Une biographie tout en sensibilité et en délicatesse d’une presque centenaire entre deux siècles : Julia Daudet (1844-1940). Christophe Grandemange a eu la bonne idée de faire sortir Julia Daudet de l’ombre d’Alphonse, le conteur célèbre des Lettres de mon moulin. C’est à La Gare des Mots, dans une biographie publiée au début de l’année 2023, que l’auteur, passionné par ce genre, nous invite à redécouvrir la personnalité et la carrière de cette femme de lettres.
Mariée à l’âge de 22 ans à Alphonse Daudet le 29 janvier 1867, Julia Allard fut à la fois une épouse, une mère, une collaboratrice et une écrivaine accomplie. On oublie pourtant qu’elle a survécu plus de 40 ans à Alphonse en jouant un rôle de premier plan dans les lettres françaises.
Une famille d’artistes
Christophe Grandemange commence par nous rappeler les origines bourgeoises mais aussi artistes de la famille Allard. Venant de Touraine, les ancêtres de Julia s’installent à Paris et son grand-père, Jacques Navoit, qui fut maire de Vigneux, possède un château dont l’enfant devenue adulte gardera la nostalgie. Vivant dans un milieu aisé, la jeune femme participe aux réceptions données par ses parents qui côtoient Leconte de Lisle, Marceline Desbordes-Valmore et des poètes parnassiens tels Sully-Prudhomme et François Coppée. Ses parents, Léonide et Jules, ont écrit à quatre mains un recueil de poésies intitulé Les Marges de la vie. De son côté, la jeune Julia publie des poèmes dans la revue L’Art sous le pseudonyme de Marguerite Tournay, le nom de jeune fille de sa grand-mère.
Julia et Alphonse ou la rencontre de la bourgeoisie et de la bohème
Le coup de foudre entre Julia et Alphonse eut lieu lors d’une représentation en décembre 1865 de la pièce Henriette Maréchal des frères Goncourt. Les deux jeunes gens se rencontrent ensuite à Ville-d’Avray l’année suivante par l’intermédiaire d’Ernest Daudet, frère d’Alphonse et voisin d’un des parents des Allard. Après son mariage, Alphonse Daudet fait découvrir à sa jeune épouse sa famille provençale : les Ambroy, les Félibres, Théodore Aubanel et Joseph Roumanille ainsi que les lieux qui lui tiennent à cœur : Fontvieille et le château de Montauban. De son côté, Julia, très attachée à la région de Vigneux qu’elle a quittée à regret, incitera Alphonse à acquérir la maison de Champrosay, située tout près de là. Ce sera chose faite en 1887.
Une fidèle collaboratrice
Mère de Léon, de Lucien et enfin d’Edmée, Julia Daudet est non seulement une maîtresse de maison modèle mais elle collabore avec son mari, tout en écrivant pour elle-même. Les deux époux prennent en charge la critique littéraire du Journal 0fficiel de 1874 à 1880. Cependant, il est à noter que Julia utilise un pseudonyme Karl Steen et que par la suite elle signera toujours du nom de Madame Alphonse Daudet. La collaboration avec Alphonse a commencé par des interventions ponctuelles dans les Lettres de mon moulin (1868-1869) puis elle s’est systématisée à partir de 1871 dans des recueils comme Les Lettres à un absent, les Contes du lundi et Robert Helmont. Concernant les romans, son rôle devient particulièrement important ainsi qu’en témoigne le manuscrit du Nabab. Bref, l’épouse studieuse a parfois du mal avec les incartades d’Alphonse et son côté bohème. Cependant, l’auteur du Petit Chose saura toujours reconnaitre la valeur de Julia et il en témoignera publiquement. On sent toute la bienveillance du biographe envers cette femme qui souffre mais qui reste digne dans l’épreuve.
À partir de 1878, Julia publie des œuvres autobiographiques : L’Enfance d’une Parisienne, Enfants et mères, Notes sur Londres, Souvenirs autour d’un groupe littéraire, Quand Odile saura lire, Journal de famille et de guerre ainsi que de nombreux poèmes : Poésies, Reflets sur le sable et sur l’eau, Rome et quelques poèmes. Christophe Grandemange a le mérite de nous fournir de nombreuses citations des œuvres et des témoignages de Julia Daudet, de son enfance à Vigneux à ses propos désabusés eu égard aux drames qui ont jalonné sa vie. Mais il est parfois dommage qu’elles ne soient pas suivies d’une analyse plus précise.
Après la disparition d’Alphonse Daudet
Alphonse Daudet meurt le 16 décembre 1897, après avoir souffert pendant des années d’une ataxie locomotrice dont il a raconté avec une poignante vérité les douleurs (La Doulou). Esseulée, Julia vend le domaine de Champrosay et vient s’installer à Chargé, rejoignant ainsi ses origines en Touraine. Elle poursuit son travail personnel d’écriture et continue à cultiver la mémoire de son défunt mari. Elle participe à la création du prix Vie Heureuse qui récompensera en 1905 Myriam Harry pour La Conquête de Jérusalem.
Insistant sur des épisodes moins connus de la veuve d’Alphonse, le biographe explique bien l’importance de la famille pour cette femme de lettres, parfois au détriment de sa propre destinée. Edmée Daudet, son dernier enfant, se marie avec André Germain mais leur union se révèle désastreuse comme celle entre Léon et Jeanne Hugo.
Néanmoins, Léon s’est remarié avec Marthe, ménage heureux, parents du petit Philippe qui s’épanouit au château de La Roche à Chargé ainsi qu’a pu le faire Julia à Vigneux. Edmée s’unira ensuite à Robert Chauvelot, pour le meilleur. L’hiver, Julia rejoint la capitale et la rue de Bellechasse où elle a vécu avec Alphonse. Elle peut toujours compter sur Lucien, constamment à ses côtés.
Drames familiaux et conflits mondiaux
La Première Guerre mondiale soude encore davantage le clan Daudet comme Julia le raconte dans son Journal. Par la suite, drames familiaux et reconnaissances du monde des lettres alternent dans l’existence de la femme devenue âgée. Candidate malheureuse à l’Académie Goncourt, elle continue de perpétuer le souvenir d’Alphonse et préside le prix Femina. Le destin tragique de Philippe Daudet, mort à 14 ans, l’acharnement médiatique pour et contre son fils Léon, la disparition d’Anna, la sœur d’Alphonse, et enfin celle d’Edmée et de son époux, plongent dans le chagrin les dernières années de l’existence de Julia. L’aube du second conflit mondial entame ses forces ultimes. Elle meurt le 23 avril 1940.
La très longue existence de Julia ne saurait donc se résumer à avoir été l’épouse puis la veuve d’Alphonse Daudet. Et Christophe Grandemange de nous le prouver à chaque page de la belle biographie qu’il a consacrée à celle qui n’a jamais voulu signer du nom de Julia Allard.
Julia Daudet : dans l’ombre d’Alphonse
Christophe Grandemange
éditions La Gare des Mots. 23€
*Illustration de l’entête: Julia Daudet peinte par Auguste Renoir (1876). Huile sur toile : 46cm/38cm. Musée d’Orsay
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