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La collection personnelle des peintures et dessins de Pierre Boulez mise aux enchères

par Pierre-Alain Lévy

Que ne dira-t-on de ce XXème siècle si prolifique en artistes et en création d’oeuvres d’art, d’écoles et de mouvements. Un combat farouche entre ses tropismes glaçants, ses démons des forces du mal de Moscou à Berlin qui broient les hommes et entrainent les nations dans des guerres dévastatrices, mais ses luttes aussi pour l’émancipation et la démocratie et l’émergence de cette grande idée généreuse de l’Europe qui réunit les peuples dans la paix, la liberté retrouvée et la prospérité.

Un siècle d’artistes, de créateurs, d’utopistes parfois, une moisson de peintres, de compositeurs, d’écrivains, une célébration ardente d’un humanisme qui a souffert dans sa chair et qui offre la vibration de sa quintessence et de sa liberté. Pierre Boulez est de ceux-là.

Critique, analytique, esthétique, tel est bien le message de Boulez. Non seulement est-il un chef renommé, mais il est aussi principalement l’un des grands théoriciens de la composition musicale du XXéme siècle et ses écrits comme ses conférences à Darmstadt ou au Collège de France en témoignent. La musique s’inscrit entre autres choses pour lui dans un processus créatif qui s’inspire de la « folieculture » d’Artaud : « je pense que la musique doit être hystérie et envoûtement collectif, violemment actuels.»(« Éventuellement» 1952, Points de repère, p.265). Cette hystérie, cet envoûtement même que l’on retrouve chez nombres de peintres, ses contemporains et cela est manifeste dans les peintures que fera Dado pour la revue Répons de Boulez.

Quels regards les artistes d’aujourd’hui auront-ils sur les événements tragiques qui nous transpercent ?

Olécio partenaire de Wukali
Vieira Da Silva. Hiver (1983)
Huile sur toile

Boulez est tout à la fois un chiffreur, un codeur, un dialecticien, un géomètre, et il est particulièrement intéressant de découvrir dans les peintures ou dessins de sa collection personnelle qui seront dispersés le 8 juin prochain par la maison de ventes Arcurial à Paris, des oeuvres qui font écho. Ainsi renouvelle-t-il la syntaxe, l’écriture, la sémantique de la composition musicale tout comme pour la peinture pourront le faire entre autres artistes Vieira da Silva, Miró, Klee ou Soulages par exemple. Si l’expression de ses théories musicales connues à travers ses conférences et ses livres demeure parfois quelque peu obscure et peu accessible, à contrario la découverte de l’homme sensible et collectionneur de peintures et de dessins et parfaitement enraciné dans son temps nous instruit, et son appétence visuelle devient alors un sésame pour la compréhension de son oeuvre et l’analyse verticale de l’époque.

Jean Cocteau. Igor Stravinsky au piano
Encre sur papier

Provenant de sa succession, l’ensemble de ces tableaux, dessins, aquarelles et estampes témoigne de l’ardente passion du chef d’orchestre pour les artistes du XXème siècle et met notamment en lumière les parallèles que le compositeur aimait faire entre musique et peinture. Composée de tableaux, aquarelles, dessins et estampes, la collection témoigne des liens que le compositeur a pu tisser avec les peintres tout au long de sa longue carrière : Maria Helena Vieira da Silva, Alejandro Otero, Jean Tinguely, Alberto Giacometti, Joan Miró ou encore Arnaldo Pomodoro, Zao Wou- Ki mais également les œuvres de Paul Klee, Jean Cocteau, Philip Guston, Pierre Soulages, Francis Bacon, Bernard Saby et bien d’autres.

Tout au long de sa prolifique carrière, il s’est souvent inspiré des processus de création des peintres pour les transposer à ses propres réflexions, créant ainsi de nombreux ponts entre ces deux domaines artistiques.

Plutôt que de s’inspirer d’œuvres picturales en particulier, le compositeur s’intéresse aux réflexions du peintre dans la conception de ses toiles, et les transpose dans le domaine musical pour en tirer de nouveaux procédés d’écriture. Sa découverte de Paul Klee, le marqua profondément et l’incita à élargir sa pensée de l’espace musical.

collection de dessins et de peintures de Pierre Boulez Jean Tinguely
Jean Tinguely. Sans titre – 1979-83
Ensemble de 12 œuvres concernant la Fontaine Stravinsky de 1983 à Paris

De nombreux media sont représentés dans cette vente : une aquarelle de Paul Klee estimée 50 000 – 70 000 €, des gouaches sur papier ou sur bois de Vieira Da Silva estimées respectivement 8 000 – 12 000 € et 40 000 – 60 000 € mais également, une huile sur toile d’Alejandro Otero El pote rojo III de 1948 estimée 70 000 – 90 000 € ou encore le portrait de Stravinsky par Alberto Giacometti estimé 30 000 -40 000 €.

Musique et peinture

La valse des arts en apothéose

La vie de Pierre Boulez est ainsi marquée par un profond engagement en faveur du développement et de la diffusion de la musique contemporaine. Il s’est interrogé sur les rapports entre musique et peinture, en comparant les processus de création dans ces deux domaines artistiques. Il n’hésite pas à créer des parallèles entre peintres et compositeurs : Paul Cézanne et Claude Debussy, ou Piet Mondrian et Anton Webern.

