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Les Kleiber de père en fils

par Andréas Rey

Dans le monde lyrique comme ailleurs, certains se font un prénom ayant déjà un nom célébré. Rolf Bjorling, après son père Jussi chez les ténors, et Nathalie Stutzmann après sa mère Christine chez les sopranos, restent ainsi dans nos mémoires. Et chez les chefs d’orchestre, Carlos Kleiber est aussi incontournable que son père. 

Erich Kleiber (1890-1956) était un chef éminent jusqu’à sa mort. D’une éthique inflexible, il rejeta le fascisme hitlérien, et après avoir dirigé le Wozzeck d’Alban Berg, malgré les ordres du ministère de la culture, immigra en Argentine dans les années trente, où il mena l’orchestre du Teatro Colon avant de revenir en Europe après-guerre. Cette rigueur influe sur ses orchestres. Elle leur donne une droiture élancée et sans ornement. Elle restitue ainsi aux valses des Strauss leur vivacité aristocratique. Il faudra attendre son fils Carlos pour retrouver cette noblesse avant qu’elle ne sombre de nouvel an en nouvel an. Cette main de velours dans un gant de fer rend aux Noces de Figaro sa libre architecture et chante avec la même aisance les thèmes viennois, les thématiques mozartiennes marquées de Wagner et les ruptures modernes du Chevalier à la rose.

Ainsi, reconnaissait-il l’utilisation moderne de la culture austro-allemande dans les oeuvres de Richard Strauss, et la modernité de le structure légère mozartienne, et il les interprétait avec la même virtuosité. Il était un chef de la continuité plus que de la rupture. La direction d’un Arthur Nikitch résonne autant chez lui que celle de son fils. Son style est toujours aussi fier que souple plus de cinquante ans après sa mort. Chacun de ses enregistrements en reste canonique. On les écoute comme des oeuvres apolliniennes, nobles et éternellement vivantes, dans le courant et non dans le marbre du temps. 

Heureusement, Erich Kleiber eut un fils. Carl Ludwig Bonifacius Kleiber (1930-2004). Il hispanisera son prénom en Carlos ayant passé son enfance en Argentine. Nous laisserons aux psychologues le diagnostique de l’image du père chez le fils et l’absence de dialogues entre eux, nous remarquerons simplement leurs conséquences.

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Le répertoire de Carlos Kleiber est maigre hélas, il le réduira progressivement avec le temps. Pas d’intégrale des symphonies de Beethoven et de Brahms par exemple. Carlos Kleiber utilisera même souvent les partitions de son père et restera donc essentiellement dans son répertoire. Père et fils étaient des répétiteurs acharnés. Chez Carlos, cela atteindra des proportions et donc des craintes hors normes. Il exigea ainsi à l’opéra de Munich trente six semaines de répétition pour le Chevalier à la rose et acheta tous les jours un billet d’avion si les doutes se feraient trop forts. Cette exigence forca le style du père dans ses raffinements. Ses composants sont fondus l’un dans l’autre, aboutissant à une rare fluidité chez le fils. Le Chevalier à la rose, Tristan et Iseulde, les symphonies de Beethoven ou de Brahms entre autres en sont illuminés de l’intérieur. 

Si Erich Kleiber ouvrait avec une souplesse reposant sur l’héritage du passé, Carlos Kleiber actualise son jeu en le synthétisant. A aller jusqu’au bout de leur esthétique éthique, chacun donne son incarnation de l’élégance. Et c’est ainsi que la musique est grande 

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Illustration de l’entête; Carlos Kleiber

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