Bertolt Brecht (1898 – 1956) pour les textes, et Kurt Weill (1900 – 1950) pour la musique, l’Opéra de quat’sous renait au Festival d’Aix-en-Provence. Dix dates programmées pour ce spectacle évènement. Il en est un autre qui fera date : Cosi Fan Tutte encore à l’affiche jusqu’au 21 juillet.
Imaginez ! Le Festival d’Aix offrait aux mélomanes un premier « Cosi » en juillet 1948 dans la cour de l’ancien archevêché. Une apparition magique sous les étoiles et depuis, on peut mesurer le chemin parcouru de ce festival qui fête ses 75 ans d’existence.
Mozart, dans le secret de nos vieilles pierres et dans l’aventure de ce festival hors norme. Il est vrai que cet opéra de Mozart version 2023 est très éloigné de celui que nous connaissons mais, même si nous ne les avons pas tous vus, nous sommes constants dans notre admiration. C’est Mozart ! Qu’il doit être difficile et tout à la fois excitant pour un metteur en scène, un chef, des musiciens, des décorateurs, de faire voir tout ce que recèle l’inépuisable partition ! Un douzième « Cosi fan tutte » se devait-il être une réplique des précédents ? Les temps changent et les découvertes ne sont pas toujours bien perçues. Est-ce un travers de notre esprit que de dénigrer les succès dus à l’audace et à l’ingéniosité ?
Certes, on peut comprendre les frileux, même par temps de canicule. Il y a de la provocation dans les propositions de Dmitri Tcherniakov, pour Cosi, ou par Thomas Ostermeier, pour l’Opéra de quat’sous, inspiré de la pièce du dramaturge anglais John Gay qui a écrit en 1728 the Beggar’s Opera » appelé aussi « l’opéra du gueux ».
Etonnant et audacieux, le metteur en scène a réuni la troupe de la Comédie Française. Ce sont les musiciens du Balcon sous la direction de Maxime Pascal qui assurent la partie musicale. Ensemble, ils ont littéralement donné vie à l’Opéra de Quat’sous. Le chef d’oeuvre explosif revisité par Bertolt Brecht et Kurt Weill a fait des étincelles au Théâtre de l’Archevêché. Comme à l’époque de sa création, il s’est joué à guichets fermés, et comme à l’époque, il ne laisse personne indifférent. Les soirées se suivent et ne se ressemblent pas, et ce mardi 18 juillet on entendait parmi le public quelques déçus huer, ici et là des applaudissements mitigés, et d’autres, les plus nombreux, des applaudissements nourris et carrément enthousiastes. Nul doute, comme souvent à Aix, l’esprit provocateur des metteurs en scène bouscule. « Cette œuvre n’a plus rien à voir avec le Beggar’s Opera de John Gay ! » Entend-on parfois. Pourtant, du prélude très drôle et surprenant, aux huit tableaux que composent l’opéra, bien des choses restent fidèles à la création de 1928, à Berlin.
Car il s’agit bien d’une œuvre irrévérencieuse en diable et c’est bien comme cela qu’elle nous apparait. Cet Opéra de quat’sous est à la fois très fidèle et très différent de celui que nous connaissons déjà. C’est un drôle de jeu d’équilibriste, et on se demande toujours comment tout ce petit monde retombe sur ses pieds. Voilà une comédie « dramatique », une vraie satire du capitalisme, qui était interdite par le régime nazi. Elle est sans fard, sans retenue parfois, drôle et amère. Il y a fort à dire et à penser sur cet anti-opéra, qui offrent des chansons très populaires, et dont les protagonistes/héros sont des voyous et des malfrats (façon efficace de dénoncer quelques travers de la société britannique de l’époque). Maxime Pascal, directeur musical de l’excellent orchestre Le Balcon l’assure : « On a dans l’idée que Weill pratique un registre essentiellement léger, alors que sa musique est d’une noirceur et d’une profondeur infinies, jusqu’au tragique ! » On le vit. On découvre des personnages extrêmement sombres, qui nous entrainent dans les bas-fonds de Londres. On plonge dans le réalisme de la société, le réalisme de la vie.
