Face à l’invasion brutale et illégale de l’Ukraine, nul n’a envie d’être assimilé à un « münichois ». Et de même nul n’a envie d’oublier que l’agresseur est une puissance nucléaire. Le malaise européen tient dans ces deux termes.
Ni les Etats-Unis ni les pays d’Europe ne veulent risquer la confrontation nucléaire. Ils ne veulent pas non plus entériner agression et annexion. Inutile de prendre la posture des boutefeux : le fait nucléaire est incontournable. Il assure la sécurité des Etats qui en sont possesseurs et a toujours sanctuarisé leur propre territoire : dissuasion du fort au fort, du faible au fort, du fort au faible…
Est-il possible de simplement tenir tête à la Russie sans entrer en confrontation armée directe avec elle ? Les sanctions économiques s’y essaient, mais nous savons par expérience que leur résultat est limité.
Peut-être serait-il plus utile à la protection de l’Ukraine et à celle des Etats européens non-nucléaires d’établir un régime fiable de sécurité collective sur notre continent. S’en remettre à l’OTAN pour les pays qui en sont membres est compréhensible. Pouvons-nous pour autant ignorer les autres ou s’imaginer qu’ils rejoindront l’Alliance atlantique sans difficulté ? Ce n’est guère réaliste.
Pour construire un système de sécurité collective, encore-faut-il que les Européens se soucient de leur défense. Or la défense européenne, depuis un demi-siècle, est une idée française. Elle est accueillie avec une ironie déplaisante à Berlin, où depuis 1963, on a appris à remplacer l’Europe par l’Atlantique, l’assurance par la ré-assurance, où on a évité soigneusement de dépenser ses excédents dans les budgets de défense, où les courants écolo-pacifistes étaient dominants. Beaucoup d’Allemands et beaucoup de nos partenaires au sein de l’Union européenne, estiment encore qu’avec leur force de dissuasion nucléaire, « les Français voyagent en première avec un ticket de seconde ». La dissuasion française est cependant la seule arme nucléaire indépendante en Europe continentale. Avec sa doctrine de stricte suffisance, elle n’a pas besoin de course aux armements, mais suffit à porter tout conflit menaçant notre sécurité à un niveau inacceptable pour l’agresseur.
Evidemment, la tentation est grande de se retirer de l’histoire, dans un vert paradis : en cas d’agression, l’oncle Sam viendra à notre rescousse ! Quand les éoliennes sont privées de vent, ou les panneaux photovoltaïques de soleil, on brûlera du gaz ou du charbon venus d’ailleurs… ! L’électricité nucléaire ? « Not in my backyard » ! Mais quand la tragédie frappe à notre porte, des remises en cause douloureuses s’imposent. La France tient actuellement à juste titre le cap hérité d’une longue expérience, depuis les choix initiaux de Pierre Mendes France et la création de la force de dissuasion par le général de Gaulle. Les ricanements d’hier ont depuis longtemps cédé le pas à la réflexion : la future sécurité européenne devra pouvoir compter sur des garanties de sécurité, mais ne pourra pas se passer d’un effort sérieux de défense engagé par les Etats européens eux-mêmes. Pour dissuader à l’avenir quiconque d’agresser un Etat d’Europe, une dissuasion européenne globale, incluant forces conventionnelles et forces nucléaires nationales indépendantes, sera à construire.
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