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Entretien avec Philippe Caroit, écrivain, homme de cinéma et de télévision, touche-à-tout prolifique

par Pétra Wauters

Tu as de beaux yeux, tu sais ! Oui, mais Philippe Caroit, ce n’est pas qu’un beau regard bleu profond, c’est un homme qui touche à tout avec bonheur :  cinéma, théâtre, télévision, adaptation, réalisation, peinture et écriture !

Son livre La malédiction de l’escargot sorti en novembre 2020 est une très belle surprise dans le monde littéraire.  

Il a failli devenir médecin (6 ans d’études, tout de même) et a mené un temps une double vie de « comédecin », comme il se définit lui-même. Il a intégré dans un premier temps le Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine, puis fut appelé par le cinéma grâce à Éric Rohmer et Jean Claude Brisseau côté télévision, qui lui offrait une plus grande popularité, dans le sens noble du terme. 

L’écrivain présente son premier roman dans les Salons du livre, et c’est comme cela que nous apprenions son existence au mois d’avril dernier, au Festival du livre d’Avignon. Une belle découverte pour ce premier ouvrage, et à sa lecture, nous aimerions une suite, tant l’histoire nous parle.  

Olécio partenaire de Wukali

Hugo ne voulait pas d’enfants et voilà qu’il se découvre père. L’ADN le confirme, Candice est bien sa fille, et qui plus est, il s’agit d’une adolescente, ce qui ne va pas lui faciliter la tâche. Mais comment est-ce possible alors qu’il est persuadé de n’avoir jamais rencontré sa mère ?

Ce sujet pourrait sembler banal, quelque peu rabattu, et pourtant cette façon d’amener l’intrigue est remarquable.  Le thème ainsi traité par l’auteur a tout pour surprendre le lecteur. La malédiction de l’escargot est enveloppée de mystères et si certaines de ses intrigues restent floues, à la limite de la vraisemblance, on suit notre homme et on reste harponné à son histoire joliment folle !

La vie d’Hugo va être bouleversée, on s’en doute. Comment va-t-il devenir père ?  Ce ne sera pas facile ! Déjà, toutes ses convictions seront remises en question, il lui faudra faire des choix, revisiter la vérité, composer avec sa famille, ses amis comédiens, le public, la presse, la femme qu’il aime, et cette fille, Sa fille, Candice, si bien dépeinte par l’auteur qu’on a l’impression de l’avoir rencontrée.  

On ne quitte pas facilement le livre, on a envie de tourner les pages, de le dévorer d’une traite, pour comprendre comment une vie peut basculer soudainement. On suit cette relation qui évolue, mûrit, nous trouble et nous émeut. Les deux personnages principaux sont touchants, ils le sont tous au demeurant, et on s’intéresse d’autant plus à eux car ils nous apportent des réponses et des éclairages nouveaux sur le père et sa fille. On aime la plume de Philippe Caroit. L’écriture est soignée, fluide, légère, et ne manque pas non plus de profondeur. L’écrivain possède un langage à la fois familier et délicat, un phrasé très vivant. C’est moderne, rythmé de dialogues et de textos. On rit parfois car il y a des passages effrontés, où l’auteur dit les choses telles qu’elles sont et c’est cela aussi, Philippe Caroit. Être délicat et abrupt, réservé et impudique, souffler du froid et du chaud, paradoxal non ? Le comédien ne se la « joue pas », et s’il y a une part autobiographique, il n’est pas là pour édulcorer et emmieller le discours. Il appelle un chat un chat. On parcourt son univers, avec lui on boit, on trinque, on est repu d’amour et de plats chauds, salés ou sucrés, rien n’est livré « à moitié », rien n’est tiède. L’univers du cinéma, impitoyable et grisant, la célébrité, le temps qui passe, la vie qui bouscule, quantité de sujets sont abordés sous le regard de l’auteur, loin des clichés faciles. On est sous le charme. 

A quand une adaptation au cinéma, pour une vraie comédie qui grince, comme on les aime ? 


