Omar Youssef Souleiname est né en 1987 à Quoteifé en Syrie dans un petite village situé à une quarantaine de kilomètres de Damas, Il a émigré en 2012 en France où il a obtenu le statut de réfugié politique Enfant, il accompagne son père en Arabie Saoudite où il passe aussi son adolescence. Il suit les cours d’une école coranique et devient, comme tout le monde autour de lui, salafiste jusqu’à soutenir Oussama Ben Laden. En même temps il découvre la poésie de Paul Eluard et celle d’Aragon dans des traductions en arabe. Ces lectures sont le début d’une évolution totale.
Adulte, de retour en Syrie, il vit à Homs et à Damas. Journaliste de 2006 à 2010, il participe en 2011 aux premières manifestations pacifiques contre Bachar el Assad. Rapidement le régime réprime dans le sang les manifestations. Repéré par les services secrets et les forces de police, il vit quelques mois en clandestinité à Damas puis, craignant pour sa vie, part en Jordanie et demande l’asile politique à l’ambassade de France. Il l’obtient très rapidement avec le soutien de l’ambassadrice de France Il arrive à Roissy en 2012 sans connaître un mot de français. En dix ans et après avoir publié plusieurs recueils de poèmes et trois romans, il deviendra un auteur reconnu. Ses poèmes sont écrits en arabe et traduits en français par son ami irakien Salah Al Hamdami, émigré comme lui et sa femme, Isabelle Lagny. Ses romans sont écrits directement en français, langue qu’il aime et qu’il a apprise très rapidement.
Loin de Damas est un recueil de poèmes écrits à Paris de 2014 à 2015. Youssef Souleimane ne maîtrise pas encore totalement le français. L’arabe, dans sa version syrienne, est la langue dans laquelle il écrit ses poèmes. L’exil est au centre de ses textes. Le poète se partage entre son pays, ses origines, sa culture et le pays d’accueil où il ressent et profite de la liberté qu’il est venu chercher. Il est loin d’avoir fait le deuil de son pays, le retour est improbable et le restera encore pour longtemps. Solidaire de tous les exilés, il se sent coupé en deux « Nous ne percevons que la moitié de la vie ». Il dit être toujours le même mais il n’a pas encore trouvé sa place dans son pays d’accueil « L’exilé est parmi vous/mais pas avec vous » Il sait bien qu’une partie de lui-même est restée au pays « je n’ai pas émigré/. J’ai laissé derrière moi la blessure du récit/ et derrière mon ombre/ les doigts brisés de l’enfant révolté » Fracturer les doigts des enfants est une torture courante infligée aux enfants qui manifestent leur hostilité au régime en place.
Omar Youssef Souleimane ressent un manque cruel « Le cœur de l’exilé est un trou noir/colonisé par les lumières du monde » Il faudra continuer à vivre mais il n’est pas encore question d’amour. Les lumières du monde ne remplacent pas la plénitude ni la tranquillité du cœur de celui qui n’a pas pu rester dans son pays. C’est par la poésie, par les mots qu’un chemin sera tracé pour sortir du trou noir « j’ai vu le chemin droit et argenté comme un cri/ traversé par des mots » Ce chemin, qui mènera à la liberté, est argenté. Il n’est pas doré, simplement argenté et c’est déjà beaucoup Il faudra aussi solder les religions « nous règlerons nos comptes avec les dieux/ oui, nous avons tous raison ». Si toutes les religions ont raison, cela veut dire qu’aucune n’a raison. Il se déclaré athée, ne reviendra pas vers sa religion d’origine et n’oublie pas les atrocités des islamistes. Les décapitations, les meurtres d’enfants sont présents dans ce recueil écrit au début d’un exil sans retour possible avant longtemps. Ces poèmes sont pleins de déchirements, ils sont pleins d’une rupture inévitable et d’une nostalgie pour un paradis perdu. Le poète a rompu avec ce qui lui était cher, ce qui le faisait vivre, et ce sont les mots, la langue, la poésie qui lui permettront de retrouver sa place dans une société radicalement différente de celle qu’il a été contraint de quitter
Tout en passant plus tard au roman, il garde son amour de la poésie arabe et notamment des poèmes soufis dont on connait la délicatesse et la complexité. Sept des poèmes de ce recueil ont été publié sous forme d’un livre d’auteur « L’enfant oublié » illustré d’encres de Danielle Loisel. Mêlant toutes les cruautés de la guerre à l’espoir, toutes les désespérances à un attachement viscéral à la vie, il écrit comme un manifeste et une promesse : « Quand je grandirai, je serai une étoile/Ainsi parle la trace de la balle laissée dans la chair » ou encore « la vie à l’orifice du canon, est restée suspendue comme une balançoire » Les encres de Daniel Loisel, des traits, des figures géométriques mêlant toutes les tonalités de gris et de noir résonnent magnifiquement avec ces sept -chiffre symbolique- textes en arabe et dans leur traduction.
