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Le mystère du manuscrit Voynich toujours pas élucidé

par Pierre-Alain Lévy

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Souvent à notre modeste rang nous publions, nous commentons, nous critiquons et nous analysons, et nous avons souvent la fierté d’observer dans les jours qui suivent la mise en ligne la reprise de nos sujets par nos aînés des grands media. Ce n’est pas la moindre joie!

Nous excipons régulièrement de nos archives éditoriales quelques unes de nos pépites, la connaissance est aussi travail de mémoire. L’article qui illustre ce propos traite du manuscrit Voynich. Il a été rédigé par Jacques Tcharny et publié la première fois dans nos colonnes le 10/10/2015.

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Pierre-Alain Lévy


Il s’agit d’un des mystères les plus fameux de la codicologie ou paléographie ancienne. En effet le manuscrit Voynich est un manuscrit illustré, d’auteur inconnu, rédigé dans un alphabet inconnu. Il tire son nom de Wilfrid Voynich qui l’a acheté à une communauté de jésuites de Frascati, près de Rome, en 1912. Il est aujourd’hui conservé à la bibliothèque de l’université de Yale aux USA.

Ce manuscrit est référencé depuis 1639, dans une lettre de Georg Baresch (alchimiste à Prague) destinée à Anathase Kircher (jésuite à l’esprit encyclopédique). Elle nous apprend qu’il a appartenu à l’Empereur du Saint-Empire Romain Germanique Rodolphe II. Cet Empereur, naïf et mystique, à la pensée confuse, est né à Vienne en 1552 et décédé à Prague en 1612. Il paya six cents ducats pour le manuscrit, à un individu resté anonyme…Ce qui est typique de son comportement.

La datation au carbone 14 du parchemin, en vélin, a donné comme dates limites : 1404-1438. Une étude poussée sur l’encre a confirmé que les pigments sont compatibles avec l’époque en question.

Nul ne sait s’il s’agit d’un herbier, d’un traité d’alchimie ou d’une imposture. C’est l’un des plus grands mystères de la cryptographie contemporaine.

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Manuscrit Voynich. Yale University, New Haven, Connecticut. USA

Les caractéristiques du texte

Le codex est formé de 234 pages de 15cm de large et 23 cm de haut. D’après la pagination, 13 folios sont manquants et l’étaient déjà lors de son acquisition par Voynich. Une plume d’oie a servi à rédiger le texte et les contours des figures formant enluminures.

Le texte est écrit de gauche à droite. Les paragraphes sont visibles. Il n’y a aucune ponctuation. L’ordre et la direction selon lesquels on trace les traits qui composent la lettre sont fluides, ce qui implique que le scribe comprenait ce qu’il écrivait en rédigeant ce texte, mais ce n’était pas un professionnel car il resserre les interlignes par manque de place. Autre conséquence : le texte n’a pas été écrit caractère après caractère, donc il ne peut s’agir d’un chiffrement.

On a calculé le nombre de glyphes du texte parvenu jusqu’à nous : environ 170000, créés d’un ou deux traits. Il semble que le manuscrit utilise 20 à 30 signes scripturaux mais une douzaine de caractères rares existent ici ou là.

Manuscrit Voynich. Yale University, New Haven, Connecticut. USA

Le texte possède des caractéristiques propres aux langues naturelles : loi de Zipf (calcul de la fréquence des mots dans un texte) et entropie de chaque mot s’élevant à 10 bits, ce qui est identique aux textes en anglais ou en latin.

Sur d’autres points, le manuscrit diffère des langues européennes : pas de mot de moins de trois lettres ni de plus de dix. Les positions des lettres dans un mot sont inhabituelles pour l’Europe : certains caractères n’existent qu’au début du mot, d’autres au milieu et encore d’autres à la fin. Une disposition identique se rencontre dans l’alphabet araméen et dans ses « enfants » : arabe, hébreu mais jamais dans l’alphabet grec ni dans celui du latin ou du cyrillique. Certains mots apparaissent trois fois à la suite, d’autres se différencient par une seule lettre avec une fréquence inhabituelle. Une évolution graduelle du style existe entre les différents feuillets sans que l’on en comprenne la raison.

Les illustrations

L’alphabet étant inconnu et le texte indéchiffré, on ne peut approcher son origine que par l’examen des illustrations. Les robes, les coiffures et deux châteaux sont nettement individualisés. Ils sont caractéristiques de l’Europe. Après examens et prises en compte de tous ces éléments, les experts ont pu dater le livre entre 1450 et 1520. Presque toutes les pages ont une illustration, sauf la dernière section entièrement textuelle.

manuscrit Voynich Yale university
Manuscrit Voynich. Yale University, New Haven, Connecticut. USA

On peut distinguer 6 sections dans le livre. On les appelle :

L’herbier  : 130 pages et 126 plantes, présentées selon le style de l’époque.
Astronomie : 34 pages dont 26 de dessins. Des diagrammes d’astres comme des soleils, des lunes, des étoiles prouvent que le rédacteur parlait d’astrologie ou d’astronomie. 12 diagrammes porte les symboles des constellations zodiacales. Chacun étant entouré de 30 figures féminines, en majorité nues, qui portent une étoile légendée.
Biologie ou balnéothérapie  :19 pages et 28 dessins représentant des femmes nues, certaines couronnées, se baignant dans des bassins ou nageant dans un réseau de tubes complexes. Cette plomberie est en forme d’organes.
Cosmologie : 4 pages à la signification incompréhensible. Cette section comporte des dépliants. L’un d’eux a six pages avec des cartes de 9 îles reliées par des chemins où l’on note des châteaux et un volcan.
Pharmacologie : 34 pages. Des dessins de plantes légendés. Les figures montrent des parties de végétaux(racine, feuille,etc). Dans les marges des pots à pharmacie. Peu de texte…On dirait un guide pour préparations magistrales d’un pharmacien !
Recettes : 23 pages, 324 paragraphes courts et denses.

