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Exposition Max Ernst à l’Hôtel de Caumont à Aix-en-Provence

par Pétra Wauters

L’exposition consacrée à Marx Ernst est installée depuis le 4 mai à l’Hôtel de Caumont à Aix-en-Provence. Elle y restera jusqu’au 8 octobre 2023, aussi, nous nous pressons de présenter « Max Ernst – Mondes magiques, mondes libérés », à tous ceux qui n’ont pas encore découvert l’exposition de ce génie créateur (1891-1976)  

Les commissaires d’exposition Martina Mazzotta et Jürgen Pech ont mis le focus sur les mondes imaginés par l’artiste et les thèmes dominants qu’il affectionnait. Près de 120 œuvres sont présentées dans un parcours bien imaginé, construit en cinq séquences.

Au-delà de la peinture, Eros et métamorphoses, Un philosophe qui joue, Mythologies et littérature, et les Quatre éléments, eau, air, terre, et feu 

Tout est réuni pour donner au public un éclairage inédit sur cet artiste singulier qui fut tout à la fois dessinateur, peintre, sculpteur, acteur, poète, scénariste… 

Max Ernst
Max Ernst en 1946
Source: © Getty-Bettmann

Max Ernst, né en Allemagne, n’est pas forcément le plus connu des artistes dadas ou encore surréalistes. Qui se souvient qu’il a créé à Cologne un satellite du mouvement Dada avec Hans Harp notamment ? Trop méconnu Max Ernst, malgré cette soif insatiable de création. Comme les plus grands qui ont marqué l’histoire de l’art, il laisse derrière lui une œuvre complexe, protéiforme et très personnelle.

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Pourquoi est-il resté un peu dans l’ombre par rapport à Picasso, Picabia, Éluard, Duchamp, André Breton, Salvador Dali, Miró… alors qu’il provoquait, bousculait, inventait ? D’autres artistes avant lui ont eux aussi souvent changé de techniques et de styles sans perdre notre regard. Il faut reconnaitre que la plupart des œuvres de Max Ernst sont mystérieuses et énigmatiques. Certaines résistent même à l’analyse des spécialistes. Impossibles à décrypter, ce qui n’était pas pour lui déplaire.  

Max Ernst
Max Ernst, La Forêt, 1927–1928, huile sur toile, 96,3 x 129,5 cm, Peggy Guggenheim Collection,
Venice (Solomon R. Guggenheim Foundation, New York),
Photo : Collezione Peggy Guggenheim, Venezia (Fondazione Salomon R. Guggenheim, New York)
© Adagp, Paris 2023

Assurément, le XXème siècle a été marqué par ce « chercheur d’Art » cette personnalité attachante qui ne recherchait pas la gloire. Une personnalité « libre » aussi, et pourtant ! Nous nous souvenons que l’artiste a été interné au Camp des Milles à Aix-en-Provence. La liberté a une saveur toute particulière lorsque la guerre éclate. Il séjournera aux Milles à deux reprises et sera libéré avec l’aide du journaliste américain Varian Fry et rejoindra la villa Air-Bel dans le quartier de la Pomme à Marseille.  La villa et son parc hébergeaient des artistes et des intellectuels en attente d’un départ pour les Etats-Unis.  Max Ernst parvient à émigrer en 1941. Il sera naturalisé américain puis français en 1958. Il meurt à Paris en 1976

C’est cette histoire que l’on nous raconte aussi. L’Hôtel de Caumont et la Fondation du Camp des Milles – Mémoire et Éducation proposent des projets communs autour de Max Ernst.  

Hans Bellmer - Camp des Milles
Hans Bellmer. Les Milles en Feu, 1970. Lithographie d’après un dessin réalisé en 1940 dans le camp d’Aix-Les-Milles. 49.53 cm/ 64.77 cm

On peut visiter le camp des Milles, aujourd’hui le seul grand camp français d’internement et de déportation (1939-1942) encore intact (www.campdesmilles.org). A la billetterie du centre Caumont notamment, on peut bénéficier d’un tarif réduit au Camp des Milles sur présentation d’un ticket payant du jour de l’exposition « Max Ernst, mondes magiques, mondes libérés ».