Rencontre avec Philippe Caroit

  • « La malédiction de l’escargot », voilà un titre qui interroge

J’avais une dizaine de titres en vue.  « La malédiction de l’escargot » évoque presque un titre de polar, ou de thriller, en écho à l’énigme de la première partie du roman. C’était une façon d’accrocher le lecteur. Comment est-il possible qu’un type qui est le père biologique d’une jeune femme ne connaisse pas la mère ? Et pourquoi cette femme ne veut pas le rencontrer, ne serait-ce que cinq minutes pour lui dire « souviens-toi, on a eu une aventure d’une nuit ».   Tout va être compliqué. 

Et quoi que fasse l’escargot, il en bave… ! Pourrais-je ajouter, tout comme Hugo Talmont !

  • En pourcentage, il y a combien de vous-même dans le personnage d’Hugo ? 

Hugo est plus que 50 pour cent de moi-même. En revanche ce qui lui arrive est pure fiction. Quelque part Hugo est moi-même dans le regard qu’il pose sur le métier. Lorsqu’il dit qu’il n’aime pas trop les diners de comédiens, je ne les aime pas trop non plus même si j’ai de très bons amis comédiens. Sa façon d’appréhender le monde et de voir l’écologie est également proche de la mienne, même si je ne vais pas jusqu’à déconseiller de faire des enfants car cette terre craque de tous les côtés ! 

Je tenais aussi à montrer que les gens se font une certaine idée de ce métier et si je ne suis ni Depardieu, ni Brad Pitt, beaucoup s’imaginent que pour moi aussi c’est le festival de Cannes tous les jours. 

Philippe Caroit. Le thé

En m’approchant des gens plus stars que moi, je constate que certes ils ont de la chance, parce qu’ils font le métier qu’ils ont choisi et gagnent souvent bien leur vie (et il y a peu d’élus), mais à l’arrivée, rares sont ceux qui sont vraiment heureux. Dans le livre, Hugo a « réussi », certainement plus que la mère de Candice qui connait des galères. La jeune fille pouvait imaginer que pendant qu’elle faisait des ménages, lui se la coulait douce dans son loft à Paris.  Mais parfois, la vie des comédiens n’est pas aussi rose. Ce sont des métiers déstructurants, assez toxiques pour les vies familiales, la vie de couple. C’est cela aussi que je tenais à partager.  Hugo est seul, il s’est fait larguer, pour des considérations écologiques mais pas que… Il n’est pas à plaindre, mais sa vie est moins paillettes et moins glorieuse que ce qu’on pourrait imaginer. 

  • Rassurez-nous, qu’en est-il de votre équilibre à vous ?

Comme vous le disiez, je suis un peu touche à tout ! Ce qui fait que, lorsque cela marche un peu moins bien dans mon métier (et cela arrive à tous les comédiens), je fais de la peinture ou j’écris.  Ce sont des parachutes pour moi, et ceux qui n’en n’ont pas, peuvent malheureusement descendre très vite. 

  • L’histoire est étrange ! 

Ne dévoilons rien de plus, laissons aux lecteurs le bonheur de découvrir.

Je peux juste vous dire que tout ce qui arrive est tout à faire possible. Je ne sais plus comment l’idée m’est venue, mais aussitôt, j’ai su qu’elle pourrait être le départ de quelque chose. Je pensais notamment à un court métrage, il n’était pas encore question de livre. 

  • Et un film ?

C’est aussi un projet, à vrai dire je suis en train de travailler à l’adaptation. 

  • Vous avez une fille de 23 ans, vous a-t-elle inspiré ? 

Candice ne ressemble pas du tout à ma fille. Elle ne boit pas, ne fume pas, ne porte pas de tatouage ni de piercing ! 

Sans vouloir faire une chronique sociale, elle a déjà deux parents qui ne se connaissent pas. Il y en a un qui représente une mère-courage et l’autre qui est ce père qu’elle découvre sur le tard. Une sorte d’un « bobo jouisseur » comme elle l’appelle, qui, c’est ce qu’elle pense, ne s’est jamais fatigué dans la vie. Candice penche évidemment plus du côté de sa mère, et le rapprochement du père et de la fille va donc être compliqué. 

