Ce ne sont pas moins de 50 oeuvres, livres et documents d’archives du musée Condé, de la bibliothèque de l’Institut de France, et du muséum national d’histoire naturelle, présentés dans le parcours de visite du château de Chantilly, au coeur du prestigieux Cabinet des livres, à voir du 7 septembre 2021 au 30 janvier 2022.
À partir du Moyen Âge, posséder des animaux étrangers est un marqueur de richesse auquel prétendent, dès la Renaissance, les seigneurs de Chantilly. De la fin du XVIe siècle à celle du XVIIIe, le domaine appartient aux familles des Montmorency et des Bourbon-Condé. Pour se divertir et satisfaire leur curiosité, ils introduisent, d’abord dans le parc du château puis dans l’une des plus extraordinaires ménageries du royaume, des animaux exotiques ou autochtones qui embellissent les jardins et valorisent l’image des propriétaires.
Les cheptels s’accroissent à tel point qu’à la fin du XVIIe siècle il apparaît indispensable de leur construire un lieu spécifique, une ménagerie au moins digne de celle de Louis XIV à Versailles.
Point de convergence de la zoologie, de l’architecture animalière,de l’art, de la curiosité scientifique, elle s’inscrit pleinement, jusqu’à sa disparition amorcée en 1792, dans la vie culturelle et mondaine des XVIIe et XVIIIe siècles.
Trois siècles d’histoire animalière
Le récit de l’histoire de la faune et de la ménagerie de Chantilly parcourt trois siècles de la vie du domaine, et s’achève tragiquement.
Amateurs d’animaux rares, le connétable Anne de Montmorency (1493-1567) et son épouse Madeleine de Savoie (vers 1510-1586) sont les premiers, dès le XVIe siècle, à introduire de nombreux animaux, notamment exotiques, aux abords de leur château. Lettré, passionné par les arts, amateurs de fauves et de singes, Anne de Montmorency rénove et embellit la forteresse médiévale de Chantilly. Il y construit le premier «ménage», la première volière, et une héronnière.
Au XVIIe siècle, les successeurs des Montmorency poursuivent et accentuent l’introduction d’animaux. Leur multiplication crée une pression qui conduit les princes de Chantilly à imaginer un lieu spécifique pour les regrouper, une ménagerie inspirée par le modèle de celle de Versailles.
Dans les jardins redessinés par André Le Nôtre à la fin du XVIIe siècle, la nouvelle ménagerie devient un espace de fête, de curiosité et de sociabilité incontournable jusqu’à la Révolution. Les célèbres fables de Jean de La Fontaine y sont évoquées à travers des inscriptions en lettres dorées ou des sculptures qui ornent, par exemple, la cour du Loup et de la Chèvre ou le bassin du Pot de terre et du Pot de fer.
Buffon y étudie, Valmont de Bomare y dispense des leçons d’histoire naturelle au XVIIIe siècle.
Les bouleversements de la période révolutionnaire entraînent la lente disparition de la Ménagerie de Chantilly, abandonnée par les Condé comme l’ensemble du domaine dès le mois de juillet 1789. Les quelques animaux qui restent alors sont passés par les armes par des soldats de la Révolution venus de Paris. Ceux-ci considèrent les animaux comme des ennemis qui inspirent de la crainte à la population, et comme le témoignage vivant du luxe immoral et stérile des princes de Chantilly.
Une histoire zoologique
Le parc et la ménagerie édifiée sur la rive droite du Grand Canal abritent des spécimens colorés et délicats, d’autres plus féroces ou plus rustiques, tous rassemblés par les propriétaires successifs du domaine pour leur beauté, leur exotisme ou leur étrangeté et, pour beaucoup, inconnus sous les latitudes cantiliennes : autruches, outardes, tadornes, oiseaux marins, vautours, buffles, castors, porcs-épics, crocodile, lions, lynx, carpes colorées…
L’intendant du château dom Loppin (vers 1608-1670) atteste notamment de la présence de buffles dès les années 1660, des animaux dont le cheptel augmente rapidement. Des cygnes sont apportés de Belgique en 1671 pour être relâchés sur le Grand Canal, tandis que les premiers pélicans arrivent à Chantilly au plus tard l’année suivante. Pour éviter l’envol des oiseaux du domaine, le personnel du prince pratique l’éjointage qui consiste, avec une pince chauffée au feu, à mutiler le bout de leurs ailes.
Civette, rennes venus de Suède, ours noir d’Amérique, courlis rouges intriguent les scientifiques et attirent les plus célèbres naturalistes du XVIIIe siècle tel Buffon (1707-1788) qui vient observer des spécimens introuvables ailleurs dans le royaume.
