Connaissez vous Suwon 수원시 ? Peu de lecteurs vont pouvoir me répondre. Suwon, est une ville en Corée du Sud où Guy, le grand-père du narrateur, est allé lors de la guerre de Corée. Ce court roman est une discussion entre deux personnages, durant toute une nuit, autour d’une quantité impressionnante de bouteilles d’alcool. Elle tourne autour de l’histoire, de la vie de Guy, sur sa personnalité, son éducation, sa culture qui expliquent ses choix.
Le narrateur va bâtir ses réflexions autour des cercles de l’enfer de Dante. Il crée une pyramide de pièces en entonnoir (de la plus petite : un centimes à la plus grande : deux euros), chaque « cercle » symbolisant une pièce de cette personnalité complexe que fut Guy. On passe de Sidération à Amour, de l’Engagement au Destin à moins que ce ne soit celui de la Malchance.
Guy, cet orphelin de père, disparu en Égypte, recueilli par la famille de sa mère, de riches industriels bretons. La famille qui régit le destin de chacun de ses membres. Mais Guy se révolte quelque peu en tombant amoureux d’Yvonne, une ouvrière quelque peu difforme à cause de la polio. Trois ans d’attente où l’on espère que cette lubie se dissipe. Mais ils se marient, au début de la Seconde Guerre mondiale, s’impliquent dans la résistance. Puis il rencontre un officier français qui devient son ami. Et un jour, en 1950, alors que la petite quatrième vient juste d’avoir un an, il annonce à sa femme qu’il part faire la guerre en Corée. Il y revient, revêtu de médailles, essaye de reprendre une vie normale durant six mois pour s’engager à nouveau pour la guerre d’Indochine où il se fait vite tuer.
Pourquoi ces choix ? Pourquoi a-t-il quitté sa femme et ses enfants qu’il aimait sincèrement, quel est ce moteur supérieur à l’Amour ? Etait-il prisonnier de ses convictions, de sa culture ? Etait-il né à une époque qui n’était pas celle où son éducation l’avait placé ? Cette descente aux Enfers, ce fut la sienne ou celle d’Yvonne qui passa plus de cinquante ans dans le souvenir de son Amour ?
La route de Suwon est un court roman envoûtant qui nous plonge de façon assez fascinante dans les méandres de l’âme de Guy. Personnage complexe d’où se dégage une grande humanité, avec une réelle chaleur humaine pour son entourage et un sens de l’honneur qui ne ferait pas démentir, le dernier mot que dit Cyrano de Bergerac d »Edmond Rostand avant de mourir: « Il me reste le panache ».
Élie Treese au travers de cette descente en spirale dans ces trois cercles de l’Enfer nous amène sur l’enchevêtrement du hasard, du destin, qui fait que chaque être humain est unique. Très fort !
La route de Suwon
Élie Treese
éditions Rivages. 15€
Illustration de l’entête: photo ©Mediadrumimages / Royston Leonar
Première publication 20/04/2022