Une île : l’île de Groix et sa magie. L’île de Groix, encore et toujours, pas Yeu, Ouessant, Sein ou autre Ré, non Groix que les lecteurs de WUKALI connaissent à travers les romans de Lorraine Fouchet (tiens, comme par hasard, dans ce roman il y a une Lorraine qui passe en arrière plan dans une page, tiens comme par hasard Sophie Tal Men est médecin neurologue comme spécialité et Lorraine Fouchet est médecin urgentiste, j’arrête là les liens voulus ou fantasmés).
Alors oui, dans ce roman, le personnage le plus important c’est l’île de Groix, avec sa beauté, ses odeurs, ses couleurs, ses bruits ; elle agit comme un athanor, le réceptacle dans lequel les personnes se rencontrent, se mélangent et se transforment. L’île de Groix lieu privilégié pour une sorte de transformation alchimique. Transformation qui peut être joyeuse, positive, transformation qui peut, aussi, passer par la mort, par la disparition.
Des personnages, il y en a, mais parmi eux se détache la figure d’Alexis. Cet ancien urgentiste est parti dans les quatre coins du monde en missions humanitaires, pour soigner les plus pauvres, les plus défavorisés. Il est de retour à Brest après de longues années d’absence, sorte de clochard taiseux que recueille sa sœur. Il a une jambe rafistolée suite aux dégâts d’un obus tombé sur l’hôpital où il travaillait en Syrie. Il fait un cauchemar récurrent, cauchemar qui est un souvenir, celui d’ une petite fille qu’il n’a pu sauver, qui était blessée à la gorge et qui le regardait de ses grands yeux noirs. Or, ces yeux qui le fixaient, il les retrouve chez Rose, la petite fille de 4 ans d’Olivia, la kinésithérapeute qui est venue s’installer sur l’île quand son amant a montré sa vraie nature lorsqu’elle lui a annoncé être enceinte. Si Alexis est un blessé par son passé et porte ses tourments sur son physique, Olivia est une jeune femme pimpante mais qui s’est entourée d’une armure pour se protéger de toute idée de sentiment.
Et puis il y a Yann, le médecin sexagénaire de l’île. Il a mal, très mal, retarde son opération à la hanche quitte à ne plus pouvoir marcher qu’avec de grandes difficultés. Son fils Mathieu, médecin à Brest le pousse à trouver un remplaçant, avec le soutien de Jo, un de ses amis, devenu une sorte d’assistant de son père. Jo est, et à toujours été un profond dépressif qui s’est toujours réfugié dans l’alcool. Jo, c’est l’empathie fait homme, une grand joie de vie pour les autres, toujours une blague à la bouche, toujours un mot pour détendre les angoissés, l’ami des plus jeunes mais aussi de tous les patients de l’EHPAD . Mais c’est un homme détruit par ses démons qu’il a amenés avec lui sur l’île de Brest : « J’ai cru que fuir résoudrait mes problèmes… On croit toujours qu’on sera plus heureux ailleurs, mais c’est faux. » Nous ne sommes pas loin du poème de Baudelaire : « Amer savoir celui qu’on tire du voyage, le monde… nous montre notre image, un oasis d’horreur dans un océan d’ennui ».
A Brest, Alexis revient sur les pas de sa jeunesse tel le « Le gobe-mouches », le bar où se retrouvaient tous les étudiants en médecine et quelques habitués comme Jo. Ils sont encore là, et Mathieu lui parle de remplacer son père. Alexis qui ne voulait plus pratiquer se laisse convaincre, comprenant que l’on ne peut lutter contre sa vocation et se lance dans la médecine généraliste qu’il n’avait jamais pratiquée.
Il s’adapte très vite. Jo est un parfait cicerone, les habitants, chaleureux, adoptant rapidement le remplaçant. Il finit par croiser Olivia, le moins que l’on puisse dire, leur première rencontre est plus que froide. Or chacun a perçu un danger dans l’autre, danger symbolisé par l’attirance qu’ils ont l’un pour l’autre et qu’ils essayent de combattre. Et il y a Yann, très mauvais patient, qui refuse de vieillir et qu’un autre, même temporairement, puisse occuper sa place, aussi, dès son retour sur l’île, il se montre particulièrement odieux avec Alexis qui finit par jeter l’éponge.
Mais la force de l’amour, la force de Groix seront plus forts et montreront un chemin à Alexis qu’il n’avait jamais imaginé.
Un roman sur l’île de Groix, c’est certain, un roman aussi sur les joies et les difficultés de la médecine généraliste, sur le lien traitant/patient qui est si important. Un roman sur les blessures, sur les difficultés à les surmonter, sur le sentiment de culpabilité qui s’insère en nous, même quand nous sommes impuissants face aux faits. Parfois, il faut savoir s’avouer notre propre impuissance. Et ce n’est pas toujours facile.
La promesse d’une île est un roman plein de tendresse qui essaie de nous montrer que rien, strictement rien n’est immuable, même si l’on ne voit pas le chemin qui va nous mener vers un autre univers bien meilleur que celui dans lequel notre passé nous a enfermé.
La promesse d’une île
Sophie Tal Men
éditions Albin Michel. 20€90
Illustration de l’entête: Sophie Tal Men. photo Ouest France
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