Cette comédie musicale mélange les genres et les styles et avouons-le, il y aurait bien ce côté un peu désuet et vieillot à la lecture de cette pièce si l’interprétation n’était pas aussi aboutie et vivace sur scène. Toute sa force réside dans cette capacité à faire vivre cet Opéra de Quat’sous : de la musique, impeccable, aux chants, qui nous ont offert des moments magiques, aux interprétations et jeux d’acteurs de haute voltige, en passant par les décors étonnants, les costumes, les sons et lumières, les chorégraphies. Sans oublier Alexandre Pateau, l’auteur d’une nouvelle traduction qui apporte un souffle nouveau à l’Opéra de Quat’sous.
On peut applaudir à deux mains tous ces artistes qui ont véritablement assuré. Il faut savoir que cette œuvre n’était pas écrite pour des chanteurs. On songe à Edith Piaf, sublime exemple du Paris chanté à la française. Ici, le parlé-chanté est la plus belle des manières pour coller au réalisme qui s’impose. On nous offre une critique sociale et politique, sur fond de grande effervescence à Londres, (on va couronner la Reine d’Angleterre, tout de même) et nous assistons à une lutte de deux classes peu recommandables : celle du banditisme et de l’exploitation de la misère humaine. On salue la performance de Jonathan Peachum, qui exploite les clochards, un rôle sur mesure pour Christian Hecq sociétaire de la Comédie-Française. Il forme un excellent binôme avec Celia Peachum (Véronique Vella). On aime cette nouvelle chanson inédite, Pauv’ Madam Peachum (1937), texte d’Yvette Guilbert, adaptation Alexandre Pateau. Difficile de citer tous ces acteurs chanteurs du « Français ». Autant dire que ce spectacle, au grand potentiel subversif, nous bouscule, et le public, de façon très drôle, est pris à parti. L’opéra défile sans entracte, ce qui nous parait une excellente idée pour garder le rythme et ne pas perdre ce qui fait l’essence même de ce spectacle qui hache tout menu. C’est pour mieux nous offrir une vision désenchantée de notre société. Le rideau tombe, le public est groggy par ce Quat’sous sur ressorts qui nous alerte sur bien des choses et nous fait réfléchir. Une heure dU matin, déjà ?!
A noter que l’opéra de Quat’sous sera programmé à la Comédie Française à Paris du 23 septembre au 5 novembre 2023
Direction musicale
Maxime Pascal*
Adaptation et mise en scène
Thomas Ostermeier
Scénographie
Magda Willi
Costumes
Florence von Gerkan
Lumière
Urs Schönebaum
Dramaturgie et collaboration artistique
Elisa Leroy
Chorégraphie
Johanna Lemke
Vidéo
Sébastien Dupouey
Son
Florent Derex
Assistant à la direction musicale
Alphonse Cemin*
Chef de chant
Vincent Leterme
Assistante à la mise en scène
Dagmar Pischel
Assistante aux décors
Ulla Willis
Assistante aux costumes
Mina Purešić
Assistant à la vidéo
Romain Tanguy
Assistante au son
Koré Préaud
Consultante dramaturgique diversité
Noémi Michel
Troupe de la Comédie-Française
Celia Peachum/ Véronique Vella
Jenny/ Elsa Lepoivre
Jonathan Jeremiah Peachum/ Christian Hecq
Robert, homme de Macheath et Smith/ Nicolas Lormeau
Brown/ Benjamin Lavernhe
Macheath/ Birane Ba
Lucy/ Claïna Clavaron
Polly Peachum/ Marie Oppert
Filch et Saul, homme de Macheath/ Sefa Yeboah
Matthias, homme de Macheath/ Jordan Rezgui
Jacob, homme de Macheath/ Cédric Eeckhout
Chœur amateur: Passerelles, chef de chœur: Philippe Franceschi
Orchestre Le Balcon
* Anciens artistes de l’Académie
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