La dernière fois que nous avons écouté Arcadi Volodos, c’était au festival de la Roque d’Anthéron. Sous la voute étoilée du parc de Florans, sa présence était magique et déjà, nous gardions une impression de « jamais vu ». Un OVNI ! Comment est-ce possible de jouer ainsi ? Ce mercredi 27 octobre au Grand Théâtre de Provence à Aix, au cœur de l’automne c’est toujours le même bonheur et toujours les mêmes interrogations. Pourquoi est-il si différent ? Certes, des virtuoses il y en a et ils sont nombreux – quel bonheur !- à laisser leur empreinte dans le paysage musical. Mais existe-t-il beaucoup de pianistes qui font « vivre » et transcendent leur bel instrument comme le fait Arcadi Volodos ? Il est à juste titre considéré par ses pairs et par la critique comme l’un des plus grands pianistes du monde. Les premières notes révèlent d’emblée le niveau de piano où se situe le Maître.
De la musique du cerveau au coeur avec Schubert et Schumann
La Sonate en ré majeur, D. 850 ouvre le récital. On l’entend, on le voit. Le pianiste a son propre univers, sa propre culture, et il a puisé le meilleur des enseignements et influences, sans jamais se contraindre à quoi que ce soit. On le sent libre, libre d’écouter son cœur et ses envies et sa musique semblent couler directement du cerveau au cœur, et du cœur au bout des doigts. On s’en souvient, il disait ne pas chercher la « précision chirurgicale » dans l’exécution d’une œuvre. Pourtant, la mécanique parait bien huilée et joliment sophistiquée. Il a ce pouvoir, tel un magicien, on y revient, d’insuffler spontanéité et fraicheur à la musique, nous faisant oublier les prouesses techniques. Nous voilà dans l’intimité de Schubert. L’interprète nous livre une histoire sans jamais rompre le charme musical, restant impliqué de bout en bout, vibrant de mille passions, les siennes et celle du compositeur entremêlées, mettant autant de cœur dans les pages légères que dans les plus sombres, dans la simplicité comme dans la virtuosité la plus absolue : c’est Volodos !
Schumann après l’entracte. On parle de Volodos comme d’un « virtuose prestidigitateur. » Cette description lui va comme un gant. Comment ne pas être touché par les visions et rêveries de Schumann ?
Ses modulations, ses couleurs, sont d’une saveur inimitable sous les doigts de Volodos. On glisse vers un Schumann différent, plus grave, plus méditatif peut être que celui que l’on a coutume d’entendre. Ses Kinderszenen, scènes d’enfants, sont parmi les plus belles jamais entendues. La sublime alchimie entre Volodos et Schumann se retrouve encore dans la Fantaisie en ut majeur dont on aime plus particulièrement le premier mouvement, passionné, captivant. Entre virtuosité et émotion, Volodos a su cristalliser toutes les dualités spirituelles que l’on trouve dans cette partition, toutes les tensions que vivaient le compositeur romantique particulièrement désespéré à l’époque de cette Fantaisie. On change de climat dans le second mouvement, compliqué à interpréter, quelques passages périlleux, mais n’est pas Volodos qui veut. Le troisième mouvement mystérieux, nous apporte plus de calme, l’énergie retombe pour laisser place à un halo enveloppant, apaisé et serein. Il s’agit d’un hymne à la féérie de la nuit.
On aurait pu se glisser dans la nuit, « the end », clap de fin de concert, sauf que ce serait mal connaitre notre pianiste : il a offert à son public, pas moins de 5 rappels ! Certains se lèvent et partent, sans doute pour éviter les embouteillages dans les parkings. Ça se discute, ou pas. Ils auront perdu Schubert, Menuet do dièse mineur, Brahms, intermezzo op 115 Andante moderato, et pour finir, Mompou, Vivaldi et Scriabine. Et nous, nous savourons ce concert dans le concert, offert avec générosité.