Au Camp des Milles furent internées entre 1939 et 1942, plus de 10 000 personnes dans des conditions de plus en plus dures. De tous ces réfugiés en France, la plupart fuyait le totalitarisme, le fanatisme et les persécutions en Europe.

L’histoire du Camp des Milles témoigne de l’engrenage des intolérances successives, xénophobe, idéologique et antisémite qui conduisit à la déportation de plus de 2 000 hommes, femmes et enfants juifs depuis le Camp des Milles vers le Camp d’extermination d’Auschwitz, via Drancy et Rivesaltes.

Ils faisaient partie des 10 000 Juifs de la zone dite « libre », qui, avant même l’occupation de cette zone, ont été livrés aux nazis par le gouvernement de Vichy, puis assassinés dans le cadre de la « Solution finale ».

Face au racisme, à la lâcheté et à l’indifférence, des résistants aux Milles comme ailleurs sauvèrent l’honneur de la France et de l’humanité.

Les victimes espéraient qu’on se souvienne afin d’éclairer notre vigilance.
Pour aujourd’hui et demain.

« Si l’écho de leurs voix faiblit, nous périrons. » Paul Eluard

Le Camp des Milles a abrité une importante communauté d’intellectuels et d’artistes européens, allemands en particulier, dont beaucoup étaient internationalement reconnus, tels que Max Ersnt et Hans Bellmer, des prix Nobel, des hommes politiques, des journalistes… De l’enfermement et des privations ont émergé une forte émulation créative et une volonté d’utiliser l’art pour résister à la déshumanisation programmée. Des centaines d’oeuvres ont été réalisées au Camp des Milles. Dans Die Katakombe, un four à tuiles, des moments culturels étaient organisés, à la bougie. Beaucoup de traces de cette création artistique foisonnante demeurent et sont à découvrir aujourd’hui sur les murs du camp.

Voir Site Mémorial du Camp des Milles

Créer pour résister !

Une des caractéristiques du camp des Milles réside dans l’ampleur et la diversité de la production artistique réalisée par de nombreux artistes internés. A côté de Max Ernst, on trouve encore Hans BellmerFerdinand Springer, Lion Feuchtwanger. Malgré le manque de moyens, ces artistes ont su résister par la création à la persécution et à la déshumanisation.

Aujourd’hui, le Site-mémorial du Camp des Milles est un Musée d’Histoire et des Sciences de l’Homme, tourné vers l’éducation citoyenne et la culture. Il propose un parcours permanent diversifié sur 15 000m² et met à disposition du public une réalisation pédagogique inédite sur un lieu de mémoire, aujourd’hui reconnue par l’Unesco.

L’exposition au Centre d’Art Caumont

Nous traversons plusieurs décennies de la carrière de Marx Ernst et lui, qui a beaucoup souffert, confiait à l’occasion d’une interview : « Je suis né avec le sentiment très fort d’avoir besoin de liberté », « Ce qui veut dire aussi un sentiment très fort de révolte. Révolte et révolution ne sont pas les mêmes choses. Si vous êtes né dans une période où les évènements vous incitent à vous révolter… il parait naturel que le travail que vous produisez soit révolutionnaire. » 

exposition Max Ernst Aix-en-Provence

On s’intéresse à son œuvre dans sa globalité, assez déroutante, provoquante, mais ce qui est surprenant, c’est que plus il avance dans le temps, plus il se rapproche de la lumière, des couleurs, des harmonies, tout ce qui rend la vie plus belle. On nous l’annonce du reste : « Plus il vieillit, plus il devient jeune et joyeux ». 

Les débuts de l’artiste sont tout aussi passionnants. On découvre à travers ses œuvres à quel point les techniques qu’il a inventées ont été reprises par des artistes contemporains :  frottage, collage, grattage, projection… Elles déconcertent moins sans doute qu’à son époque, car elles nous sont aujourd’hui familières.