Le sentiment, après un premier examen, va vers des références à la médecine médiévale. Les plantes de l’herbier n’ont que rarement pu être identifiées (une pensée violette et une fougère) car se sont presque toutes des hybrides : des racines d’une espèce, des tiges d’une autre et des feuilles appartenant à une troisième… En outre, personne n’a pu interpréter les illustrations sous l’angle astrologique.

manuscrit Voynich Yale university
Manuscrit Voynich. Yale University, New Haven, Connecticut. USA

Le rapport à l’alchimie, telle que la connaissait l’époque, semble certain. Mais il ne s’agit pas d’un livre d’alchimie : il s’agit plutôt de « l’élixir de longue vie », recette médiévale pour créer la pierre philosophale. Les fluides des jeunes vierges donnent des « humeurs vitales » que l’on récupère et dont on fait des décoctions à base de plantes rares ou inconnues, la position astrologique optimale étant nécessaire à la réussite de la fabrication de cet élixir de longue vie…

Sémantique et linguistique

Nous ignorons tout de la langue utilisée, s’il s’agit vraiment d’une langue, du locuteur et du codage s’il y en a ! Dans ces conditions, difficile de déchiffrer, ou de décrypter, le manuscrit.

D’innombrables tentatives ont eu lieu. Elles ont toutes échouées. Même le cryptologue américain William Friedman, qui perça le code des messages japonais pendant la guerre, s’y est cassé les dents…Ce qui a des conséquences : pas de codage, pas de cryptage, pas de chiffre… Sinon, un savant doué comme l’était Friedman aurait trouvé, sans le moindre doute. Surtout qu’il ne travaillait pas seul mais disposait d’une équipe solide habituée à ce genre de travaux. Alors ? Un langage naturel exotique ? Ayant craqué le code japonais, Friedman et son équipe avaient envisagé cette solution mais ils ne sont arrivés à rien. Et rien n’indique un quelconque rapport avec l’Asie Orientale dans le manuscrit, qui décrit des européens d’une période bien précise !

En janvier 2014, le linguiste Stephen Bax (qui a appris l’arabe en Irak) a communiqué sur l’état de ses recherches sur le manuscrit. Il a utilisé la méthode de linguistique comparée de l’égyptologue Champollion. Ainsi a-t-il réussi à décrypter 14 lettres. Comparant des plantes de l’herbier avec des plantes comparables connues en Europe et en Orient, il a découvert que le genévrier est calligraphié « oror  » sur le manuscrit alors que cette plante est nommée « a’ra’r  »en arabe. Il a donc obtenu la traduction du mot en Voynich et sa prononciation. Poursuivant ses travaux sur une plante nommée centaurée, il a réussi à décrypter par cette même méthode le mot Voynich « kantairon  ».

Ce début de quelque chose de concret est encourageant mais nécessite un approfondissement. Rappelons le soupçon de certains qui supposèrent une origine Moyen-Orientale concernant le rédacteur du manuscrit, du fait de la position des lettres dans un mot. A contrario, la lecture se fait de gauche à droite comme dans toutes les langues indo-européennes. D’où l’idée d’une écriture inventée par quelqu’un possédant les deux cultures : christianisme européen et islam moyen-oriental. Ce qui, évidemment, ne favorise pas le décryptage.

Mais on ne peut pas ignorer que les caractères particuliers du texte du manuscrit (doublement ou triplement de mots) et le contenu bizarre des illustrations (les plantes hybrides) font penser à une imposture, voire à une escroquerie.

manuscrit Voynich Yale university
Manuscrit Voynich. Yale University, New Haven, Connecticut. USA

Gordon Rugg, un psychologue et linguiste britannique, professeur à l’Université de Keele (près de Manchester) a développé cette idée. Ainsi, il a pu démontrer que les techniques de l’époque (i-e le XVè siècle) permettaient à des savants ayant un solide bagage mathématique, de créer un texte possédant certaines propriétés statistiques identiques à celles du manuscrit…Mais pas toutes !

Rappelons ici que les faussaires Edward Kelly et John Dee avaient inventé l’énochien, supposé être la langue des anges avec son propre alphabet ! Cela se passait au seizième siècle, à la cour de Rodolphe II dont nous avons déjà parlé… Ils lui vendirent leur manuscrit pour 600 ducats d’or…

manuscrit Voynich Yale university
Manuscrit Voynich. Yale University, New Haven, Connecticut. USA

Le fait qu’aucun linguiste ni aucun cryptographe n’ait pu, à ce jour, déchiffrer le manuscrit Voynich implique que l’on ne peut pas rejeter la possibilité de l’imposture. C’est l’hypothèse la plus violente à accepter pour les amateurs d’énigmes…

Et si les deux éventualités se rejoignaient ? Une sorte de demi-canular créé grâce aux connaissances d’un « maure érudit » venu vivre en occident ? Ou sur celles d’un « occidental cultivé » ayant passé de longues années en terre arabe ? Ce qui expliquerait les difficultés rencontrées : mélanger une (ou plusieurs) langue sémitique avec des caractères inventés de toute pièce et ne signifiant rien ! Je pense qu’il faut chercher dans ce sens.

Quant à deviner l’auteur ! Pour toutes les raisons indiquées plus haut, sauf à trouver un écrit quelque part, nous devons y renoncer…

Jacques Tcharny

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