Très grande exposition actuellement et jusqu’au 4 juin 2023 au Rijskmuseum à Amsterdam consacrée à Vermeer avec pas moins de 28 peintures provenant des collections de musées dans le monde entier et rassemblées pour l’occasion. Un impressionnant travail de recherche en amont a été conduit pendant de nombreuses années pour analyser d’une part, avec des moyens d’imagerie sophistiqués les oeuvres et la matière picturale, mais aussi une introspection historique et biographique de Vermeer laissant apparaître des éléments de vie jusque là négligés et utiles à la connaissance de l’artiste. Sortie de l’ombre en particulier en France par le petit pan de mur jaune de Proust, la peinture de Vermeer flotte à travers le temps et rassemble les images d’une fraction d’histoire de civilisation dont la sérénité continue à nous émouvoir.
Le secret du peintre et le mystère de son oeuvre s’incrustent aussi dans le petit nombre de peintures qu’il a créées. Une intimité, comme un secret chuchoté, la confidence d’un monde perdu, s’installe entre le miracle du tableau, cette émotion de simplicité bourgeoise et domestique faite de vie apaisée, et le regard de celui qui l’admire aujourd’hui dans le silence de son être. Toute une peinture faite de musicalité et dont les harmoniques flottent dans le temps en continu, cette forme de douceur qui au fond nous bouleverse tant.
La dernière grande exposition monographique consacrée à Vermeer avait eu lieu en 1995-1996 et réalisée alors en collaboration entre la National Gallery of Art de Washington et le Mauritshuis de La Haye. Pendant plus de trente ans il avait alors semblé hors de raison et pratique de vouloir se remettre à l’ouvrage et de rassembler le plus de tableaux possibles. D’autant plus que nombre de musées se refusaient à prêter leurs Vermeer, chacun des tableaux étant en soi l’une des oeuvres emblématiques de leurs collections. Ainsi pour cette exposition la Frick collection de New York a-t-elle accepté de prêter ses trois merveilles que sont L’Officier et le jeune-fille riant, La leçon de musique interrompue ainsi que La Maîtresse et la Servante. On y découvre aussi La Jeune fille lisant une lettre de la Gemäldegalerie Alte Meister de Dresde, Le verre de vin de la Gemäldegalerie de Berlin, La Jeune-hile à la perle du Mauritshuis de La Haye, La Dentelière du Louvre ainsi que La femme à la balance de la National Gallery of Art de Washington
De nouvelles techniques d’imagerie et d’exploration analytiques
Les techniques modernes de numérisation ont accéléré les recherches sur Vermeer au cours des dernières décennies. Une équipe de conservateurs, de restaurateurs et de scientifiques du Rijksmuseum a collaboré étroitement avec des collègues du Mauritshuis de La Haye et de l’université d’Anvers pour mener de nouvelles recherches sur les peintures de Vermeer. Les techniques utilisées pour ces recherches comprennent les technologies de pointe Macro-XRF ( spectrométrie de fluorescence des rayons X) et RIS ( système radiologique d’information). Plusieurs modifications sensationnelles apportées par Vermeer à des tableaux tels que La laitière ont récemment été révélées, offrant un nouvel éclairage sur son approche, son processus artistique et sa recherche de la composition parfaite.
Ainsi jusqu’à présent l’hypothèse généralement admise consistait à penser que l’artiste n’ayant créé que peu de peintures opérait très lentement et qu’il travaillait toujours avec une extrême précision. Ce point de vue est aujourd’hui remis en question. Sous le bras gauche de la laitière, on peut voir une épaisse ligne de peinture noire appliquée à la hâte. Cette esquisse montre clairement que Vermeer a d’abord peint rapidement la scène dans des tons clairs et foncés avant de développer les détails.
Par ailleurs, sur le mur, derrière la tête de la jeune femme, on peut voir une esquisse préliminaire similaire à la peinture noire. En comparant les résultats obtenus à l’aide des techniques de recherche les plus récentes, il est désormais clair que Vermeer a utilisé de la peinture noire pour esquisser un porte-pichet et plusieurs pichets, mais qu’il ne les a pas développés davantage. Le porte-pichet, une planche de bois à laquelle sont attachés des becs, était utilisé dans les cuisines du XVIIe siècle pour suspendre plusieurs pichets en céramique par l’anse. Un garde-manger de la maison de Vermeer contenait un objet similaire, et une version miniature d’un tel porte-pichet se trouve ailleurs au Rijksmuseum, dans la maison de poupées de Petronella Oortman (vers 1690).
Des recherches récentes ont permis d’obtenir des images beaucoup plus détaillées qu’auparavant. Elles ont permis aux scientifiques d’identifier le panier découvert précédemment, en bas à droite de la peinture, comme étant un « panier à feu ». Tissé à partir de tiges de saule, ou withies, ce type de panier était un article ménager courant pour les jeunes familles. Un bol à feu contenant des charbons ardents était placé dans le panier pour garder les nouveau-nés au chaud et faire sécher les couches. Des documents d’archives du XVIIe siècle, dont l’inventaire de la succession de Vermeer, révèlent qu’un tel panier se trouvait dans sa maison, où vivait sa famille nombreuse. Dans le tableau, Vermeer a ensuite recouvert le brasero avec le poêle à pied, les carreaux de Delft et le sol.