Dès les premières salles, une évidence : il sera impossible de faire entrer l’artiste dans une seule catégorie. Impossible de l’étiqueter, et tant mieux ! Il avouait lors d’un reportage, une chose surprenante au regard de son audace. «  J’ai toujours eu une sensation de virginité devant une toile blanche. Quand j’étais confronté à une toile blanche, et que je devais peindre quelque chose, la première tâche me paraissait impossible à produire. Je devais trouver n’importe quel moyen pour surmonter tout cela ». Promenons-nous dans l’univers protéiforme de cet artiste humaniste. 

Au milieu des salles, dans une scénographie très ludique d’Hubert Le Gall, on découvre des sculptures et les objets décoratifs, des dessins et gravures. Parmi les chefs-d’œuvre de Max Ernst on trouve la Pietà ou la Révolution la Nuit (1923). Un tableau qui revisite la traditionnelle scène de Marie serrant le corps du Christ.  L’artiste se met en scène, tenu par son père avec qui il entretenait des relations troublées (Freud n’est jamais très loin!).

Max Ernst
Max Ernst, Pietà ou La révolution la nuit, 1923, huile sur toile, 116,2 x 88,9 cm,
Tate : purchased 1981,
Photo © Tate, Londres, Dist. RMN-Grand Palais / Tate Photography © Adagp, Paris, 2023

Le surréalisme, mouvement littéraire et artistique, promenait ses idées entre le rêve et la réalité, et tentait de décrire le fonctionnement de l’esprit humain. La connaissance des théories freudiennes et particulièrement la notion d’inconscient, a joué un impact important sur le surréalisme et Max Ernst l’a bien assimilé.  Il disait encore : « Vous ouvrez vos yeux, et vous regardez le monde extérieur. Vous pouvez le voir d’une autre manière en fermant vos yeux et en regardant le monde intérieur. Je crois que le mieux, c’est d’avoir un œil fermé et de regarder l’intérieur, et l’autre œil,  vous le fixez sur la réalité, sur ce qui se passe dans le monde. Si vous pouvez faire une sorte de synthèse de ces deux mondes importants,  vous arrivez à un résultat qui peut être considéré comme la synthèse de la vie subjective et objective ».

Oedipus Rex (1922), est également un tableau qui retient notre attention, une œuvre majeure qui reprend le thème du complexe d’Œdipe. Il symbolise la révolte de l’autorité paternelle.  

Max Ernst
Max Ernst, Oedipus Rex, 1922, huile sur toile, 93 cm x 102 cm, Collection particulière, Suisse,
Photo : droits réservés © Adagp, Paris 2023

Il y a encore le Monument aux oiseaux (1927). Le thème de l’oiseau est récurrent dans l’œuvre de Max Ernst : dans cette peinture, de drôles d’oiseaux s’agitent dans un ciel tout bleu, mais il faut l’avouer, on a bien du mal à comprendre ce qui se passe. Aussi, on cherche et on trouve, ici un bec, là des pattes, tiens, une aile, des têtes jaunâtres…

Max Ernst
Max Ernst, Monument aux oiseaux, 1927, huile sur toile, 162 x 130 cm, Musée Cantini,
Marseille, Photo: © Ville de Marseille, Dist. RMN-Grand Palais / Benjamin Soligny / Raphaël
Chipault © Adagp, Paris, 2023

Tout s’explique quand on connait l’histoire qui nous renvoie à la naissance de sa sœur et à la mort, le même jour de l’oiseau de Max Ernst enfant, un cacatoès. Tout nous parle de la vie et de la mort, mais plus encore. L’envol évoqué ici est comme une allégorie de l’Ascension du Christ, et la partie inférieure du tableau, symbolise une mise au tombeau. On ne l’aurait pas deviné, assurément, le guide et l’audio aident à comprendre et nous le recommandons vivement pour ne pas passer à côté de Ernst. Les cartels sont aussi très bien faits. 

Max Ernst
Max Ernst, Le Roi jouant avec la Reine, été 1944 / 2001, bronze,
103 x 53,8 x 88 cm, Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand
Palais / image Centre Pompidou, MNAM-CCI © Adagp, Paris, 2023

Nous nous amusons encore en regardant Le Roi jouant avec la Reine (été 1944/2001), car de toute évidence, Max Ernst accordait une importance capitale à l’aspect ludique de la création et comme d’autres artistes du mouvement surréaliste, il était passionné par le jeu d’échecs. Ici, on découvre des sculptures joyeuses. « Si la peinture me conduit dans un cul de sac, ce qui arrive fréquemment, je peux toujours recourir à la sculpture. Car la sculpture est un jeu, plus encore que la peinture. En sculpture, les deux mains se rencontrent, comme en amour ». 

