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Festival d’opéra de Bayreuth Baroque, histoire et édition 2023

par Jean-Pierre Vidit

Le Festival d’opéra baroque de Bayreuth consacré, comme son nom l’indique, à cette époque et à ce genre musical de déroule depuis 2000 dans cette ville de Bavière non loin de Nuremberg. Il a eu lieu cette année du 7 au 17 septembre.

Cette ville, on le sait, est déjà un haut lieu du lyrique puisque s’y trouve construit sur « la colline sacrée » le Festspielhaus. Il s’agit d’un théâtre conçu par Richard Wagner – inspiré, en grande partie, du modèle du théâtre antique – afin de pouvoir donner aux œuvres du maître qui y sont représentées la dimension « d’œuvre d’art totale », conception issue du romantisme allemand au XIXème siècle. Chaque été, de fin juin à fin Août depuis 1876, on propose la programmation, arrêtée inflexiblement[1] par Richard Wagner, des œuvres du maître à l’exception de ce qu’il considérait indigne d’y figurer : ses œuvres de jeunesse comme Rienzi, Les Fées ou Das Liebesverbot exhumé il y a quelques années[2].   

Le Festival baroque de Bayreuth a toutefois été interrompu en raison des travaux de restauration de l’Opéra des Margraves entre 2013 et 2018. Il s’agissait de lui redonner le lustre d’un 18ème incroyablement préservé à l’exception des couleurs qui s’étaient assombries en raison des traitements du bois dont est faite la décoration et de couches de peinture qui s’y sont accumulées au fil des décades.

Construit entre 1746 et 1750 sur l’ordre de Wilhelmine de Bayreuth, fille du roi de Prusse et sœur du roi Frédéric-le-Grand, qui possédait, comme son frère, un réel talent musical et artistique. Les travaux de restauration[3]ont été entrepris pour redonner à ce joyau d’un art baroque flamboyant tout le faste qui sied à ce type de décor mais surtout également pour remettre au goût du jour – et aux normes techniques – les dispositifs typiques de la mise en scène du répertoire baroque. Par exemple : restituer l’avant-scène typique du théâtre baroque que les installations du 19ème et du 20ème siècles avaient réduites d’un tiers. 

Olécio partenaire de Wukali
Vue de la salle de l’Opéra des Margraves de Bayreuth rénovée. Photo:  Nicolas Armer/dpa

Il est d’ailleurs émouvant et impressionnant lorsque l’on visite le théâtre hors des représentations ou répétitions d’admirer – alors que la scène a retrouvé ses 25 m de largeur sur 27 de profondeur- les décors de l’opéra d’ouverture en 1748 : Ézio de G.F Haendel. Ils donnent grâce aux croquis dessinés autrefois par Carlo Galli Bibiena, reproduits à l’identique, l’impression d’un immense palais. Plusieurs écrans peints et placés en perspectives y contribuent permettant alors aux hologrammes de danseurs le soin d’animer cette profondeur[4]. Et pour les visiteurs de s’assoir un moment dans cet écrin pour se laisser aller, dans son fauteuil, à un « flash-back » vers le 18ème siècle.

Le Festival Baroque revoit le jour en 2020 sous la direction d’un artiste lyrique bien connu des passionnés d’opéras et de musiques baroques : Max-Emmanuel Cencic dont la discographie – sa carrière de soliste débute en 1992 comme sopraniste[5]  puis à partir de 2001 comme contreténor– est conséquente et riche de nombreuses collaborations musicales avec les plus grands chefs de ce répertoire.

En 2020, Carlo il Calvo  de Nicola Porpora rouvre le festival et permet à M.E.Cencic d’ajouter une corde à son arc : la mise en scène ainsi que la direction artistique de cette nouvelle version du Festival. En 2021, du même compositeur, c’est Polifemo puis en 2022, un ouvrage inconnu et tombé dans l’oubli Alessandro nelle’Indie de Léonardo Vinci créé en 1730 à Rome.

Outre des opéras, le Festival Baroque de Bayreuth reçoit bien évidemment, en récital, le « gratin » des chanteurs de ce type de répertoire. Cette année 2023 deux opéras : L’Orféo de Claudio Monteverdi et Flavio, re de’Longobardi de G.F Haendel. Des récitals seront donnés dans différentes églises baroques de la ville : Bruno de Sà, Véronique Gens, Reginald Mobley, Valer Sabadus, Dennis Orellana, Daniel Behl…  y seront présents. Un public nombreux et enthousiaste se presse à ces concerts éclairés à la bougie dans la plus pure tradition baroque[6].

