Qui était Moïse ? Voilà bien une question que plus personne ou presque plus personne ne se pose. Pourtant cette question est celle des origines du peuple juif et donc c’est aussi celle de l’origine de nos sociétés occidentales qui, même si la croyance en un Dieu est en net recul, sont issues d’une tradition judéo-chrétienne.
Jacob Rogozinski, professeur titulaire de philosophie à l’université de Strasbourg où il a succédé à Jean-Luc Nancy, a cherché à répondre à cette question dans une recherche qui est une véritable enquête basée d’abord sur la Torah, mais aussi sur les plus récentes découvertes des historiens et des archéologues. Cette enquête se veut une plongée dans une religion qui, comme toutes les religions et contrairement à ce que nous ont transmis les Lumières, contient une part de vérité et c’est cette vérité qu’il convient, pour Jacob Rogozinski, de mettre ou remettre à jour.
Moïse donc. Qui était-il ?
Recueilli par la fille du pharaon dans un panier qui flottait sur le Nil, ses parents sont restés inconnus et Moïse a grandi auprès du pharaon. Était-il hébreu par sa naissance, était-il égyptien par son adoption ? La controverse a fait rage parmi les historiens mais pour Jacob Rogozinski il était hébreu puisqu’il a entendu une voix lui dire « Je suis le dieu de ton père, c’est-à-dire celui d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. ». (Exode 3 :6,15,16) C’est ce dieu qui lui donne son nom et qui lui dit que son père était hébreu. Il était donc bien un hébreu.
Ce qui est bien connu est le fait que Moïse ait fait sortir les Hébreux d’Egypte. Mais là, Jacob Rogozinski apporte une vision originale puisqu’il place les hébreux directement en terre de Canaan, le territoire situé entre la mer Méditerranée et le Jourdain. Pour lui, la traversée de la mer Rouge est une allégorie, les Hébreux vivaient sur une terre sous domination égyptienne. Moïse a fait sortir les Hébreux de la domination égyptiennes et d’un état de servitude mais sans forcément changer de lieu. La traversée de la mer Rouge est une allégorie du temps qui a passé avant que l’Exode ne commence et n’aboutisse. Ce qui a pour conséquence immédiate que la Terre Promise est partout. Peu importe où les Hébreux vivaient du moment qu’ils vivaient sous domination égyptienne et qu’ils ont quitté la Maison de la Servitude. Il n’y a aucune trace historique d’une sortie d’Egypte d’une population d’environ 600 000 personnes, ce qui est n’est pas possible. C’est donc que les Hébreux vivaient ailleurs qu’en Egypte même s’ils vivaient sous domination égyptienne. Ce qui fait dire à Jacob Rogozinski que la Torah doit être interprétée, il faut parfois suivre le texte à la lettre mais il faut aussi savoir que ce texte a pu être écrit bien longtemps après les faits et que ces faits ont pu être adaptés en fonction du contexte ou des souvenirs des auteurs.
Moïse va recevoir le souffle de Dieu qui lui ordonne de « sortir de son pays, de ses origines, de la maison de son père » C’est à partir de là que se situe l’Exode. Moïse est le prophète qui va celer une alliance entre les Hébreux et Dieu. Et il s’agit d’une véritable alliance dans laquelle les deux parties ont des obligations. C’est même encore plus puisqu’il s’agit du choix d’un dieu par un peuple et non d’un dieu qui élit un peuple.
Il en résulte pour Jacob Rogozinski une organisation politique originale et sans équivalent qu’il nomme une théo-démocratie dans laquelle il n’y a pas de roi. Ainsi le pouvoir appartient directement à dieu et en aucun cas à ses représentants sur terre, ni les prêtres ni un roi ne peuvent l’exercer On est donc très loin d’une véritable théocratie où ce sont les représentants de dieu qui exercent le pouvoir en son nom ou quand il s’agit d’un roi de droit divin, d’un monarque qui exerce tous les pouvoirs. Il appelle cette période où la théo-démocratie règne la révolution israélite. Elle va durer jusqu’à ce que le peuple demande le régime de la royauté et que Saül soit sacré roi.
Autre question posée dans cette enquête : qui étaient les premiers Hébreux ? Celles et ceux qui ont constitué le peuple des Hébreux étaient des marginaux de la société égyptiennes qu’on appelait les Haribou. Il y avait aussi des paysans révoltés et des communautés réfugiées dans les hautes terres Les premiers Israélites n’étaient donc pas une population homogène et ne constituaient pas une ethnie à proprement parlé. Constitué de celles et ceux qu’on appellerait aujourd’hui des migrants ou des exclus, le peuple des Hébreux est issu d’une révolte. Encore faut-il qu’un peuple se constitue.
