À l’occasion du centenaire de la naissance d’Antoni Tàpies (1923-2012), et dans le cadre de la présidence espagnole du Conseil de l’UE, Bozar présente la plus grande rétrospective consacrée à Tàpies depuis près de 20 ans.
L’exposition, organisée par le Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, Madrid, en collaboration avec Bozar et la Fundació Antoni Tàpies, propose un panorama complet de l’œuvre de Tàpies avec plus de 120 peintures, dessins et sculptures.
Après ses autoportraits et ses œuvres influencées par le surréalisme et le dadaïsme, l’exposition montre les premières peintures « matiéristes » de Tàpies, réalisées dans les années 1950 et qui intègrent matériaux bruts, taches et signes. Mais au-delà de l’expérimentation autour de la forme et de la matière, tout au long de la carrière de l’artiste, le·la visiteur·euse pénètre également les dimensions mystiques, philosophiques et politiques de l’univers Tàpies.
Manuel Borja-Villel est le commissaire de cette première rétrospective Tàpies organisée en Belgique depuis près de 40 ans. Cette exposition qui ouvre l’Année Tàpies (« Any Tàpies ») est présentée en première européenne à Bozar et voyagera ensuite à Madrid, au Musée Reina Sofía et à Barcelone, à la Fundació Antoni Tàpies.
L’exposition démarre avec les premiers dessins et les autoportraits de Tàpies et se poursuit avec les « peintures-matières » des années 1950 et les objets et assemblages des années 1960 et 1970. Suivent alors les vernis des années 1980, qu’il avait commencés quelques années plus tôt alors que la démocratie faisait ses premiers pas en Espagne. L’exposition présente également les œuvres des années 1990, au cours desquelles Tàpies a poursuivi l’expérimentation formelle et matérielle qui a toujours été au cœur de sa pratique.
Souvent associée au « matiérisme » ou à l’« art informel », la pratique artistique de Tàpies passe par le geste et par l’utilisation sur la toile de matériaux modestes et peu conventionnels. Il utilise du sable, de la ficelle, de la poussière, des cheveux ou de la paille, suggérant ainsi que la beauté peut se trouver dans ce qui est petit, inattendu et quotidien.
« Il y a parfois dans mon œuvre un hommage aux objets insignifiants : papier, carton, détritus… », disait Tàpies. La main de l’artiste est intervenue, selon le critique Jacques Dupin, pour « les recueillir et les sauver de l’abandon, de la fatigue, de la déchirure, de la marque du pas de l’homme et de celle du temps. »
Tàpies parvient à développer une infinité de textures et de reliefs sur ses supports picturaux, qu’il appelait aussi « murs » (en référence notamment à son nom de famille. Tàpies signifiant « murs » en catalan). Il y intègre aussi de nouveaux matériaux tels que latex, émulsions, goudrons appliqués en larges couches, créant ainsi une épaisseur qu’il griffe, lacère, creuse. Le tableau devient un « champ de bataille » où le corps à corps avec la matière est palpable et rend l’œuvre tridimensionnelle. Dans ces pâtes épaisses, Tàpies inscrit et incise des signes graphiques et symboliques : triangles, cercles, croix qui renvoient à des références archéologiques, mystiques ou historiques.
Pour l’artiste, ces murs sont comme des « talismans », d’une grande puissance évocatrice : « Tout se passe dans un champ bien plus vaste que le champ délimité par le format ou le contenu matériel du tableau. Celui-ci n’est, en effet, qu’un support qui induit le regardeur au jeu infiniment plus ample des mille et une visions, des mille et un sentiments […] Le « sujet » peut donc se trouver dans le tableau ou bien n’être que dans la tête du spectateur. »
Son travail n’est donc pas uniquement une recherche sur la matière mais explore également la perception de la réalité et de la nature humaine. En même temps, l’art de Tàpies est intimement lié à l’histoire et à la politique de son pays touché par la guerre civile en Espagne, la Seconde Guerre mondiale et l’étau du franquisme.
Tàpies en quelques citations
« Si je peins comme je peins, c’est d’abord parce que je suis catalan. Mais, comme tant d’autres, je suis atteint par le drame politique de l’Espagne toute entière », écrit Tàpies. « Je veux inscrire dans ma peinture toutes les difficultés de mon pays, même si je dois déplaire : la souffrance, les expériences douloureuses, la prison, un geste de révolte. L’art doit vivre la vérité. »
« Je vous invite à jouer, à regarder attentivement… je vous invite à penser. »
« Il y a mille choses qui méritent d’être rangées dans la catégorie de l’art, […] beaucoup de choses qui, pour minuscules qu’elles puissent d’abord paraître, deviennent, offertes au regard dans leur vrai jour, infiniment plus grandes et plus dignes de respect que toutes celles qu’il est convenu de juger importantes. »
« Quand les formes ne sont pas capables d’agresser la société qui les reçoit, de la déranger, de l’inciter à la réflexion, de lui dévoiler son propre retard, quand elles ne sont pas en rupture, il n’y a pas d’art authentique. »
« Parfois je travaille comme un musicien. Je fais des variations, une série d’œuvres qui ne se distinguent que par le déplacement d’une forme. »
Le centenaire de Tàpies invite à faire le point sur une œuvre qui résiste au décryptage. Le halo intellectuel qui l’entoure est imprégné de discours sur l’histoire des sciences, la mystique des religions orientales et la philosophie politique.
Artiste autodidacte de l’après-guerre, Tàpies a réfléchi à la condition humaine, à son propre contexte historique et à la pratique artistique, en particulier aux limites et aux contradictions de la peinture. Son œuvre très prolifique est dispersée dans le monde entier.
L’exposition est accompagnée d’une publication éditée par Bozar Books. Le livre comprend des textes d’Antoni Tàpies et de Manuel Borja-Villel, commissaire de l’exposition.
Exposition: Antoni Tàpies. La pratique de l’art
du 15 septembre 2023 au 7 janvier 2024
Bozar. Bruxelles
La pratique de l’art |
15.09.2023 → 07.01.2024 |
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Illustration de l’entête: Antoni Tàpies. Autoportrait, 1950
Huile sur toile. © Museo Regional Moderno (MURAM), Cartagena (Murcia)