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Roque d’Anthéron, Bertrand Chamayou ovationné, le Quatuor Modigliani bouleversant jusqu’à l’âme

par Pétra Wauters

La Roque d’Anthéron et le parc du Château de Florans, voilà un lieu sublime loin de toute agitation. On passe le grand portail, et dès que l’on s’engage dans les grandes allées de platanes et de séquoias, on éprouve une sensation de plénitude et de bien-être. On s’installe dans les gradins et on n’est pas les seuls ce soir-là : deux milliers de personnes sont venus applaudir Bertrand Chamayou et le Quatuor Modigliani.  Il fait encore très chaud, le soleil joue à cache-cache avec le feuillage des arbres centenaires et les éventails et les programmes s’agitent ! On se ventile beaucoup cette année à la Roque ! Sous la conque blanche, le piano et les tabourets sont installés, tout est prêt pour ce grand concert qui sera diffusé sur France Musique

René Martin et Bertrand Chamayou dans la bel été du festival de La Roque d’Anthéron 2022
Photo © Valentine Chauvin

Bertrand Chamayou est l’un des pianistes majeurs de la scène musicale française et internationale. C’est le cas pour beaucoup de pianistes qui se produisent au Festival de la Roque d’Antheron, mais il nous semble toujours important de le souligner pour ceux qui ne le connaissent pas encore. Chamayou est un Grand Monsieur habitué du festival et c’est d’un pas léger et assuré qu’il regagne son piano. 

Haydn, Variations en fa mineur Hob.XVII.6

Le concert débute avec l’une des créations les plus romantiques du compositeur autrichien mais aussi l’une des plus complexes. C’est une œuvre grandiose, dont le final dramatique et funeste ne trouve de salut que dans le silence qui suit. Le pianiste ne fait qu’une bouchée de ces pages virtuoses. Son jeu est d’une fluidité absolue. Une impression de facilité se dégage souvent des doigts des solistes chevronnés et on s’émerveille toujours de ces mains magiciennes du clavier. Ici, c’est encore autre chose, tout nous renvoie à la performance musicale bien sûr, mais aussi à l’émotion. Car il s’agit bien de cela, en dehors du thème qui nous porte, la profondeur émotionnelle se situe ailleurs. « Il est où le bonheur, il est où ? » Là, sous les doigts de ce pianiste qui n’a pas une once de prétention et qui fait jaillir la musique avec un naturel et une fulgurance inouïs. Il est tout au service de l’œuvre.

Olécio partenaire de Wukali

C’est aussi ce que l’on peut dire du Quatuor Modigliani, 4 jeunes hommes au service des compositeurs. Et il y a tant à dire sur cet ensemble formé en 2003. 4 musiciens amis, et ça, on l’aurait deviné, il suffit de les voir se produire sur scène : Amaury Coeytaux, violon, Loïc Rio, violon, Laurent Marfaing, alto, et François Kieffer, violoncelle. 

Eux aussi, en plus d’être beaux, pourquoi ne pas le dire, sont très loin de tout penchant narcissique. Cette attitude vertueuse est généralement confirmée chez les plus grands.  

Place à Robert Schumann, le compositeur allemand qui est l’incarnation même du musicien romantique. 

Bertrand Chamayou et le Quatuor Modigliani
La Roque d’Anthéron août 2022
Photo © Valentine Chauvin

Il est magnifique ce Quintette pour piano et corde en si bémol majeur opus 44,  de Schumann, avec cette valeur ajoutée, justement : le piano de Bertrand Chamayou, une partie pianistique importante dans la partition. L’instrument apporte une résonnance complémentaire aux cordes, se fait l’écho des instruments, renforce les effets de rythme, souligne les lignes mélodiques dans un climat intimiste qui fait merveille et que le pianiste restitue avec élégance.  Dans l’alternance des mouvements lents, tristes et rapides, c’est toute la fragilité de Schumann qui s’expose et les thèmes qui s’entrecroisent sont un réel bonheur pour nos oreilles. Le public n’y tient plus, il applaudit entre les mouvements, mais on lui pardonne, à commencer par les musiciens, qui sourient avec bienveillance. Puis arrive le final, Allegro ma non troppo, quelle sonorité et quels phrasés apportés par les musiciens dans ces pages ! Ils expriment tant d’idées, de surprises, d’enthousiasme. 

Bertrand Chamayou, ovationné par le public, ne reviendra pas sur scène. Il faut dire que le pianiste a un concert dès le lendemain. En effet, il se produira à l’auditorium Marcel Pagnol de la Roque d’anthéron  à 11h00  pour un programme « Olivier Messiaen »,  Vingt Regards sur l’Enfant-Jésus ».

Nous restons avec les 4 cordistes, pour notre plus grand bonheur. Ils nous offrent Le Quatuor à cordes n°14 en ré mineur D.810, « La jeune fille et la mort », de F. Schubert.  Ce quatuor n’est pas aussi triste que ce que l’on aurait plus penser même lorsque la musique se tend à l’extrême et lorsque le discours s’affole. On est séduit par l’équilibre trouvé, le juste milieu entre fougue et sensibilité, virtuosité et spontanéité. Même s’il existe des moments de tension très forts, il nous semble que les musiciens ont choisi de privilégier une approche plus sereine. La mort est accueillie, même si elle n’est pas désirée. Cela se fait dans la souffrance parfois, dans la révolte souvent, mais comment lutter contre l’inéluctable ? La musique exprime une lutte pour la vie même si l’issue tragique ne fait aucun doute. 

Schubert se sait malade et condamné. Il va mourir à 31 ans. Le compositeur a gardé en lui cette idée romantique de la mort, un sentiment davantage exacerbé à l’approche de celle-ci.

C’est ainsi que le quatuor Modigliani aborde cette œuvre, l’une des dernières du compositeur.  Il l’explore en profondeur, dans ses moindres replis, audacieux dans son engagement, il nous en livre tout le mystère. C’est joliment chantant, et tout à la fois fortement dramatique. Il faut dire que les cordistes jouent sur des instruments superbes, aussi beaux de l’extérieur que de l’intérieur, et le son n’en est que plus beau. Ils savent tirer le meilleur parti de leur sonorité qui est tour à tour soyeuse et profonde. C’est l’une des œuvres les plus écoutées, les plus jouées aussi, et souvent de fort belle manière par les quatuors de talent. Ce soir-là, on est touché au cœur par celle proposée par le quatuor Modigliani. Ces merveilleux musiciens sont aussi profondément Schubertiens, à n’en point douter !

J. Haydn (1732-1809)
Variations en fa mineur Hob.XVII.6                                                                                                     

R. Schumann (1810-1856)Quintette pour piano et cordes en mi bémol majeur opus 44 Allegro brillante
In modo d’una marcia. Un poco largamente
Scherzo : Molto vivace
Finale : Allegro ma non troppo                                                                                                               

F. Schubert (1797-1828)Quatuor à cordes n°14 en ré mineur D. 810 “La Jeune fille et la Mort” Allegro
Andante con moto
Scherzo : Allegro molto
Presto

Illustration de l’entête: les fiers séquoias du parc du château de Florans.
Photo © Pétra Wauters/WUKALI

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