Pour que ce groupement de populations révoltées fasse un peuple, il fallait un ciment commun et c’est l’Alliance avec un nouveau dieu qui va les réunir. Cette Alliance est tout à fait particulière, unique en son genre. C’est le peuple en entier, avec chacun de ses membres, qui va conclure cette Alliance. Les deux parties, dieu et son peuple, ont chacune des obligations. Pour dieu, il est convenu qu’il donne pour toujours à son peuple La Terre Promise dans le pays de Canaan. Le peuple, lui a trois obligations : une obligation d’égalité entre les membres de la communauté d’Israël, une obligation d’inclusion qui étend aux étrangers la possibilité de rejoindre l’Alliance et une obligation de liberté et réciprocité vis à-vis de Dieu. Mais la réciproque reste vraie, Dieu peut changer comme il veut, sa relation à son peuple. Les deux premières conditions sont horizontales et concernent la gestion du peuple lui-même tandis que la troisième est verticale et concerne les rapports du peuple avec dieu. Ce peuple, outre son origine sans ethnie unique, a une autre caractéristique liée à cette Alliance : il se doit de devenir saint, la sainteté étant définie par la justice. Cette sainteté sera toujours à conquérir et ne sera jamais acquise définitivement
L’obligation d’inclusion fait dire à Jacob Rogozinski que ce que peuple a un devoir d’accueil : « Si les citoyens de cet Etat-refuge qu’est aujourd’hui Israël étaient demeurés fidèles aux lois de la Torah, ils sauraient qu’ils ne peuvent pas se considérer comme les possesseurs de la terre. Ils comprendraient que coloniser et annexer les territoires, exproprier et expulser ceux qui y vivent, c’est profaner le nom de YHVH ». (P. 143)
L’obligation d’inclusion peut aussi se comprendre dans le fait que l’Exode vers la liberté est une possibilité offerte aux autres peuples même s’ils en appellent à d’autres noms divins (P. 309) Les relations du peuple d’Israël avec les autres peuples entrent en résonnance avec l’obligation d’inclusion qui s’étend « aux étrangers résidant parmi les Israélites, ce qui rend possible le passage à un universalisme extensif qui dépasserait les limites de la « nation sainte » en s’ouvrant à l’ensemble des autres goym » (P.307) Nous sommes dans l’universalisme juif.
L’Alliance conclue avec Moïse fait écho à l’Alliance précédente conclue entre dieu et Abraham : « J’établirai mon alliance avec toi, avec tes enfants et tous leurs enfants, une alliance pour toujours (…) Je leur donne pour toujours le pays de Canaan et je serai votre dieu » (Genèse 17,6-8). Contrairement à l’Alliance avec Moïse, l’Alliance avec Abraham est fondée sur une appartenance familiale ou ethnique. Elle est fondée sur la semence nous dit Jacob Rogozinsk alors que celle avec Moïse est inclusive. Pour rappeler ces deux alliances, la circoncision sera pratiquée au nom de l’Alliance avec Abraham, tandis que le port de téfiline (petites boites noires portées sur le front et les bras contenant des paroles de la Torah) rappellera l’Alliance avec Moïse
Après avoir parlé de Moïse et avoir cherché à le connaître, jacob Rogozinski nous parle du dieu d’Israël, de ce dieu qui a conclu plusieurs Alliances avec son peuple. Outre celles avec Moïse et Abraham, il a conclu celles avec Noé et David. Ce dieu qui agit, est un dieu vivant à tel point qu’il partage les souffrances de son peuple. Dieu qui est un objet de croyance et pas de connaissance comme nous l’a fait remarquer Kant, n’est ni omniscient, ni omnipotent, ni l’Eternel. Il n’est pas non plus le dieu des philosophes où dieu est l’Etre qui est l’Etre. Il n’est pas défini non plus par une théologie négative qui l’identifie à l’Un, au Bien ou à l’Autre. Le dieu des Israélites est un dieu-avec Il « existe » avec les hommes qui l’invoquent et « existera » tant qu’ils l’invoqueront (P. 288). Il n’est pas possible, il est interdit de le représenter ce qui serait le réduire à une dimension qui n’est pas la sienne. Le seul moyen de le connaître est d’invoquer son nom, celui par lequel il s’est présenté : YHVH « Tu diras aux fils d’Israël : YHVH(…) m’envoie vers vous. Ceci est mon nom pour toujours » (Exode 3, 3-15) De plus le dieu de Moïse n’est pas engendré et n’engendre pas. Il n’aura pas de fils comme dans la religion chrétienne.
Dans ce livre qui se lit comme un roman, Jacob Rogozinski nous explique et nous fait partager le parcours de Moïse qui est l’un des personnages les plus connus de la Bible. Il insiste sur son caractère rebelle qui en fait l’acteur principal de la libération de son peuple. Il est donc bien un insurgé. Sa vie et ce qu’il a vécu et fait, sont au fondement de la religion juive. Si les développements présentés ici peuvent être sujet à caution, il n’en demeure pas moins qu’une réflexion reposant sur des profondes connaissances historiques et théologiques éclairent un point de vue original que certains contesteront. Suivre un raisonnement clair dans les dédales de l’histoire et d’une religion que nous pensons connaître mais dont nous ignorons trop souvent le point de départ et les développements est une opportunité que Jacob Rogozinski offre à qui voudra bien le suivre.
Moïse l’insurgé
Jacob Rogozinski
éditions du Cerf. 24€
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