Poète, Omar Youssef Souleimane l’était bien avant l’exil. Il avait, avant Loin de Damas publié cinq recueils d’abord en Syrie puis au Liban et enfin à Paris. Il se tourne ensuite vers le roman et en écrit trois, cette fois-ci directement en français. Dans le premier Le petit terroriste publié en 2018, il raconte les années passées en Arabie Saoudite avec sa famille et le retour en Syrie. C’est pendant ces années qu’il se déclare athée et rejette un certain nombre de préceptes et de modes de vie inspirés du Coran. Il poursuit avec Le dernier Syrien publié en 2020 dans lequel il raconte le printemps syrien en 2011.La révolte contre le régime éclate. Mais rapidement. Omar Youssef Souleimane, comme d’autres, se retrouve coincé entre les islamistes et les force qui soutiennent Bachar El Assad. Il n’y a pas de place pour une opposition laïque qui revendique la liberté de vivre, d’aimer et de prier ou non comme bon lui semble. Il est obligé de fuir le pays La France est pour lui, au vu de ce qu’il en connait par ses lectures, le pays de la liberté et c’est cette liberté qu’il cherche et vient trouver.
Une chambre en exil publié en 2022 raconte son arrivée à Roissy avec pour seul contact l’adresse d’une association d’aide aux réfugiés Sans parler un seul mot de français, il va trouver un logement, apprendre la langue de son pays d’accueil et trouver sa place dans une culture bien différente de celle qu’il a quitté. Et il n’est pas si simple ni facile de trouver cette place : « Là comme ailleurs je suis chez moi, car je n’ai plus de chez moi. Etranger partout ». Comme tous les exilés, il ne se sent plus reconnu par les habitants de son pays d’origine et il n’est pas non plus reconnu pleinement par son pays d’accueil. La fracture est toujours présente « J’ai deux vies en ce moment : celle de la mémoire, de l’intérieur, du goût de ce plat que je ne peux partager avec personne, et celle du présent en France où j’essaie d’exister » Là encore il est pris en étau entre être un « traitre et récupéré, entre migrant et raciste ». Et il ajoute : « Mais ces gens ont oublié un qualificatif : libre » ; C’est bien cette liberté, celle du poème d’Eluard, qui le fait vivre, apprendre le français et défendre ce pays qu’il a choisi « Pour savoir à quel point on vit bien en France, il suffit de vivre ailleurs ».
La littérature, la poésie ont été la porte qui ont fait d’Omar Youssef Souleimane ce qu’il était et ce qu’il est devenu. Déjà en Arabie saoudite il avait déclaré à ses parents, qui l’on crut devenir fou, qu’« un poème d’Eluard avait beaucoup plus de valeur à ,mes yeux que tous les propos de Mahomet. Ce poète est devenu l’exemple qui m’a permis de ne pas emprunter le chemin de la radicalisation, du salafisme ». Ce qui lui permet aussi d’écrire les dernières lignes de ce qui est intitulé roman, mais est une autobiographie romancée « Ici, j’ai traversé des vies, mais maintenant, je replie cette histoire, cette chambre, et je m’en vais, libre ».
Aujourd’hui qu’il maîtrise parfaitement la langue française, elle est pour lui son nouveau pays, comme c’était le cas pour Albert Camus qui a écrit « Mon pays, c’est la langue française ». Depuis un peu plus d’un an, Omar Yousef Souleimane est naturalisé français. Voter pour élire un député ou le président de la République a été pour lui l’émouvant symbole de son intégration, de sa nouvelle vie et de son avenir Il fait maintenant partie de tous ces étrangers venus de toute l’Europe et au-delà qui ont fait et qui font la France. Qu’il puisse travailler et apporter ses réflexions et son talent à son nouveau pays est le moins que l’on puisse lui souhaiter en plus de la bienvenue.
Omar Youssef Souleimane sera présent au festival Politeïa à Thionville du 16 au 19 mars 2023. Le programme complet est en ligne. (cliquer)
Ouvrages cités :
Poésie
L’Enfant oublié, Paris, éditions Signum, 201
Loin de Damas, Paris, éditions Le Temps des cerises, 2016
Romans
Le Petit Terroriste8, récit personnel, éditions Flammarion, 2018
Le Dernier Syrien9, roman, éditions Flammarion, 2020.
Une chambre en exil10, roman, éditions Flammarion, 2022
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