Pour la première fois des chefs-d’œuvre de la collection Cini, l’une des plus importantes collections d’art ancien italien, s’installent hors d’Italie. À l’occasion du 70ème anniversaire de la création de la fondation Giorgio Cini, le public va pouvoir découvrir 70 peintures, sculptures, dessins et objets précieux datant du XIVe au XVIIIe siècle. Entrepreneur et philanthrope, Giorgio Cini (Ferrare 1885 -Venise 1977) a créé cette fondation à la mémoire de son fils, mort prématurément à l’âge de 30 ans.
Le Centre d’art Caumont à Aix-en-Provence, se fait « intime », à la fois précieux et chaleureux. On découvre Giorgo Cini en parcourant les œuvres au fil des salles, un collectionneur discret, nous dit-on, qui affichait « une désarmante spontanéité dans sa façon silencieuse dont il appréciait l’art. ». On entre dans l’intimité de Caumont, un peu comme on entre au Palazzo Cini à Venise.Les salles s’organisent comme des « îles » en référence à l’île San Georgio, autre lieu qui regroupe ces trésors et accueille le siège de la Fondation au monastère de San Giorgio Maggiore.
Au mur et sur les sols, des rouges, des violets profonds, des marrons chauds. La scénographie de Hubert le Gal est parfaite pour mettre en valeur les ors des iconographies religieuses et les cadres dorés. Tout au long du parcours se dressent fièrement des illustrations du palais et des images de l’île de San Giorgio recouvrent les murs et les bancs des salles sur lesquels on hésite un instant avant de s’asseoir. Un supplément de décor, qui s’affiche sobrement. L’essentiel se donne à voir sur les cimaises.
L’Adoration des Mages de Véronèse. Une œuvre superbe sur laquelle on s’attarde. On entre dans la scène, on cherche à se faire une petite place entre tous ces personnages qui n’ont d’yeux que pour la mère et l’enfant qui se regardent tendrement. Une toile d’une belle harmonie, relativement sombre mais aux jeux de lumière subtils.
Dans la seconde salle, des objets précieux sont mis en scène : des livres, divers objets, des tableaux, des huiles sur bois. Une partie de la Renaissance italienne s’est déplacée à Caumont et le temps s’est arrêté ici. On s’émerveille de l’état de conservation de ces objets précieux et raffinés. « Une « chambre des merveilles » qui, on vous le disait, s’inspire de l’aménagement du Palazzo. Un objet minuscule retient notre attention : un livre d’un format de cinq centimètres à peine, manuscrit offert à Charles VIII par le duc de Milan Ludovico Sforza. Imaginez la taille des enluminures exécutées en 1494, c’est époustouflant de précision.
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Les grands maîtres de la collection Cini inspirent des artistes de la scène contemporaine
Ainsi, la collection continue de vivre et de se renouveler sous le regard d’artistes contemporains, tel que Ettore Spaletti, décédé en 2019. Invité par la fondation, l’artiste a souhaité dialoguer avec un chef d’œuvre du passé : Le Christ Rédempteur de Sano di Pietro qui date de 1442. Le Christ prêt au sacrifice suprême. Les bras croisés traduisent l’acceptation de son destin, le regard fixe est déterminé. Il est représenté comme l’exemple absolu de la persévérance dans la foi.
On trouve cette simplicité aussi chez Ettore Spaletti qui a imaginé dans son installation « Sans titre, sens dessus dessous, 2000 », des formes simples en albâtre dont certaines faces sont peintes dans des couleurs qui ne sont pas sans rappeler les retables des primitifs italiens : le bleu du ciel, le doré des fonds d’or et le rose des carnations, le tout laissant apparaître la qualité esthétique de la pierre.
Des volumes épurés, une géométrie agréable, l’œuvre de Spaletti nous parle et dialogue avec le Christ de Sano di Pietro. Dans son travail, l’artiste contemporain répond plus amplement à toutes ces peintres de la renaissance qu’il étudiait, compagnons spirituels qui, comme lui ont traqué la couleur, l’architecture d’une œuvre, sa poésie. C’est vraiment dommage que cet artiste soit si peu connu en France.
