Quel est le plus heureux des deux ? Difficile à dire tant leur complicité est évidente. Voici une amitié qui n’est pas que musicale. Ce n’est pas la première fois que ces deux musiciens d’exception montent sur scène ensemble au Festival de Pâques comme dans d’autres concerts aux quatre coins du monde.
Ce samedi 23 avril, c’est à Aix-en-Provence que Martha Argerich et Renaud Capuçon ont envoûté le public avec un programme romantique de toute beauté. Pour rien au monde les mélomanes n’auraient manqué cette rencontre.
Martha Argerich, légende vivante du piano, est une habituée du Festival de Pâques. Elle est la diva aux doigts d’or qui n’aura jamais rien perdu de sa vivacité, de sa grande maîtrise, de son instinct. Instinct qui la démarque de bon nombre de pianistes. Instinct, dans le sens noble du terme, car elle triomphe dans tous les répertoires avec une telle aisance et une insolente facilité. Son toucher est unique et on ne se lasse pas de voir ses mains se métamorphoser au fil des pages, ses doigts devenir tour à tour solides ou tendres, et il y a parfois de l’espièglerie dans l’air chez cette jeune octogénaire.
Schumann, Beethoven et Franck du romantisme et de l’émotion musicale comme s’il en pleuvait en ce jour de grisaille.
La Sonate n° 1 de Schumann débute le concert. Piano violon, violon piano, aucun passage solo ne l’emporte sur l’autre. Intense moment d’émotion dès le premier mouvement qui offre un dialogue passionné et raffiné entre le clavier et le violon. On est subjugué par cette façon qu’ont les deux musiciens de passer d’un climat sombre à un climat lumineux. On se laisse porter par l’ardeur et l’exaltation chantantes du rondo de l’Allegretto, et cela contraste intensément avec d’autres passages davantage douloureux, notamment dans le troisième mouvement, Lebharft « animé ». Les deux musiciens nous livrent cette mélancolie avec délicatesse. On aime ces phrases qui se chevauchent, qui s’interrogent et se heurtent. Cette sonate est émouvante.
L’une des plus célèbres sonates pour piano et violon de Beethoven, dite Sonate à Kreutzer, interprétée par ces deux géants, c’est tout simplement, un moment rare qui nous est offert. On sait l’apprécier. Tout commence par un Adagio remarquable dans lequel notre violoniste excelle. Que de difficultés il contient !
On poursuit dans l’exaltation et l’énergie insufflées par Argerich/Capuçon. On se pause et on reprend notre respiration grâce à la douceur du second mouvement, dont on suit les brillantes et généreuses variations.
Pour terminer, la Sonate de César Franck.
Tout aussi belle que les autres sonates proposées dans ce programme. Une merveille d’équilibre, avec juste ce qu’il faut de mélancolie et de tension. Là encore, c’est la parité parfaite entre le violon et le piano. Cette complicité nous plonge dans un lyrisme élégant, poétique et notre réaction est quasi épidermique ! Notamment dans les mouvements les plus endiablés, lorsque le violon de Renaud Capuçon, après nous avoir sussurré à l’oreille quelques passages pudiques de la partition, s’élance avec fougue, accompagné du piano de Martha Argerich qui est juste merveilleuse de naturel… et oserons nous le dire, de malice. On est heureux de redécouvrir cette Sonate à l’occasion de cette soirée remarquable en tous points de vue. Des bis enchanteurs : Sicilienne de Paradies, extrait sonate de Schubert en la majeur D574, extrait sonate n°8 pour violon et piano de Beethoven opus 30, n°3, et enfin, Libeberslied de Kriesler.
Le public se lève, porté par l’enthousiasme, debout, il applaudit à tout rompre.
Festival de Pâques
Aix-en-Provence
Programme du samedi 23 avril
Renaud Capuçon, violon
Martha Argerich, piano
Robert Schumann (1810-1856)
Sonate pour violon et piano n° 1 en la mineur, op. 105
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour piano et violon n°9, dit Sonate à Kreutzer
César Franck (1822-1890)
Sonate pour violon et piano, FWV 8