Dans un univers où tout était religieux, où les dogmes de l’Église catholique rythmaient la vie quotidienne de tous les membres de la société, de l’empereur jusqu’au dernier des sujets, comment ne pas être frappé par une apparente contradiction des Livres Saints. Il était bien inscrit dans les Tables de la Loi : « Tu ne tueras point », et les Évangiles insistaient sur le pardon à donner à son pire ennemi. Et pourtant, le peuple d’Israël a été sauvé grâce au crime de Judith quand elle décapita Holopherne. David refuse que soit tué Saül car il est l’oint du Seigneur.
Or, depuis Clovis, le roi de France est l’oint du Seigneur. C’est l’élu de Dieu, et vouloir attenter à sa vie est non seulement un crime de lèse-majesté humaine, mais aussi divin. Jusqu’à la fin du XVIe siècle, si on met à part les Mérovingiens, la France est le pays qui ne tue pas ses monarques (à l’inverse de l’Angleterre qui est un parfait repoussoir). Même ceux qui ne sont pas à la hauteur de leur mission comme Charles VI mais qui, malgré sa folie, était adoré par le peuple.
Il faut attendre les guerres de Religion, pour que le tyrannicide trouve des fondements théologiques permettant d’ « absoudre » l’assassin. Un Roi doit agir pour le bien du peuple en général, et de l’Église apostolique et romaine en particulier, s’il ne le fait pas, il doit disparaître pour mettre sur le trône un bon roi. C’est ainsi que meurent sous le poignard, Henri III et Henri IV. La condamnation de Louis XVI est aussi l’aboutissement de ce concept mais mâtiné de la philosophie des Lumières. Et sa mort servait de fondement à la République et non à une transmission du trône.
L’assassinat politique va évoluer, tout du moins ses fondements idéologiques, mais demeure toujours sous-jacente la nécessité d’éliminer un « mauvais » chef de l’état pour en mettre un autre. L’attentat du petit Clamard en est le symbole. Si on ne peut atteindre le titulaire du pouvoir, alors on frappe son entourage ou le futur monarque comme le Duc de Berry au lieu de Louis XVIII. Et puis il y a au XIXème siècle, l’attentat contre un symbole. Peu importe l’homme, ce sont les institutions, la société qui sont visées. L’assassinat de Sadi Carnot en est l’exemple le plus frappant (on aurait pu mettre dans la même catégorie celui de Paul Doumer). Il n’y a plus aucune explication théologique, le titulaire du pouvoir est totalement désacralisé.
Le XIXème siècle est aussi l’époque d’une certaine forme de terrorisme lors de l’assassinat : on vise une personne, non plus avec une arme blanche, mais par des moyens qui peuvent faire des « victimes collatérales », comme l’attentat de la rue Saint-Nicaise contre le Premier Consul (on aurait pu rajouter celui de Fieschi contre Louis-Philippe).
Mais l’assassinat politique ne touche pas que les détenteurs du pouvoir suprême, ce fut aussi un instrument qu’ils ont utilisé pour mener leurs politiques. On pense bien sûr à Philippe le Bel contre les Templiers ou à l’assassinat du Duc de Guise. Et que dire de Catherine de Médicis, dont la légende noire (bien remise en cause par les derniers travaux des historiens) en fait une empoisonneuse pour la protection de ses rejetons en général et de son préféré, Henri III en particulier.
Bien sûr, on peut rester dubitatif quand on met la mort de Lavoisier dans la catégorie assassinat politique. Il fait plus partie des « boucs émissaires » expliquant les malheur du peuple qu’il faut sacrifier. Mais il fut loin d’être le seul, et on est loin d’une démarche politique, avec des fondements théoriques ou théologiques. Il en va de même pour Kadhafi, et j’avoue au demeurant avoir du mal à percevoir en quoi se trouve-t-il dans ce livre?
A travers une série d’exemples d’assassinats, les auteurs développent un récit de l’histoire de France à travers un prisme rarement abordé. Ils montrent parfaitement l’évolution explicative de ces assassinats. Mais il y a une constante, l’assassinat est une protestation contre l’ordre de la société, tous les assassins souhaitent le changer. Leur violence, au-delà de leurs justifications a pour but l’établissement d’un espace de paix et d’une société plus juste pour tous ses membres, c’est du moins comme cela qu’ils l’envisagent !
L’assassinat politique en France
Colette Beaume et Nicolas Perruchot
éditions Passés/composés. 23€