Son soutien pour la création s’étend également aux artistes plasticiens et Pierre Boulez gravite dans le cercle restreint des plus grands artistes de son temps et se lie d’amitié avec notamment Vieira da Silva, ou Zao Wou-Ki à qui il fait appel pour la réalisation des pochettes de disque de la collection « Les concerts du Domaine Musical ».

collection de dessins et de peintures de Pierre Boulez. Zao Wou-Ki
Zao Wou-Ki. Sans titre. Circa 1958
Encre et aquarelle sur papier

Son engagement pour les arts et la création est salué quelques années plus tard par le Louvre qui lui consacre en 2008 une grande exposition en son honneur, intitulée Pierre Boulez, Œuvre fragment. En 2015, à l’occasion de son 80e anniversaire, La Philharmonie de Paris lui rend également hommage à travers une exposition rassemblant des chefs-d’œuvre d’artistes majeurs du XXème siècle : Paul Cézanne, Paul Klee, Nicolas de Staël, Alberto Giacometti, Francis Bacon, Piet Mondrian ou encore André Masson.

Pierre Boulez un artiste présent au monde

Pierre Boulez et Olivier Messiaen
Olivier Messiaen et Pierre Boulez. Nov.1988
Enregistrement d’Un vitrail et des oiseaux

Pierre Boulez est né en 1925 à Montbrison dans la Loire, très jeune, dès son plus jeune âge, il montre un intérêt pour la musique et notamment pour le piano qu’il pratique depuis ses 6 ans. Bien qu’il étudie les mathématiques à un haut niveau sous l’impulsion de son père, la musique demeure sa véritable passion. Sa plus grande inspiration provient de Claude Debussy, qui incarne pour lui la modernité.

Admis au conservatoire en 1944, il intègre la classe d’harmonie d’Olivier Messiaen. Cette rencontre sera frappante pour le chef d’orchestre et compositeur en herbe qui prend la même année la direction de la Compagnie Renaud Barrault où il effectue ses premiers pas de chef d’orchestre. Sa carrière est lancée, dix ans plus tard il dirige déjà les plus grands orchestres internationaux.

En 1959, il quitte Paris pour Baden-Baden en Allemagne lorsque le célèbre critique musical Heinrich Strobel lui propose de rejoindre la radio Südwestfunk. Engagé, il signe en 1960 le Manifeste des 121 en soutien à l’indépendance de l’Algérie. Ce geste hautement politique l’amène à être démis de ses fonctions et à subir, comme nombre d’intellectuels français, le boycott imposé aux radios, télévisions et programmateurs de spectacles.

Pierre Boulez s’oriente alors vers l’enseignement et rejoint l’académie de musique de Bâle où il analyse entre-autre les Cantates de Webern, les dernières œuvres de Debussy ou encore Wozzeck de Berg. Universitaire aguerri, il est à plusieurs reprises invité à l’Université d’Harvard où il anime plusieurs cycles de conférences intitulés : The Necessity of an Aesthetic Orientation. Il dirige en parallèle Le Sacre du printemps au Théâtre des Champs Elysées pour le 50e anniversaire de l’œuvre ainsi que la première production de Wozzeck montée par l’Opéra de Paris.

Alejandro Otero. El pote rojo III. 1948
Huile sur toile

En 1965, sa carrière prend une nouvelle ampleur : il effectue une tournée américaine avec le BBC Symphony Orchestra et est élu président d’honneur du Syndicat des artistes musiciens de Paris. En tant que principal chef invité de l’Orchestre de Cleveland, chef permanent du BBC Symphony Orchestra et du New-York Symphony Orchestra, il multiplie ses représentations dans le monde entier. Un rythme effréné particulièrement stimulant pour Pierre Boulez qui le ramènera à ses premières amours : la composition. Etabli dans le milieu, il dispose désormais des moyens suffisants pour satisfaire ses ambitions et pour développer la musique contemporaine. C’est à cette période qu’il compose notamment Éclat / Multiples (1966), et Figures- Doubles-Prismes (1968).

En 1972, Pierre Boulez revient en France à la demande de Georges Pompidou qui lui confie le soin de créer et de diriger l’IRCAM (Institut de recherche et coordination acoustique/musique). L’inauguration du Centre Pompidou et de l’IRCAM est célébrée avec succès par une grande manifestation d’expositions et de concerts qui marque publiquement la connivence du compositeur pour l’art moderne et contemporain et son goût pour le dialogue entre ces deux univers.

Au début des années 80, Pierre Boulez est considéré comme le musicien français le plus influent et comme l’un des meilleurs chefs d’orchestre internationaux. En plus des nombreux concerts qu’il donne et des multiples récompenses qu’il reçoit, il s’associe également à plusieurs projets prestigieux pour la diffusion de la musique comme les créations de l’Opéra Bastille et de la Cité de la musique à La Villette. Figure éminente dans le monde de la musique, Pierre Boulez n’hésite pas non plus à exprimer publiquement son désaccord sur certains choix techniques imposés par les décideurs politiques.

Compositeur, analyste, chef d’orchestre, pédagogue, animateur, cet artiste reconnu, décède en 2016 à Baden- Baden où il résidait.

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