Chaque roman de Philippe Besson est attendu avec impatience, son dernier opus porte un titre déjà plein d’esprit et qui renvoie à d’autres positionnements intellectuels, Ceci n’est pas un fait divers. Avant que de traiter du sujet de son livre, un petit préambule qu’il nous semble intéressant de préciser Le fait divers. Depuis le développement de la presse populaire au XIXè siècle, bien relayée par les médias actuels de la télévision aux réseaux sociaux, le fait divers fait vendre. Le fait divers, cette information souvent glauque, ces faits, hélas, récurrents depuis que l’homme vit en société a la particularité de bien effrayer le public. En effet observons que ce dernier est bien heureux au fond de lui même que l’information dont il prend connaissance il n’en ait point été la victime. Bon, après, il y a l’exploitation « politique » du fait divers, qui devient une règle quasi intangible : il y a un siècle, tous les Italiens étaient de potentiels assassins, aujourd’hui se sont les musulmans, demain se sera un autre groupe. Depuis la Bible et « le bouc émissaire », rien de neuf, il suffit de relire René Girard. Mais je m’éloigne du sujet de ce sensationnel roman, voici.
Tout commence, comme trop souvent dans « la vraie vie », par un coup de téléphone. C’est Léa, adolescente de 13 ans qui annonce à son aîné (jeune homme de 19 ans qui, à force de travail, est en passe de réaliser son rêve d’enfance, entrer dans le corps de ballet de l’opéra de Paris) que leur père vient d’assassiner leur mère après une énième et dernière dispute. 17 coups de couteaux, un nouveau « féminicide » qui vient de se dérouler à Blanquefort, commune de la banlieue de Bordeaux.
Des livres, des romans sur les féminicides, il y en a, beaucoup depuis que ce vrai fléau est devenu une priorité nationale à combattre. Oui, certes il y a des livres, des romans, mais pas du tout comme celui que vient d’écrire Philippe Besson. Il risque lourd, car il y a une vraie prise de risque à se mettre à la place des enfants, enfin de l’aînée qui a un regard protecteur sur sa petite sœur. Soit, il y a une victime, une personne décédée et un meurtrier, mais les vraies victimes ne sont-ce point ceux qui restent : les enfants et même leur grand-père maternelle qui quitte tout pour pouvoir s’occuper d’eux, enfin surtout de Léa. On assiste ainsi au fil des pages aux tourments du jeune homme, à sa façon d’essayer de se sortir de cette histoire, de se protéger le mieux possible, même s’il se sent obligé de remettre en cause tous ses choix, tout ce dont il aspirait dans la vie. Bien sûr, le narrateur essaie de comprendre son père, il sait qu’il a souffert de la séparation de ses propres parents, qu’il a renoncé à son envie de partir au Canada, qu’il était plus que déçu que son fils préfèrât la danse classique plutôt que le football et ne lui a jamais montré beaucoup d’amour et d’attachement certes. Mais c’est quand même son père et, pour se protéger, il doit ne voir en lui qu’un monstre, lâche, sans aucune excuse absolutoire.
Mais surtout il y a Léa, elle a vu le crime, elle est encore jeune et n’arrive pas à assumer que ce père qu’elle a toujours aimé est aussi l’assassin de sa mère. Elle est encore jeune et toujours sous l’emprise de ce pervers manipulateur. Et les conséquences sur elle, en elle, sont sans aucune mesure eu égard à ce qu’elles furent pour son frère. Elle n’a pas la sorte de maturité dont il fait montre. D’autant qu’elle porte en elle un secret qui l’a détruit, une interrogation, ignorée de tous même, de son frère, qu’elle n’arrive à dire que le jour du procès.
On apprécie aussi la personnalité du commandant de gendarmerie qui s’occupe de l’enquête, un mélange de professionnalisme et d’empathie, qui reconnaît que la gendarmerie a fait une erreur en ne prenant pas en compte les déclarations de sa mère la seule fois où elle était venue pour dire qu’elle était battue.
Les puristes hausseront légèrement les sourcils quant au déroulement du procès d’assises, les divers éléments sont quelque peu mélangés, et c’est l’avocat de la défense qui clôt les débats, pas la principale témoin. Mais, comme cette construction ajoute encore plus de force au récit et au message, c’est une très bonne idée de ne pas suivre le code.
Les victimes « collatérales », voilà ce que sont les enfants et dont on ne parle jamais dans les faits divers. C’est bien pour cela que ce n’est pas un fait divers pour eux, mais la pire épreuve de leur vie.
Ceci n’est pas un fait divers
Philippe Besson
éditions Julliard 20€
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