Orféo de Claudio Monterverdi[7] 

Le mythe d’Orphée est probablement le plus ancien, le plus connu et le plus exploité par de nombreux écrivains de théâtre ou des compositeurs qui, depuis l’antiquité, tissent et retissent le drame d’Orphée et Eurydice en lui apportant, bien sûr, leur touche personnelle et leurs convictions. 

Rappelons brièvement que pour échapper aux avances d’Aristée le jour de ses noces, la nymphe des chênes – Eurydice – est  mordue par un serpent. Elle meurt au grand dam d’Orphée qui n’a pu respecter strictement les consignes données par Pluton : tolérer la frustration de ne pas regarder Eurydice pour pouvoir la faire sortir du royaume des morts. Une interprétation, certes hâtive, nous incline à « voir » dans le regard une métaphore sexuelle pénétrante qui, peut-être, explique la réaction finale des Bacchantes du livret de Striggio. Ravagé par le désespoir, il entame ses lamentations mais grâce à son père, Apollon, il devient immortel et peut ainsi croiser Eurydice dans les étoiles comme le suggère la partition de Monteverdi. 

Pour mémoire, pour ne s’en tenir qu’à l’art lyrique, les différentes et innombrables versions de la « favola in musica » couvrent, après Monteverdi, toutes les époques et toute la large palette de l’art lyrique depuis sa création à la cour de Mantoue le 6 Octobre 1600. Des noms aussi différents que Monteverdi, Glück et même Offenbach dans le style qui lui est propre et au temps qui est le sien, Krenek en 1926 sur un livret du peintre Oskar Kokoschka et plus récemment l’opéra de Chambre de Philip Glass ont contribué, chacun à leur manière, à l’extraordinaire renommée du mythe. A titre d’information, ce n’est qu’en 1904 que l’œuvre ancienne fût exhumée par Vincent d’Indy à la Schola Cantorum de Paris.

Cette plasticité du mythe permet, à priori, à tout créateur ou tout metteur en scène de s’emparer du thème ou de l’œuvre pour l’infléchir vers la problématique qui est la sienne.

La version que propose le Festival Baroque est issue d’une production en lien avec le Megaron. Il s’agit une salle de concert située à Athènes qui accueille des opéras, des concerts et des conférences. Cette production est le fruit d’une collaboration entre un chef d’orchestre – Markellos Chryssicos – et un metteur en scène: Thanos Papakonstantinou

Peintre d’Orphée (Vè siècle av J-C). Cratère à colonnes
Berlin, Collection d’antiquités (Antikensammlung SMB)

La particularité du chef est d’être, à l’origine,  un claveciniste ayant acquis une formation solide des premiers madrigaux jusqu’aux opéras de Rossini. Toutefois, sa marque de fabrique est de mélanger des genres musicaux insolites qui sont plus des « accouplements[8] » dont naît forcément une forme hybride. On l’expérimente en « live » puisque, par exemple, la partie où Orphée se trouve dans les enfers est amplifiée électroniquement par une chambre acoustique qui remplace l’écho produit traditionnellement par des chanteurs depuis les coulisses du théâtre.  

Le metteur en scène : Thanos Papakonstantinou joue sur la discordance entre le livret écrit pour Monteverdi par Alessandro Striggio, poète italien, publié en 1607 et la partition de l’œuvre qui a été réalisé par Monteverdi pour son exécution en 1609. La différence est de taille puisque dans le premier – le livret – Orphée est tué par les Bacchantes[9] alors que la partition ménage un sorte de « happy-end» pour le second grâce à l’intervention des dieux. 

Citons les propos de Max-Emmanuel Cencic, le directeur du Festival qui répond aux questions de Charles Arden pour Olyrix[10] «  Le metteur en scène s’est rapproché de l’histoire grecque mythique d’Orphée, une version plus sanguinaire dans laquelle les Bacchantes (suivantes de Bacchus) tuent Orphée et le dévorent. Seule sa tête, dans un casque, est jetée à la mer et cette tête continue à chanter jusqu’à échouer sur la plage de Lesbos. Apollon descend alors du ciel et commande à la tête de s’arrêter de chanter, pour l’emmener au ciel. La version de Monteverdi garde cette montée au ciel mais en enlevant la scène des Bacchantes. L’équipe de cette production a recréé cette scène manquante dans la version de Monteverdi, en faisant conclure l’opéra sur la mort d’Orphée décapité. Certains signes et indices pourraient d’ailleurs même nous mener à imaginer que cette scène a effectivement été composée (un texte existe) mais il est impossible d’en être sûr car la partition de Monteverdi est perdue (il n’en reste que des éditions, ultérieures) ».