Les archives racontent l’origine, le difficile acheminement, l’alimentation, le logement ou l’entretien des animaux dont certains, comme une biche de Guinée ou encore un cochon de Campêche, finissent empaillés dans le cabinet d’histoire naturelle des princes de Condé.
Une histoire architecturale
Le travail de recherche historique, initié au début du XXe siècle par Gustave Macon, premier conservateur du musée Condé, a permis de reconstituer les bâtiments et espaces disparus, et d’avancer les noms des architectes Daniel et Pierre Gittard.
Les grands travaux d’aménagement de la ménagerie ont lieu entre 1687 et 1689. Elle est ouverte sur le Grand Canal d’un côté, et organisée en secteurs animaliers distincts de l’autre : une ménagerie basse et une ménagerie haute. Des similitudes architecturales avec celle de Versailles sont à noter dans la disposition des volières et des enclos, même si celle de Chantilly ne s’organise pas autour d’un pavillon central.
L’exposition présente des plans, des documents iconographiques qui permettent de s’immerger dans la ménagerie spécialement construite pour les animaux des princes et le divertissement de leurs invités, à une époque où les peintures de Christophe Huet connaissent un grand succès. Les documents rappellent que la ménagerie ne fut pas seulement le lieu de résidence des animaux : ses bâtiments d’apparat comme la Laiterie, l’Appartement des tableaux, ou celui répondant au nom de « Palais d’Isis » sont au coeur de la vie mondaine et festive du Chantilly des Condé.
Une histoire de la curiosité
À noter que la ménagerie de Chantilly a influencé d’autres ménageries du Nord de la France dont celle du duc de Croÿ à l’Hermitage à Condé-sur-l’Escaut.
Les documents d’archives, notamment l’abondante correspondance ou encore le journal tenu par Jacques Toudouze, lieutenant des chasses du prince de Condé à Chantilly, reflètent la curiosité que nourrissent les princes eux-mêmes pour les animaux destinés à embellir leur domaine.
Le goût de l’exotisme et la recherche de la rareté vont croissant tandis qu’apparaissent toutes sortes de marchands, fournisseurs ou éleveurs spécialisés.
Les guides de voyage, les poésies de circonstance et les récits de fête témoignent des parcours des visiteurs et des multiples divertissements offerts aux invités.
Au XVIIIe siècle, la ménagerie, étroitement liée aux collections du cabinet d’histoire naturelle, reflète le savoir éclairé des princes. Elle est une référence pour le monde savant du temps. Buffon (1707-1788), Valmont de Bomare ou le duc de Croÿ entreprennent plusieurs voyages pour admirer les animaux de Chantilly.
Il existe une interaction entre monde scientifique et ménagerie des Condé. Buffon cite ainsi dans son Histoire Naturelle générale et particulière publiée à partir de 1749, des rennes, un ours d’Amérique, et un courlis rouge de la ménagerie de Chantilly. En 1776, il mentionne la dépouille d’un jeune hippopotame visible dans le cabinet d’histoire naturelle du château.
De son côté, le naturaliste Valmont de Bomare (1731-1807) fait l’éloge des cygnes de Chantilly. Il dirige, de 1768 à 1789, le cabinet d’histoire naturelle et de physique de Chantilly, et dédie au prince de Condé son Dictionnaire raisonné universel d’histoire naturelle. Référence dans le monde des scientifiques, ce cabinet, installé dans trois salles du château, veut couvrir l’ensemble du règne animal. Il conserve nombre de raretés et de curiosités naturelles venues de la ménagerie et du monde entier.
Dans le prolongement de l’exposition sur l’Orangerie de Chantilly qu’il a proposée en 2017, le service des archives ressuscite ainsi, au croisement de l’histoire, de l’histoire naturelle et de l’architecture, une autre partie du parc qui a, elle aussi, grandement contribué à la renommée du château et de ses propriétaires du XVIe au XVIIIe siècle.
Le public pourra prolonger son voyage dans l’histoire de la faune du domaine en parcourant notamment les singeries du musée Condé, ou en admirant sous un angle nouveau certains tableaux ou objets en porcelaine. Les plus jeunes pourront participer à des animations spécifiques sur le thème des animaux et de la collection
La ménagerie de Chantilly
Musée Condé de Chantilly– Cabinet des Livres
Institut de France
sous le commissariat de Florent Picouleau, chargé des archives du musée Condé.
Un ouvrage historique, La Ménagerie de Chantilly (XVIe-XIXe siècles), publié aux Éditions Faton, accompagne l’exposition.