Il y a le rapport Sauvé qui a courageusement levé le voile pour montrer la vérité toute nue, dans toute son horreur autour de la pédophilie dans l’église catholique. Il y a des dizaines de témoignages qui sont d’autant de vies brisées, de descriptions de faits ignobles. Des dizaines de psychiatres sont venus dans les médias apporter leurs savoirs, enfin, leurs perceptions de ce phénomène… qui existe depuis qu’homo sapiens sapiens a commencé à coloniser la terre. Il suffit de se souvenir de la mythologie grecque pour s’apercevoir que pédophilie, viols de mineurs, voire inceste étaient, non monnaie courante, mais présents dans la société. Si certains portaient de fermes condamnations, d’autres, soyons sincères, trouvaient cela à peu près normal. Mais la société humaine depuis ces temps lointains a évolué et ses critères moraux aussi. Et c’est très bien.
Au-delà de ces considérations caricaturales dignes d’une discussion autour d’un verre de blanc au café du commerce, ce qui est certain, c’est que le prêtre dans l’église catholique et romaine a un statut totalement particulier. C’est par son intermédiaire que le croyant peut gagner le salut, c’est lui qui guide, qui dit le bien, c’est une sorte de sur-homme pas tout à fait comme le reste de l’espèce humaine, c’est l’intermédiaire obligé entre la Terre et le Ciel.
Ainsi, de par les vœux qu’il a prononcés lors de son ordination, il est unique, à part. Et un bon prêtre c’est celui qui sait, par son charisme, son investissement au sein de la communauté, son courage parfois, son empathie, tisser un lien de confiance avec ses ouailles. Et ce lien est d’autant plus fort qu’il s’agit de jeunes (pas de prêtres mais de fidèles) qui découvrent la vie qui n’ont pas encore l’esprit structuré, qui n’ont pas acquis le recul par rapport au fait, qui ne savent pas encore que l’homme est de nature complexe et qu’il peut (parfois) avoir une face cachée sombre. De par son statut, le prêtre, à leurs yeux est une espèce d’autorité morale qu’il faut écouter, suivre, car le chemin qu’il dessine sous leurs yeux est le bon.
Bon tout cela, sous peine de me répéter, a été décrit, expliqué et les ravages des prédateurs sexuels qui se cachent sous l’habit ecclésiastique sont, non connus, mais sus.
Plus rarement, on a droit aux explications, à la constriction des auteurs de ces actes. On a surtout eu droit au parfaitement aveuglement de l’Église, qui a passé son temps à nier ce phénomène. Oh, bien sûr, on savait, mais quel groupe, quelle société n’a pas en son sein, des brebis galeuses. Alors, on les bouge d’endroits, au mieux on les retire de la circulation en les enfermant dans un couvent. On jette un voile pudique sur les faits et on continue comme avant. Heureusement avec les papes Benoît XVI et François, les positions évoluent dans un très bon sens.
Cela posé, parlons du livre de David Lelait-Helo, Je suis la maman du bourreau. Et surtout de son originalité. Là, il ne s’agit pas d’une victime ou d’un auteur, mais de la mère du curé, Gabrielle de Miremont, une digne femme de plus de 90 ans, elle est la caricature de la vieille aristocratie catholique de province. Un personnage tout droit sortie d’un film de Chabrol, mais qui existe vraiment. Elle est comme la reine d’Angleterre, elle applique parfaitement la devise « ne jamais rien montrer, cacher ses émotions« . Mais un jour, la gendarmerie vient la prévenir de la mort du Père Pierre-Marie, son fils cadet adulé. Son univers s’écroule.
Ce fils elle l’a voulu, désiré après ses deux filles. Dés sa naissance, elle a délaissé ces dernières, et de fait, a éduqué son fils pour qu’il se mette au service de l’Église. De fait, ce qu’il croyait être une profonde vocation, n’était que soumission aux désirs de sa mère.
Quelques semaines avant la mort de son fils, le journal local fit état d’une affaire de prêtre pédophile dans son diocèse. Révoltée, elle veut combattre ce qu’elle sait être une nouvelle calomnie destinée à porter l’opprobre contre l’Église par un journaliste, « bouffeur de curés », qu’elle a déjà combattu dans le passé. Le témoignage d’une victime la touche, toucher, pas troubler. Et elle entre en contact avec Henri.
Alors elle comprend, elle sait et sur ce champ de ruine se bat, pour Henri, pour les victimes, pour elle qui entre en véritable résurrection, qui trouve l’humanité qu’elle avait en elle et qu’elle avait toujours niée. Elle va se battre jusqu’au bout non seulement pour sauver Henri, mais aussi son fils et surtout elle. Je ne puis dévoiler la fin qui est, de fait, une des plus fortes (je ne dirais pas belle) que je n’ai lue depuis longtemps.
Je suis la maman du bourreau (maman pas mère et cela fait une très grosse différence) est un livre d’une grande force, morale, littéraire même. Un sujet, hélas, d’actualité, abordé d’une façon très originale, qui change du pathos habituel, ce qui lui donne une puissance rarement égalée. Gabrielle est un vraie héroïne, une femme d’une intelligence, d’une subtilité, d’une honnêteté intellectuelle rares.
Le moins que l’on puisse dire, si en 2022, la production littéraire est de cette qualité, tous les lecteurs seront heureux.
Je suis la maman du bourreau
David Lelait-Helo
éditions Héloïse d’Ormesson. 17,50€
Première publication 03/01/2022