Ah la gloire, la postérité, quel bonheur pour un grand de ce monde de voir ses traits sculptés dans le marbre ou fondus dans le bronze ( enfin quand je dis «fondus» … !). Une statue de Poutine !
S’il est un pays qui excelle dans le domaine de l’art dans cette pratique aujourd’hui c’est bien l’URSS. Oh pardon, la Russie ! Et Vladimir Vladimirovitch Poutine, né le 7 octobre 1952 à Léningrad comme chacun sait, fait actualité. Ce cher Vladimir s’il ne se contentait que de poser (nous ne voulons quand même pas la mort du pécheur), nous saurions lui pardonner cette frasque d’autosuffisance et de narcissisme. Ainsi s’inscrirait il dans cette longue lignée de grands personnages et d’hommes politiques dont la mémoire nous est connue, et puis franchement un homme politique qui encouragerait les artistes en leur confiant du travail, c’est plutôt pas mal non ? «Attendez-vous à savoir» comme eût dit une célèbre journaliste1, que Donald Trump de l’autre côté de l’Atlantique ne prenne la même décision !
C’est marrant (permettez-moi cette digression) de constater chez tous les dictateurs, tyrans et autres autocrates de par le monde, ce goût immodéré pour la reproduction statufiée, une espèce de lebensborn en quelque sorte. Peut-être même une peur de la mort pour eux-mêmes et une façon de l’exorciser ! Rappelons nous Poutine au Kremlin au temps du Covid, tout au bout d’une longue, mais très longue table de marbre blanc face à Emmanuel Macron, virus «prenez garde» semble-t-il dire ! Et que dire de ces statues de toutes les tailles et matériaux, en Chine pour Mao, et en Corée du Nord pour les membres de la dynastie Kim 백두혈통
Zurab Tsereteli, vous connaissez, un sculpteur géorgien ? Dieu ait son âme, il est mort la semaine dernière à Moscou à l’âge de 91 ans. Il était président de l’Académie russe des arts

Photo: RIA Novosti, Artem Kreminski
D’abord connu comme un céramiste, sa notoriété commence à se développer dans les années 70 quand il travaille à la décoration de centres de tourisme autour de la Mer Noire. Il rompt avec ce réalisme socialiste soviétique comme tel on le nomme, qui représentait et célébrait avec force gros bras, allures rogues, et mâchoires carnassières, ces héros des kolkhozes ou de l’Armée rouge ( sans parler de tous ces potentats mais l’allusion en a déjà été faite)
Zurab Tsereteli voyage, ainsi il rencontre Picasso à Paris en 1964, et même le général de Gaulle dont ultérieurement il fera une sculpture (une statue (cliquer) de 8m de haut sur un piédestal de 10m, positionnée à l’avant d’un hôtel moscovite, quand on aime on ne compte pas la taille tout en mesurant ses effets, serait-ce ainsi la règle?). En 1980, il est nommé décorateur en chef pour les Jeux Olympiques de Moscou. Il a participé à la reconstruction à Moscou de l’église du Christ-Sauveur, siège du patriarcat russe où règne son excellent ami le patriarche Kirill, un proche de Poutine, et au demeurant ancien membre du KGB
Sa réputation ne dépassera cependant guère les frontières de l’empire russe. Un groupe statuaire monumental représentant Christophe Colomb, commandé par l’URSS en 1991 pour célébrer le 500ème anniversaire de la découverte de l’Amérique, prévu, offert et installé à New York, et qui finalement, malgré le soutien d’une certain Donald Trump, finira comme exilé en rélégation à Porto Rico.

© photo Yannick Boschat. Diocèse de Paris
A Paris une statue de Tseretely représentant le pape Jean-Paul II a été inaugurée en 2014 dans le square bordant la Cathédrale Notre-Dame. A Londres l’on peut voir au 108 Cannon Street, une statue intitulée ‘Break the Wall of Distrust‘,(Rompre le mur de la méfiance). Cliquer

©photo Alexei Belkin/ TASS
Plus intéressante cependant est la statue à la gloire de Pierre le Grand que l’on peut voir à Moscou. Rappelons quand même que le grand Pierre détestait Moscou, l’une des raisons pour lesquelles il fit construire la Capitale du Nord à laquelle il a donné son nom, soit Saint Pétersbourg. Une statue d’ailleurs qui a deux dédominations, on l’appelle aussi Monument à la commémoration du 300eanniversaire de la flotte russe. Il est vrai que depuis la défaite maritime des détroits de Tsushima, un combat naval qui opposa la flotte russe à la flotte japonaise entre le 27 et 29 mai 1905 et où 45 navires russes furent envoyés vers le fond, la gloire de la flotte russe, bref passons !