Les recherches sur les tableaux se poursuivront pendant et après l’exposition. Les résultats de ces recherches seront présentés lors d’un symposium international qui se tiendra au Rijksmuseum en 2025 (350 ans après la mort de Johannes Vermeer). Le symposium présentera également les recherches menées dans d’autres musées, dont la National Gallery de Washington et le Mauritshuis de La Haye.
Les Jésuites, foi, lumière et réflexion au coeur de l’oeuvre
De récentes recherches en histoire de l’art ont jeté un nouvel éclairage sur l’influence des jésuites catholiques de Delft sur Johannes Vermeer, qui avait reçu une éducation protestante. Leur influence a été plus importante qu’on ne le pensait jusqu’à présent. Les recherches ont notamment permis d’établir de manière crédible que c’est au contact des Jésuites que Vermeer a découvert la camera obscura. Cet appareil permettait de projeter la lumière d’une scène tridimensionnelle sur un mur ou un écran afin de l’étudier en deux dimensions. La recherche établit également l’influence majeure du catholicisme au sein du foyer et de la famille de Vermeer, influence qui se reflète dans son œuvre.
Johannes Vermeer (1632-1675) a vécu et travaillé à Delft. Vermeer a grandi au milieu des affaires de son père, marchand d’art, et a été élevé comme un protestant réformé calviniste. Cependant, après son mariage, il est devenu membre d’une famille catholique. Nous savons qu’il a eu 14 ou 15 enfants et que 11 d’entre eux ont survécu à l’enfance. En plus d’être peintre, Vermeer était marchand d’art et chef de la guilde des artistes de St Luc (Sint-Lucasgilde). Son œuvre est surtout connue pour ses scènes d’intérieur tranquilles et introverties, son utilisation sans précédent de la lumière vive et colorée et son illusionnisme convaincant. Contrairement à Rembrandt, Vermeer a laissé une œuvre remarquablement petite de 37 tableaux. Sept tableaux de Vermeer sont conservés en permanence aux Pays-Bas : quatre au Rijksmuseum, dont La laitière et La ruelle, et trois au Mauritshuis, dont La Jeune fille à la boucle d’oreille.
Un important travail monographique a été réalisé rassemblant tout à la fois l’iconographie de l’exposition et exposant les différentes approches autour de Vermeer.
D’une part Vermeer, sous la conduite de Pieter Roelofs, Gregor J.M. Weber, Marjorie E. Wiesemanet quelques autres. édition française, Hannibal Books, 59€
D’autre part Johannes Vermeer. Faith, Light and Reflection (en anglais), exposant les nouvelles avancées historiques sur l’influence des Jésuites et de l’Église catholique dans l’oeuvre du peintre, sous la direction de Gregor J.M. Weber. édition Rijskmuseum
Toutes les peintures exposées
Une dame écrivant, 1664-67, National Gallery of Art, Washington
Jeune femme assise devant un virginal, vers 1670-72, The National Gallery, Londres
Jeune femme debout devant un virginal, 1670-72, The National Gallery, Londres
Allégorie de la foi catholique, 1670-74, The Metropolitan Museum of Art, New York
Le Christ dans la maison de Marie et Marthe, 1654-55, National Galleries of Scotland, Édimbourg
Diane et ses nymphes, 1655-56, Mauritshuis, La Haye
Jeune fille interrompant sa musique, vers 1659-61, The Frick Collection, New York
Jeune fille lisant une lettre à une fenêtre ouverte, 1657-58, Gemäldegalerie Alte Meister, Dresde
Jeune fille à la flûte, 1664-67, National Gallery of Art, Washington
Jeune fille à la boucle d’oreille en perle, 1664-67, Mauritshuis, La Haye
Jeune fille au chapeau rouge, 1664-67, National Gallery of Art, Washington
Maîtresse et servante, vers 1665-67, The Frick Collection, New York
Officier et jeune fille rieuse, 1657-58, The Frick Collection, New York
Saint Praxedis, 1655, Kufu Company Inc, Musée national d’art occidental, Tokyo
Le géographe, 1669, Musée Städel, Francfort-sur-le-Main
Le verre de vin, vers 1659-61, Staatliche Museen zu Berlin, Gemäldegalerie
La dentellière, 1666-68, Musée du Louvre, Paris
La lettre d’amour, 1669-70, Rijksmuseum, Amsterdam
La laitière, 1658-59, Rijksmuseum, Amsterdam
La Prostituée, 1656, Gemäldegalerie Alte Meister, Dresde
Vue de Delft, 1660-61, Mauritshuis, La Haye
Vue de maisons à Delft, connue sous le nom de « La ruelle », 1658-59, Rijksmuseum, Amsterdam
Femme tenant une balance, vers 1662-64, National Gallery of Art, Washington
Femme en bleu lisant une lettre, 1662-64, Rijksmuseum, Amsterdam
Femme avec un collier de perles, vers 1662-64, Staatliche Museen zu Berlin, Gemäldegalerie
Femme écrivant une lettre, avec sa servante, 1670-72, National Gallery of Ireland, Dublin
Jeune femme assise devant un virginal, vers 1670-72, The Leiden Collection, New York
Jeune femme au luth, 1662-64, The Metropolitan Museum of Art, New York
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