émergent qui n’a pas pu trouver suffisamment d’hôtes et s’est éteint).
« Dans la prochaine étape des études sur les origines menées par l’OMS, nous devrions adopter une vision globale et mener des recherches dans différents pays et en de multiples endroits au lieu de nous concentrer sur une seule zone« , a déclaré le porte-parole du ministère des affaires étrangères chinois, Zhao Lijian, le 16 juin.
Les scientifiques qui s’intéressent aux origines du COVID-19 ont un point de vue différent. MM. Wertheim et Goldstein ont tous deux déclaré qu’ils pensaient qu’une fuite de laboratoire était peu probable, mais que la recherche des origines du virus devait se concentrer sur la chaîne d’approvisionnement en animaux à Wuhan et dans les environs.
Cette recherche peut également être stigmatisante, a déclaré M. Ebersberger, car de nombreux articles de presse circulant sur les marchés laissent entendre que les Chinois mangent des animaux sauvages sans discernement. De nombreux animaux sauvages sont consommés comme mets délicats dans la cuisine chinoise, mais la plupart des discussions internationales autour de ces traditions culinaires ont ignoré les différences régionales et la rareté de ces produits dans le régime alimentaire des gens.
Les chauves-souris ne font pas partie du menu en Chine centrale, où se trouve Wuhan, et elles n’étaient pas présentes sur le marché des fruits de mer de Huanan. De nombreux animaux vendus sur ces marchés ne sont pas non plus vendus comme viande, mais comme animaux de compagnie ou pour leur fourrure. Une espèce qui aurait pu transmettre le virus des chauves-souris à l’homme est le chien viverrin (Nyctereutes procyonoides), qui est principalement élevé pour sa fourrure. Selon M. Goldstein, la viande des chiens viverrins tués pour leur fourrure se retrouve ensuite sur le marché de l’alimentation de luxe.
Il n’en reste pas moins que des espèces disparates sont maintenues à proximité les unes des autres pendant le transport et dans les étals des marchés d’animaux vivants, ce qui crée des conditions idéales pour que les virus se mélangent et évoluent. Ce ne serait pas la première fois que la promiscuité entre les hommes, les animaux sauvages et les animaux domestiques causerait des problèmes. Par exemple, la souche H1N1 de la grippe, également appelée grippe porcine, est un mélange génétique de virus de la grippe provenant de porcs, d’humains et d’oiseaux.
S’il était conseiller de l’OMS, M. Goldstein recommanderait aux scientifiques de tester les anticorps du SRAS-CoV-2 dans le sang des personnes travaillant dans le commerce des animaux pour voir si elles sont plus exposées que la population générale.
« Vous pouvez commencer par les éleveurs, vous pouvez aller avec les personnes qui transportent ces animaux des fermes vers les villes, vous pouvez regarder les personnes qui vendent ces animaux sur le marché« , a déclaré Goldstein. « Si ces personnes ont un taux de positivité des anticorps plus élevé que la population générale, ce serait une preuve indirecte mais très forte que ce virus était présent chez les animaux qui faisaient partie de la chaîne alimentaire humaine« .