Il y a encore l’œuvre de Giovanni Battista Piranesi, graveur et architecte italien de renom, qui a surtout gravé et rarement bâti. Depuis le XVIIIe siècle, ses prisons imaginaires, ses labyrinthes truffés de détails fascinent. Des escaliers en spirale, des passerelles dans le vide qui ne mènent à rien, des lieux de torture avec des cordes et des poulies, tout un imaginaire qui donnent la chair de poule. On les découvre dans une salle « prison » plongée dans le noir, ambiance ténébreuse garantie.
Cette série, achetée par Vittorio Cini, a inspiré l’artiste Brésilien Vik Muniz qui a réalisé des illustrations de prisons toute piranésiennes, tout autant truffées de détails. Des cordages et des fils que l’on suit pour une version plus douce mais néanmoins savante. Les œuvres se font face, sur les murs sombres devenus inquiétants, c’était sans compter sur le Christ, qui dans le fond de la salle, dans un savant jeu de lumière, nous montre le chemin… On est sauvés !
Ce christ, grand crucifix en bois polychrome, fait partie des importantes sculptures acquises par Vittorio Cini dans les années 1930. Une œuvre remarquable d’un sculpteur bolonais, qui a taillé dans une seule pièce de bois massif un Christ grandeur nature dont le déhanché semble « naturel ». Et pour cause : l’artiste a suivi la courbure du tronc d’un saule, dans lequel la sculpture est venue se lover. L’homme, bien que crucifié, n’exprime pas la douleur. Au contraire, dans ses yeux grands ouverts, on peut lire « la victoire sur la mort ».
Une évidence quand on la découvre : comment ne pas aimer La vierge et l’enfant de Piero della Francesca ou de Luca Signorelli, son élève ? Des experts pencheraient pour cette seconde hypothèse. Il s’agit d’un chef-d’œuvre bien mystérieux du Quattrocento, acquis par Vittorio Cini en 1958. C’est une chance pour le public de pouvoir admirer cette œuvre, également choisie pour représenter l’affiche de l’exposition.
Intéressant encore ce tableau, dont on découvre l’histoire : Double portrait de deux amis.
Il s’agit de l’un des grands chefs-d’œuvre de la collection Cini acquis en 1960. Il avait appartenu au XVIIe siècle aux Médicis. Jacopo Pontormo, peintre de Florence, touche ici au sommet de son art de portraitiste. L’artiste représente deux de ses amis très chers. L’un d’eux tient une lettre sur le thème de l’amitié. Elle est écrite par Cicéron qui affirme la primauté de ce sentiment sur les autres.
Enfin, on s’arrête longuement devant la dernière œuvre de l’expo et on se souvient. En effet en 2015, Le Caumont Centre d’Art consacrait son exposition inaugurale à « Canaletto, Rome – Londres – Venise. Le triomphe de la lumière ». Le public pouvait admirer une remarquable sélection de chefs-d’œuvre de la peinture vénitienne du XVIIIe siècle. On n’a pas oublié non plus qu’une œuvre de Francesco Guardi était accrochée sur les cimaises, la magnifique huile : Venise: la Fondamenta Nuove, avec en fond la lagune et l’île de San Michèle.
En 2021, c’est une aquarelle qui nous charme : vue de l’île de San Giorgio Maggiore. On le sait, c’est l’un des plus brillants représentants de la peinture vénitienne. De cette œuvre s’échappent de magnifiques vibrations atmosphériques tant elle est paisible et douce.
Illustration de l’entête: Francesco Guardi (Venise, 1712 – 1793), Vue de l’île de San Giorgio Maggiore, fin XVIIIe siècle-avant 1793 Venezia, © Fondazione Giorgio Cini
Exposition
La Collection Cini- Trésors de Venise
jusqu’au 27 mars 2022
Hôtel de Caumont
3, rue Joseph Cabassol 13100 Aix-en-Provence
Tél: 04 42 20 70 01
Ouvert tous les jours.
Du 1er mai au 10 octobre : 10h-19h
Du 11 octobre au 30 avril : 10h-18h