Ce choix justifie donc des modifications de textes – certains ont été ajoutés – ainsi que l’introduction de musiques additionnelles ou d’effets électroniques dont la sonorisation des voix comme lorsque Caron accueille Orphée à l’entrée des enfers. 

De fait, la courte Toccata jouée normalement trois fois qui, dans la partition, ouvre le spectacle et précède le prologue disparaît et fait place à un long passage silencieux où un personnage – peut-être Musica ? – avance sur l’avant-scène devant le rideau fermé jusqu’à être face au trou du souffleur. Portant une boite assez grande, elle déambule très lentement en fixant ostensiblement du regard tour à tour les musiciens puis le public de manière interrogative. Est-ce pour figurer le silence prémonitoire du monde des morts ? Ou souligne-t-elle d’entrée l’importance du regard qui sera la cause du malheur d’Orphée et Eurydice ?

C’est à Mantoue que fut créé l’Orféo de C. Monteverdi.
La Cour du marquis Louis III de Mantoue, fresque de La Chambre des Époux, 1474, détail (palais ducal de Mantoue)

Ce jeu théâtral n’est d’ailleurs pas sans rappeler un travail fort ancien. Celui de l’américain Bob Wilson qui, inconnu, ouvrit de façon presqu’analogue son surprenant « Regard du sourd[11] ». Deux acteurs : l’un en frac et l’autre en robe du soir avançaient, en silence, de part et d’autre de la scène à pas vraiment très ralentis. Leurs avant-bras et leurs mains étaient couverts d’une poudre blanche jusqu’aux coudes. Après un long temps, ils se retrouvent face à face au milieu de la scène, se retournent vers le public, frappe dans leurs mains faisant ainsi tomber la farine au sol. Le rideau s’ouvrait alors sur un spectacle qui dura 7 heures et marqua durablement la mémoire des spectateurs[12]

Après ce long passage silencieux, Musica (?) dépose sa boite sur la scène et l’ouvre. Une suave ritournelle de boite à musique s’en dégage qui, à moins d’avoir oublié sa jeunesse, nous invite au conte, au rêve…ou au délire.

Mais fort de ses choix, le metteur en scène qui a coupé le propos en deux parties distinctes que le décor minimaliste renforce : le gris et le blanc de la scène un peu mièvre du mariage des deux jeunes gens et le noir menaçant du monde souterrain à partir de laquelle les voix sont sonorisées et donnent l’impression d’une profondeur angoissante.

Il y a donc un glissement – comme si l’on changeait brusquement de « logiciel » – entre le début qui reprend globalement la version écrite de la partition puis, au moment du passage aux enfers, un retour vers le livret de Striggio qui aboutit à ce qu’Orphée soit tué par le chœur des nymphes et des bergers. Tué mais pas de n’importe quelle manière puisqu’il est décapité et sa tête sortant du cercle des Bacchantes vient être déposée dans la boite qui se trouve être restée devant le trou du souffleur. Cette fin fait directement penser à la pratique mafieuse de la vengeance qui consistait à faire parvenir la tête du traître à sa famille dans un carton fermé.  

Est-ce à dire qu’Orféo en transgressant l’ordre de Pluton -ne pas regarder Eurydice – devait être puni non pas tant de la transgression de l’ordre mais de n’avoir pas su ou pu contenir le désir qui était le sien ? 

Récital de Bruno de Sà

L’Ordenskirche St Georgen, dans les faubourgs de Bayreuth, est une église baroque comme il en existe vraiment beaucoup dans ce « lander » allemand : la Bavière. Elle n’a rien de particulièrement et artistiquement remarquable mais il faut dire que les nombreuses chandelles qui, posées à mi-hauteur sur les lustres dorés, illuminaient la salle de cette lumière chaude et d’un doux brillant qui sied à ce genre de manifestation. Des lanternes posées à terre éclairaient les allées. Nous étions presque, n’était l’habillement, au 18ème siècle! 