  • Hugo se moque beaucoup de lui-même. Pensez-vous que c’est cela qui le rend si attachant ? Cette dérision, son côté anti-héros ?

Peut-être. L’humour en général, et l’auto-dérision en particulier, sont pour moi des qualités majeures.  Je ne peux pas m’entendre avec quelqu’un qui n’a pas d’humour, les gens qui en manquent m’ennuient profondément.

C’est une arme magique l’humour, un bouclier magique L’humour dans la vie apporte de la légèreté, une certaine distance, même s’il est parfois difficile de prendre certaines choses avec humour.

  • Dans « la malédiction de l’Escargot », on ne boit pas toujours raisonnablement, un petit joint de temps en temps, la gueule de bois qui s’invite, et les footings pour équilibrer tout ça ! Est-ce bien moral ? (rire – je précise !)

Ah ah… les plaisirs de la vie, mais ce sont aussi les pansements sur nos petites blessures et nos angoisses.

Philippe Caroit dans son atelier
  • Philippe Caroit, vous peignez. Vos peintures sont touchantes, les couleurs vibrantes, il y a un côté art primitif dans vos créations.

En peinture je suis complètement autodidacte, donc assez « primitif ». Et évidemment inspiré par les courants artistiques qui me passionnent, l’expressionnisme allemand, le fauvisme, les Nabis.  

  • C’est une passion de toujours ?

Oui, j’ai toujours aimé la peinture. Et pourtant, je me suis interdit de peindre pendant des années, je pensais que je ne saurai pas déjà parce que je ne sais pas dessiner. 

J’avais des copains aux Beaux-arts, de bons copains étudiants. Chacun pouvait emmener une personne aux séances, les profs ne vous demandaient rien. J’en suis arrivé à tenter les ateliers du lundi soir mais finalement, ce qui m’a réellement amené à la peinture c’est la couleur et Caroline, la mère de ma fille qui peignait et peint encore beaucoup. 

Depuis, je travaillais à l’huile et au couteau. J’ai tenté l’acrylique mais le résultat ne me convenait pas. L’aquarelle, j’adore, mais c’est pour moi un mystère et je serai incapable d’en faire. 

  • On a l’impression que vous vivez à 100 à l’heure. Pourtant, à vous regarder et vous écouter, il émane de vous un « je ne sais quoi de rassurant, paisible et beaucoup de bienveillance.  
Philippe Caroit. Mon ami

En fait, je suis un hyper-actif flemmard, adepte de la sieste. J’essaie d’ouvrir toutes les portes que la vie met sur mon chemin. Je suis heureux de dégager ce que vous décrivez, mais ça bouillonne souvent à l’intérieur.

  • Vous bouillonnez aussi lorsque vous préparez une pièce de théâtre ? C’est facile ou un peu compliqué de travailler avec vous ? 

En essayant d’être de bonne foi, je pense que c’est assez facile. 
Je suis toutefois très exigent avec moi-même dans le travail et dans la vie, et de temps en temps d’une exigence, qui, si elle ne fait pas perdre mon humour, frise parfois la maniaquerie. Un petit rien peut me déranger. Je ne suis pas psycho rigide mais souvent d’une grande rigueur, aussi car j’essaie d’être toujours juste. Je le dois peut-être à mon passé d’étudiant en médecine.  

  • Vous avez un projet théâtre. Pouvez-vous nous en parler ? 

Mon principal projet consiste actuellement à monter « Le Chapon », comédie contemporaine grinçante que j’ai écrite. 

Ça se passe un soir de Noel, le réveillon part complètement en vrille. La pièce se veut à la fois drôle et cruelle, de par son regard sur notre époque.  
Je suis ravi car je vais aussi y jouer un des rôles avec 3 autres comédiens et assurer la mise en scène à la demande de mon producteur. C’est une grande première ! J’ai déjà adapté des pièces que j’ai jouées, mais sans les mettre en scène. Bien que je n’ai plus trente piges, j’aime bien ces nouveaux paris, cela empêche de ronronner, de s’endormir.

Elle sera jouée à Paris puis en tournée. 

La malédiction de l’escargot
Philippe Caroit

éditions Anne Carrière. 17€50

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