Max Ernst- Gala- Paul Éluard
Max Ernst, Gala et Paul Eluard au ski en Autriche en 1922. Source: El País

L’artiste fut marié plusieurs fois et toutes ses femmes à la personnalité hors du commun, ont joué un rôle primordial dans son œuvre. Pour l’anecdote, il tomba amoureux de Gala, l’épouse de Paul Éluard alors que son ami l’hébergeait. Ils vécurent quelques années, dans un ménage-à-trois. Gala par la suite rencontrera Salvador Dali, en fut follement amoureuse et devint sa femme. 

Max Ernst
Max Ernst, Sedona I, 1951, bronze et patine, 81,7 x 324,5 x 7 cm, Max Ernst Museum Brühl des LVR, Kreissparkasse Köln, © Max Ernst Museum Brühl des LVR © Adagp, Paris 2023

Sedona I (1951), On aime tout particulièrement cette œuvre qui prouve, si besoin était, combien Max Ernst puise son inspiration dans la littérature, dans les récits antiques, dans les légendes, un florilège de références qui témoigne d’une curiosité insatiable. Il adapte et crée sans limite, et dans ces sculptures surréalistes on peut y voir un clin d’œil à Giacometti, avec lequel l’artiste a travaillé. 

Max Ernst
Max Ernst, Le jardin de la France, 1962, huile sur toile, 114 x 168 cm
Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Jean-Claude Planchet
© Adagp, Paris 2023

Le Jardin de la France (1962), étrange tableau s’il en est, est un hommage aux femmes qui nécessite quelques éclairages, et les audios ou les cartels sont vraiment nécessaires. On est encore troublé par «Aux antipodes du paysage » (1936), peinture puissante qui nous met un peu mal à l’aise même si de toute évidence elle est importante dans l’œuvre de Max Ernst, qui pousse et repousse plus que jamais les limites de son art. Il nous déroute et nous trouble tant le mystère et le suspense sont présents. Il se trame quelque chose !  

Mais celui qui à nos yeux est sans doute le tableau le plus rare et aussi le moins exposé, est Épiphanie (1940), qui fait référence à la pièce de Shakespeare «Le Songe d’une nuit d’été »

Max Ernst
Max Ernst, Épiphanie, 1940, huile sur toile, 54 x 65 cm,
Collection Esther Grether Family, Photo : Robert Bayer, Bildpunkt, CH-4142 Münchenstein © Adagp, Paris 2023

On revient aussi à ce que nous évoquions au début de l’article et aux internements de Max Ernst vu comme un artiste étranger ennemi. Un « dégénéré » (entartung comme on dit en allemand). A l’occasion de sa première libération du Camp des Milles, l’artiste réalisera sa toile « Épiphanie ».  Le titre étrange ferait référence à la date d’achèvement du tableau, le 6 janvier 1940. Il s’agit d’une toile de très petit format 30 x 50 mais grande par le propos. Le contexte est sombre. Lorsqu’on s’approche du tableau, on est happé par une multitude de détails. On y découvre des créatures monstrueuses. De loin, cela ressemble à un paysage nocturne, fait de rochers et terres. Mais de près l’œuvre est angoissante et le sentiment d’emprisonnement évident. Un enchevêtrement d’arbres ne nous donne pas envie de nous promener. C’est pourtant captivant et fort, et du coup on y va, en regardant tout partout comme un enfant le ferait pour s’amuser à se faire peur ! 

Exposition: Max Ernst-Mondes magiques-Mondes libérés
Hôtel de Caumont. Centre d’art. Aix-en-Provence
jusqu’au 8 octobre 2023

Pour en savoir plus  sur l’exposition, cliquer

Illustration de l’entête: Max Ernst, Un tissu de mensonges, 1959, huile sur toile, 200 x 300 cm, 203 x 303 cm avec cadre.Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Jean-Claude Planchet, © Adagp, Paris 2023

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