Festival Baroque de Bayreuth 2023
Bruno de Sà et l’orchestre Nuovo Barroco jouant à l’église St Georgen de Bayreuth. Septembre 2023

Une foule nombreuse se pressait au dehors devant l’imposante porte de l’église pour, dans le calme, la bonne humeur et un rien de distinction décontractée, pénétrer dans le saint des saints…Goergen.

Près de l’autel sur une estrade, l’orchestre Nuovo Barroco dirigé par Dimitris Karantsakas, un habitué de ce répertoire qui intervient durant le concert pour des pièces instrumentales de Scarlatti, Durante Traetta et Hasse interprétées avec une belle énergie qui convient assez bien au répertoire que le sopraniste va proposer à un public qui, s’il connait le disque publié en 2022[13], est, probablement, conquis d’avance 

Bruno de Sà n’est pas un inconnu dans les terres wagnériennes puisqu’il jouait et chantait dans les deux premières éditions du Festival Baroque de Bayreuth. Cet artiste brésilien figurait dans la distribution de Carlo il Calvo de Nicola Porpora puis, dans un rôle plus conséquent, dans l’Alessandro nell’Indie en 2023 de Leonardo Vinci : deux productions mises en scène par Max Emmanuel Cencic, le directeur artistique de cette manifestation.  

Bruno De Sà se définit lui-même comme sopraniste. Précisons ce qu’est un sopraniste. C’est, selon la définition que les spécialistes en donnent, un chanteur -homme – qui a une voix de soprano. C’est à dire la voix dont la tessiture est proche, voire très proche de la soprano féminine.

Pour comprendre ce curieux assemblage, il faut revenir à la bible, précisément le passage où dans l’épitre aux Corinthiens (4-34 pour être précis) il est dit « que les femmes gardent le silence dans les églises ». Cette phrase est considérée par certains historiens comme une des origines de l’expansion du phénomène de la castration en Italie dès le milieu du 16ème siècle. Car cette interdiction empêche les femmes de chanter dans les églises la musique ecclésiastique. Il faut donc les remplacer pour les parties vocales par autre chose : ce seront les castrats. Mais cette interdiction ne va pas s’arrêter là puisqu’elle se répand au-delà des murs de l’église quand en 1588 le pape Sixte V bannit les femmes de toute représentation scénique et publique aussi bien à l’opéra que dans les oratorios ou les pièces de théâtre. Cela fait de Rome une scène à part différente de toute l’Europe. Et, ce, pendant plus de deux siècles. Donc le public de la ville éternelle va être habitué à voir sur scène des distributions entièrement masculines. A titre d’exemple, Giacinto Fontana dit Farfallino – Petit papillon – deviendra un des interprètes majeurs de Scarlatti, compositeur par lequel Nuovo Barroco ouvre ce concert.

Ce qui va nous permettre de comprendre le sens historique de la démarche de Bruno De Sà. Car pour lui ce qui est le plus important quand il pense à l’opéra : c’est la voix. 

Et sa voix est d’une justesse impressionnante y compris dans les phrases où il doit forcer dans le suraigu. Et, si l’on a pas compris que la voix vient du corps, il suffit de regarder le sopraniste accompagner son chant de mouvements qui semblent se transformer en vocalises souples et légères.

C’est effectivement un feu d’artifice vocal qui se terminera par trois rappels dont le célébrissime Ombra mai fu de Haendel

Flavio Re De’Longobardi de Georg Friedrich Haendel

Flavio, roi des Lombards est un opéra en trois actes de Georg Friedrich Haendel dont le livret a été écrit par Nicola Francisco Haym d’après l’œuvre de Matteo Noris : Flavio Cuniberto.

Il s’est librement inspiré de deux autres œuvres : Le Cid de Pierre Corneille pour le conflit opposant deux conseillers du roi Flavio et Ugone. Mais le librettiste s’inspire également d’un conte médiéval qui raconte l’histoire de la tentative de séduction de Teodata par le roi Flavio alors que la jeune fille aime en secret Vitige, militaire au service du roi : le célèbre trio cher à la comédie.