Photo Imagno/Getty images
On y voit Pierre le Grand une carte à la main. A l’origine la statue avait été conçue pour célébrer Christophe Colomb à la rencontre du Nouveau Monde, mais fut retoquée par les pays censés glorifier l’événement et accueillir l’oeuvre, les Etats-Unis en tête. Pas grave, à la tête de Christophe Colomb on lui substitua la figure de Pierre le Grand et ainsi fut fait. Une statue aux dimensions colossales, 98 m de haut, à titre de comparaison la statue de la Liberté à New York avec son socle fait 93m. Quelque chose de kitsch, d’hétéroclite, un côté Peter Pan, une dimension et une accumulation adulescentes, un petit air de brocante, un côté bande dessinée, quelques erreurs de pavillonnage semblerait-il aussi.
Une réalisation sur le point purement technique intéressante. La carcasse porteuse du monument est une construction métallique en acier inoxydable sur laquelle ont été fixées les pièces en bronze de l’habillage. Le tiers inférieur de toute la construction a été monté séparément, puis fixé sur une fondation en béton armé. De même, la figure de Pierre, la construction et l’habillage du navire, ont-ils été montés séparément, et ensuite fixés sur le piédestal. On a installé des fontaines à la base de la placette/île artificielle, pour donner l’impression d’un bateau brisant les flots.
Et puis, et puis (je suis sûr que vous l’attendiez), enfin, la statue de Vladimir Poutine, oeuvre immortelle de Zurab Tsereteli, la vedette, si j’ose dire, «américaine » ( çà fera plaisir à Trump !)

Ah, que voici une belle oeuvre, une ode au bon goût et au raffinement ! Tous ceux qui y verraient une servilité courtisane envers le maître du Kremlin( j’entends déjà des critiques fuser) ne seraient que de médiocres histrions et des jaloux ! Car franchement, ce judoka sanglé dans un kimono qui laisse deviner et poindre un torse d’athlète, un buste comme on n’en sait point en faire même dans les salles de sport (sauf peut être en carton-pâte pour des personnages de carnavals ou comme héros de blockbusters hollywoodiens ou des mangas japonaises), et ce n’est pas toujours que l’on en trouve de pareil à la tête d’un état. Quelle tête, quelle posture, Cher Vladimir !
Ça sent la testosterone et le musc, la virilité et la force, et puis allons-y de notre psychanalyse, les mains posées comme un cadrage à hauteur des hanches, tel un baldaquin virtuel pour une masculinité claironnée, fanfaronnée, centralité pour ne pas dire point focal et noeud gordien du personnage, c’est fort non? En un mot, il en a… !
Quant à la photo de la statue de Vladimir (Влади́мир Влади́мирович Пу́тин) (c’est fou comme nous devenons familiers!) que nous présentons, elle n’est que projet pour une statue qui devrait faire 30m de haut et qui devait être installée à Arkhangelsk à près de 600km de Mourmansk. Les Saintpetersbourgeois pour qui elle était destinée n’en ont point voulu, ah les ingrats!
Oui, que ne dira-t-on la servilité des hommes, de certains d’entre eux en tout cas, qui gravitent autour des puissants ! L’argent fait et défait des réputations, le pouvoir politique agit comme une hypnose. Zurab Tsereteli était grand ami de Poutine, il lui doit d’ailleurs son titre de président de l’Académie des Arts. Homme très riche il avait acheté l’ancienne ambassade d’Allemagne dont il avait fait son atelier. N’est pas apparatchik qui veut !
Mais peut-être, qui sait, pour Tsereteli, serait-ce là l’expression subliminale d’une critique inavouée, d’une analyse velléitaire et politique, dissimulée et souterraine. Plaire à son maître et se vautrer dans une complicité courtisane pour mieux faire ressortir subrepticement les vices et les vertus mais sans le dire, tout en flattant, et pour d’autres publics bien différents, et pour quelques mallettes de roubles aussi… On s’y perd ! Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur2, dont acte!
N’est pas Goya qui veut. Oui, mais là on a affaire à un sculpteur !
1/ il s’agit de Geneviève Tabouis
2/ citation de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais (1732-1799). Le mariage de Figaro.
WUKALI est un magazine d’art et de culture librement accessible sur internet
Vous pouvez vous y connecter quand vous le voulez…
Pour relayer sur les réseaux sociaux, voir leurs icônes en haut ou en contrebas de cette page
Contact ➽ redaction@wukali.com