Des jeunes, le titre de ce recueil de nouvelles écrites par Federigo Tozzi (Sienne 1883 – Rome 1920) laisse à penser que la jeunesse est au centre des vingt-quatre chapitres qui le composent. Ecrits comme des romans avec un début, un développement et une fin qui clôt définitivement et souvent sèchement toutes ces histoires, on pourrait croire que ces histoires sont vraies tellement elles collent à une réalité qui aurait été vécue par l’auteur. Des jeunes, en fait, il n’en est pas toujours question : les personnages sont tous, hommes et femmes, sortis de l’adolescence pour rentrer dans l’âge mûr celui de la trentaine voire plus. Ceux de la nouvelle qui ouvre le recueil, Les locataires sont deux petites vieilles qui se nourrissent d’une inimitié qui frise la haine tout en respectant les règles d’un bon voisinage.
Publié en 1920 à Milan, ce recueil raconte la vie à Sienne, dans la campagne toscane et aussi à Rome. Nous sommes dans l’entre-deux guerres. La Première Guerre mondiale vient de se terminer, l’Italie n’a pas reçu ce qu’elle pensait lui être dû à la suite de son engagement aux côtés des alliés. La rancœur est bien présente et le fascisme arrivera quelques années plus tard. Ni le progrès, ni la société industrielle qui lui font suite ne sont encore arrivés dans cette région de l’Italie. Les mentalités et la société sont celles du siècle précédent, rien ou si peu ne bouge et tout semble figé pour la nuit des temps.
Vingt-quatre nouvelles qui nous décrivent dans un style rigoureux mais jamais froid, des familles, des personnages qui vivent selon des normes qui leur sont imposées par des convenances, des habitudes ou des haines ancestrales. Federigo Tozzi commence par décrire le milieu dans lequel l’histoire qu’il nous raconte va se passer. Tout est minutieusement décrit, on voit, on imagine la campagne, la ville, le quartier, la maison, le voisinage, la famille dans lesquels des relations, des histoires d’amour ou non se sont déjà construites, vont ou devraient se construire. Et ces relations, ces histoires petites ou grandes sont au cœur de la vie de tous ces personnages et donc du recueil. Par petites touches, sans grandes envolées, Federigo Tozzi fait vivre ses personnages. Ils prennent progressivement consistance et apparaissent petit à petit sous nos yeux. Dotés immédiatement d’un prénom et d’un nom, ils deviennent familiers et proches. On les suit dans tous leurs efforts, leurs espoirs ou leurs échecs. Ils cherchent à changer ou au moins à rendre supportable une misère qui se situe d’abord dans les attitudes, dans les gestes qu’ils ont vis-à-vis de leurs proches, familles, voisins ou plus rarement amis. La solitude, la difficulté à construire une vraie relation stable, l’incommunicabilité entre les personnages font écho à une misère matérielle subie sans aucune plainte ni révolte. Il n’y a qu’une seule nouvelle Les Butteri de Maccarese (des gardiens de troupeaux à cheval aussi célèbres en Italie que les gardians de la Camargue nous dit Philippe Di Meo, le traducteur) qui mette en scène une révolte des moissonneurs contre les chefs que les propriétaires terriens ont engagés. Le reste du temps, la pauvreté remplit complètement l’espace de vie. Il n’y a aucune échappatoire, aucun endroit proche ou non qui laisse supposer qu’une autre condition puisse exister ou ne soit possible. Dans un cadre difficile, la vie quotidienne reste toujours dure et ne change jamais.
Le monde dans lequel Federigo Tozzi situe ses nouvelles est un monde aujourd’hui disparu. Et il nous le présente : « Il n’y a ni soleil ni lune ; c’est un monde qui demeure dans la partie la plus solitaire de l’infini ; où les étoiles ne se hasardent jamais ; où seules quelques comètes vont s’éteindre ; presque comme un châtiment ». La solitude est un des traits fondamentaux de la vie des personnages et il n’y a guère de moyens d’en sortir. Même lorsqu’une bonne nouvelle ou une fin heureuse peuvent se profiler, ce qu’on peut nommer le destin ou la malchance s’en mêle et tout s’écroule
L’amour, qui est avec la mort ce que la vie a de plus fort, ne console pas toujours. Un couple veut se séparer, leurs sentiments sont ambigus, pas encore bien nets, ils ne se sont pas encore complètement décidés à se séparer. Une femme qui allaite devrait leur donner l’idée d’un avenir heureux possible, mais en face d’elle, ils ne font que sentir que leur propre horreur nous dit Federigo Tozzi. Aucun espoir possible donc.
Il n’en reste pas moins que ces vingt-quatre histoires sont attachantes. Tous ces personnages qui font face à la méchanceté et à la bêtise vivent dans des endroits qui ne devraient plus exister mais ils ont des attitudes qui restent éternelles. Leurs vies, telles qu’elles sont racontées, ne laissent pas indifférent. « La réalité des choses dépend aussi de nos sentiments » nous dit Federigo Tozzi à la fin d’une des deux nouvelles inédites publiées à la fin du recueil. Un peu moins pessimistes que les précédentes, ces deux nouvelles sont comme les autres marquées par les sombres pensées des personnages. Dans une situation proche de la misère, la noirceur des sentiments ne laisse aucune place à un bonheur possible. Ni même à une remise en cause ou à une volonté de changer la vie puisqu’il n’y a pas de responsable et encore moins de coupable de ces situations. Ce qui explique aussi l’absence de révolte.
Federigo Tozzi nous plonge dans un univers qu’il décrit avec minutie sans pathos et sans chercher à embellir ce qui ne peut pas l’être. Les étoiles, si elles sont présentes et elles sont présentes, ne symbolisent pas un possible, elles ne consolent ni ne font rêver. Elles sont simplement là, ni belles ni moches, elles sont là sans signification aucune. Le regard de l’auteur est proche de ses personnages, comme s’il était à côté d’eux et sans les regarder de haut. C’est un regard de proximité qui comprend parfaitement ce que ressentent celles et ceux qu’il met en scène. Le désespoir ne fait pas partie des sentiments des personnages, la vie est comme elle est et il faut s’en accommoder. Ce qui sera fait y compris par un personnage qui, au dernier moment, renonce à se suicider.
Ecrites dans un style clair et précis, ces vingt-quatre nouvelles ne tombent pas dans le voyeurisme. C’est juste l’exact rendu d’une réalité matérielle, personnelle et relationnelle d’une partie d’une société immobile mais qui bougera dans les années suivantes.
L’œuvre de Federigo Tozzi, longtemps négligée en Italie est aujourd’hui considérée comme l’égale de celle d’Italo Svevo ou de Luigi Pirandello. Il faut remercier les éditions La Baconnière d’avoir sollicité Philippe Di Meo pour cette nouvelle traduction après celles de « Le domaine », « Les choses, les gens » et « Les yeux fermés », tandis que « Les bêtes » et « Barques renversées » ont été publiés respectivement par les éditions José Corti et La Barque toujours dans des traductions de Philippe Di Meo.
Des jeunes
Federigo Tozzi
Traduction Philippe Di Meo
Éditions La Baconnière. 20€
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