Liberté intérieure et confortable servitude
Dans cette rencontre avec le public du Luberon ce jeudi 28 avril, il était question de son dernier ouvrage, « Le laboureur et les mangeurs de vent » paru chez Odile Jacob, mais pas que. Le neuropsychiatre et écrivain est une belle personne qui porte son regard sage et pondéré sur toutes choses et qui sait partager et rendre accessible son savoir. Ce n’est pas donné à tout le monde.
Ce soir-là l’O.M. était en demi-finale aux Pays bas… C’est Boris Cyrulnik qui nous l’apprend non sans malice. Si on s’étonne un peu de cette introduction légère et enjouée, c’est que l’homme, qui a écrit à maintes reprises sur le sport, souhaite saluer un ancien joueur de l’équipe de France et de l’Olympique de Marseille, Franck Sauzée, venu l’écouter en invité surprise. « Le sport, c’est vibrer ensemble, tout comme la musique ». Rebondit l’excellent saxophoniste pianiste et pédagogue, Michel Pellegrino, le médiateur de la soirée.
Une anecdote fait sourire l’assistance. Décidément, l’humour s’invite et en ces temps de grisailles, on prend ! « Lorsque j’étais gamin, confie Boris Cyrulnik, j’allais m’entraîner au rugby dans Paris à Notre-Dame des Lorettes dans un club où les rugbymans faisaient de la musculation avec les danseurs du casino de Paris. Il y avait évidemment une petite différence entre les deux groupes ! A l’époque, on disait que lorsqu’on avait des muscles, on avait un petit cerveau … et un petit zizi. Grâce à la Neuro imagerie et grâce aux sciences, on sait désormais que le fait de stimuler les muscles stimule également la zone correspondante du cerveau. Pour le zizi, on n’en sait trop rien, on n’a pas fait assez d’examens mais cela ne saurait tarder ! »
La gravité sera quand même présente tout au long de la soirée, et fort heureusement, les notes d’humour et le sourire de Boris Cyrulnik sont autant de petites bulles d’oxygène qui font du bien. Son livre nous bouleverse et fait réfléchir. Il s’agit en substance d’une quête. L’auteur s’identifie au « laboureur », qui cherche à comprendre et à penser par lui-même. Entre réflexion philosophique sur la liberté de penser ou la soumission, il y a parfois qu’un pas. « Les mangeurs de vents » comme l’auteur les appelle, qui se conforment au discours ambiant, s’engagent sur la voie de l’embrigadement, souvent aveuglés, ils adhérent à la parole « sécurisante » du groupe. Ils se soumettent aux chefs autoritaires alors que les laboureurs creusent leur propre sillon et suivent leur propre réflexion. « Les mangeurs de vents acceptent mensonge et manipulation, plongeant dans le malheur des sociétés entières. » L’écrivain explique : «Quand un peuple est en difficulté, il cherche un sauveur. Et ce sauveur peut lui raconter n’importe quoi, le peuple va suivre et perdre son aptitude à juger« . Selon lui, Ces deux attitudes face au monde nous concernent tous. Elles sont déterminées par le passé de chacun.
L’enfance est primordiale. Le neuropsychiatre parle avec beaucoup de tendresse du rôle de la mère, de la famille.
Boris Cyrulnik revient sur sa propre expérience, sa propre culture, les rencontres qu’il a faites. On se souvient avec effroi de sa « condamnation à mort » à l’âge de 7 ans lorsqu’il fut arrêté par la gestapo à Bordeaux. Ses parents étaient sans doute déjà morts en déportation. « J’ai été condamné pour un crime que j’ignorais. Ce n’était pas une fantaisie d’enfant qui joue à imaginer le monde, c’était une bien réelle condamnation ». Un petit enfant que l’on a voulu tuer pour une idéologie meurtrière ! Comment une telle idéologie peut encore prospérer ? Elle résonne douloureusement aujourd’hui encore. L’auteur a écrit son livre avant la guerre en Ukraine. L’histoire se répète.
L’auteur commente aussi son expérience réjouissante dans les Favelas au Brésil, à l’époque de Lula. Il y était avec son épouse, Florence. « Avant Lula, on envoyait la police pour « régler » les problèmes. Mais la plus grande fierté des jeunes, sans travail, sans école, sans famille pour la plupart, était justement d’affronter la police. La politique a changé, on a préféré envoyer des footballeurs. « Vous connaissez un petit garçon capable de résister à un footballeur ? Personnellement, je n’en connais pas ? Connaissez-vous des filles capables de résister à un guitariste ? Je n’en connais pas non plus ! Lorsqu’il fut question d’envoyer des danseurs classiques au milieu de ces petits bagarreurs, j’ai pensé qu’ils allaient se faire lyncher ! Pas du tout ! Les enfants des bidons ville ont adoré les cours de danse, de même qu’ils ont aimé les cours de musique ; deux ans après, la moitié de ces garçons allaient à l’école ! On n’avait jamais dit à ces enfants qu’ils pouvaient créer du beau ! »
Boris Cyrulnik dit les choses simplement encore lorsqu’il parle des 1000 premiers jours de la vie. « C’est dans les premières années que l’on acquiert une vision du monde. Si on a été sécurisé par notre mère, notre famille, notre quartier… Comment les premières années de la vie et la théorie de l’attachement sont essentielles pour l’enfant, afin qu’il prenne confiance en lui et se forge une confiance assez grande pour penser de lui-même. L’autonomie, la liberté, la servitude, l’obéissance, sont des grandes questions qu’il soulève encore. Et lorsqu’il parle de violence, de la domination d’un groupe d’homme sur un autre qui peut mener jusqu’à l’effroi, le désespoir, les conflits, la guerre l’homme le fait sans colère. C’est le présent que Boris Cyrulnik souhaite éclairer, au-delà de l’histoire. Il évoque encore les choix que l’on doit faire, les idées, les partis politiques, et cela n’a jamais été aussi complexe.
Boris Cyrulnik, est un sage et son livre, plein de profondeur et de clairvoyance le prouve.
Il nous encourage et nous invite à une saine réflexion. Comment trouver le bon chemin de la liberté « intérieure » seul rempart contre le totalitarisme ? Même si cela semble couler de source à travers ses mots, on aime son éclairage sur un « autre monde pour rêver, s’interroger, aimer : l’école, le cinéma, le sport, la musique, les artistes, les romanciers, bref, tout ceux qui posent des questions essentielles et nous invitent à regarder autrement peuvent nous aider à construire ce rempart.
Le laboureur et les mangeurs de vent se lit d’une traite et au mot fin, on se surprend à revenir sur certains chapitres. Nul doute, on le gardera à porter de main pour sa dimension philosophique déjà, et parce que l’écrivain pose des questions fondamentales.
Le laboureur et les mangeurs de vent
Boris Cyrulnik
éditions Odile Jacob. 22€90
pour en savoir plus sur la programmation culturelle, littéraire et musicale du domaine : www.chateaudesanne.com