Un héros, un vrai, fort, libre qui n’a que faire des aspirations des humains, qui vit comme il le veut, à son rythme, suivant ses humeurs, qui est là depuis la nuit des temps et qui ne bougera pas, jamais. Ce héros, personnage central du dernier roman de Gilles Paris, n’est autre que le Stromboli, le volcan des îles Éoliennes, déjà chanté dans l’Odyssée d’Homère, la porte des enfers. Il est ! Ce sont les hommes qui doivent s’adapter à lui et non l’inverse. Et au-delà de sa majesté, au-delà de ses airs parfois matois, il sait faire rappeler son existence et montrer qu’en dernière instance, c’est lui qui décide.
Et pourtant il y a des hommes qui vivent dans cette île, qui le connaissent, qui le redoute aussi, et qui profite de sa renommée pour vivre du tourisme qu’il génère.
C’est le cas de Guillaume un parisien. Ancien commando de l’armée, il a racheté l’hôtel Strongyle à Stromboli de ses beaux-parents. Sa femmes Giulia s’est enfuie de la maternité et a totalement disparu, lui laissant un bébé, une fille qu’il a appelé Giulia. Elle a 15 ans vit avec une certaine liberté. Elle se heurte à un mur quand elle veut comprendre qui était sa mère, qu’elle croit morte en la mettant au monde. Il faut dire que Guillaume est ravagé par son passé, par les horreurs qu’il a vues, qu’il a causées. Pour soigner son mal-être, pour contenir sa violence, il se réfugie dans l’alcool qui est aussi un moyen pour ne pas parler avec sa fille. Seul Mathéos, ancien compagnon des commandos, son associé, arrive à le sauver de ses démons et entretenir un lien entre le père et la fille.
Cet été là, l’hôtel est bien rempli. Il y a Elena, une veuve paraplégique et son infirmière Irina. Elle est revenue en un lieu où elle fut heureuse avec son défunt mari. Les Lebrun, un couple de Français avec leurs trois enfants. L’aîné Tom est en constant contact avec Gris, il n’y a que lui, son frère et sa sœur qui le voit. Il leur fait peur mais aussi les motive et les protège. Un habitué, Thomas, photographe qui revient chaque année à l’hôtel car c’est de là que son grand amour Emilio, un jour, a disparu en mer : il était parti nagé et n’est jamais revenu. La mer n’a pas restitué son corps. Lior, l’océanographe, un être solitaire qui revient sur les traces de son passé car il a passé une partie de son enfance sur l’île quand sa mère était si gravement malade. Ethel et Sébastanio, un frère et une sœur uruguayens qui se retrouvent après de terribles épreuves. N’oublions pas Anton et Sveda, lui est chirurgien, part souvent en opérations humanitaires, trompe sa femme aussi bien avec des femmes qu’avec des hommes, sa façon de toucher, de comprendre le vivant pour chasser la mort qui l’entoure. Elle n’est pas dupe mais le comprend, avec certaines limites. Et puis Abigale, une Américaine vivant à Paris qui attend son amant, son Amour Eytan. Elle assume son statut de maîtresse car il est marié et ne lui a rien promis. Quand ils ne sont pas ensemble, il lui arrive d’avoir des aventures avec des « mauvais garçons », des histoires sans lendemain basées uniquement sur le sexe. Et pour finir, le beau Gaetano, un enfant du pays, guide pour la visite du cratère du Stromboli, une sorte de Don Juan d’autant plus attiré par Giulia que c’est bien la première qui se refuse à lui.
Cet été là ils sont tous réunis avec leurs caractères lâches, résilients, amoureux, désabusés, infidèles, égoïstes, plongés dans le passé. Mais le Stromboli est là, il gronde, il crache sa colère. Il n’y a que les actes qui comptent face à la mort qui surgit du cratère et bien des secrets, bien des ressentiments, bien de vrais actes d’amour vont surgir de chacun d’eux, violents comme un torrent de lave et, quand l’éruption aura pris fin, ce sera l’heure des bilans, des choix de vie. L’épreuve qu’ils ont subie leur montrera leurs erreurs, les faux rêves dans lesquels ils vivaient, les choix qui s’imposent pour, non changer de vie, mais la faire évaluer vers une plus grande plénitude. Puis, bien sûr, ce que l’on croyait perdu dans le passé peut revenir, en positif comme en négatif. Le tout est d’accepter ce passé parfois ravageur pour partir sur un bien plus beau chemin. C’est ce que comprend Thomas, mais aussi Anton qui ne peut s’imaginer sans Slava et réciproquement, Guillaume qui arrête l’alcool, assume son passé et parle enfin à sa fille, et ce grâce à l’amour, grâce à Abigal qui comprend toute la fatuité de son amant. Et bien sûr Giulia qui trouve non seulement l’amour, mais aussi son père et finalement sa mère. Et puis nous finissons par savoir qui est Gris.
Sans le Stromboli, le bal des faux-semblants, des fuites aurait continué.
Gilles Paris signe là un très beau roman. Comme d’habitude il fait montre d’un véritable amour et de respect pour ses personnages. Tout est en retenue, tout est écrit, décrit avec une certaine sérénité mêlée à une grande pudeur. Il aime cette île volcanique, il nous le montre, le démontre. Il nous montre la magie qui s’en dégage, magie qui opère sur tous ses personnages et aussi sur ses lecteurs.
Le bal des cendres
Gilles Paris
éditions Plon. 19€