Friedrich Georg Haendel (1685-1759). 
©Bridgeman Images

La première eut lieu au King’s Theatre de Londres le 18 Avril 1732 où ont été créées la plupart des œuvres de Haendel depuis son installation à Londres. Précisons que le rôle de Guido a été porté par le célèbre castrat Senesino et qu’il est repris, dans la production qui nous occupe, par Max Emmanuel Cencic. L’œuvre tombe malheureusement dans l’oubli pour être exhumée le 2 Juillet 1967 à Göttingen puis en 1969 en Angleterre, non loin d’Oxford.

On pressent bien en lisant les sources d’inspiration du librettiste pour cette œuvre qu’elle  peut osciller entre le drame de l’opéra séria – les intrigues politiques et les rivalités aboutissant à la nomination au poste important de Roi d’Angleterre charge que le roi, Flavio, ne veut pas exercer – et, dans le même mouvement, l’efflorescence de diverses intrigues amoureuses – vraies ou feintes – qui peuvent rappeler l’opérette et le théâtre de boulevard que certains regardent d’un air méprisant alors qu’ils sont souvent d’une construction théâtrale digne de l’horlogerie suisse! Ainsi le roi, au pouvoir absolu, est cependant un roi d’opérette plus intéressé par les femmes qui tournent autour de lui pour le séduire et en tirer des bénéfices personnels conséquents que par la chose publique et les affaires de l’état qui l’ennuient profondément.

C’est précisément cette dimension du divertissement que choisi Max Emmanuel Cencic pour sa mise en scène. Grâce à un magnifique dispositif scénique de décors modulables et déplaçables à vue se ménagent des portes visibles ou plus discrètes qui claquent ou favorisent la dérobade. Ce décor se plie et se déplie, bouge, se transforme : il devient palais ou petite folie pour abriter les amours illicites. L’originalité vient de ce qu’il est manipulé par les comédiens eux-mêmes aidés par des figurants costumés qui participent eux aussi à l’action en déployant silencieusement une gestuelle, des expressions et mimiques qui marquent leur implication dans l’action qu’à tout moment ils soulignent et renforcent. Le tout s’inspirant à la fois des fastes de Versailles – le coucher du roi, le bain du roi, les amours du roi – mais ménage à tous moments des portes qui claquent ou qui favorisent la dérobade. Le penchant vers la comédie et le vaudeville[14] est alors patent. Si les costumes et les accessoires évoquent le Grand Siècle et expressément Versailles, le jeu des acteurs/chanteurs s’infléchit plus vers l’opéra-bouffa puisque, par exemple, lorsque Guido menace Lotario, cette seule invective suffit à « tuer » le pauvre homme qui succombe à un arrêt cardiaque sans avoir eu recours à l’épée. 

Le but est donc clairement le divertissement qui n’exclue nullement les oppositions, les affrontements et surtout les chausse-trappes. Il fait, sans les appuyer, des clins d’œil au public qui peut suivre les alliances, les oppositions, les rivalités et les haines.

La distribution réunie par M.E.Cencic est accompagnée par le Concerto Köln placé sous la direction de Benjamin Bayl . Sa direction vive et rythmée renforce le côté « buffa » ou « vaudeville » que suivent avec entrain les chanteurs.

Les rôles de femmes – l’Émilia de Julia Lezhneva ou la Teodata de Monika Jâgerovà – allient à la fois le charme, une diction lumineuse et l’art de la comédie pour à la fois tromper ou éconduire celui qui doit l’être ou exprimer un vrai désespoir lorsque l’aimé s’éloigne ou feint de prendre ses distances.

 le Festival Baroque de Bayreuth; Flavio, re de’Longobardi de G.F Haendel.
Flavio, roi des Lombards. Rémy Bres-Feuillet dans le rôle de Flavio. Mise en scène M.E.Cencic. Bayreuth, septembre 2023.

Les hommes – Guido, Lotario, Ugone et Vitige – ne sont pas en reste de caricature ni d’outrance des stéréotypes masculins toujours prêts à l’affrontement viril et à la déclamation guerrière. Mais la palme revient certainement au rôle-titre, Flavio, auquel Rémy Bres-Feuillet donne une touche particulière à la fois de distanciation et de goujaterie à bien des égards désopilantes – notamment la scène du bain royal – avec un rien d’une ironie proche de la farce. 

Car ici, la comédie et la tragédie s’entremêlent pour le plus grand plaisir des spectateurs.  


[1] Précisons que cet ordre impératif sera transgressé lors de la prochaine édition du Festival – en 2024 – par les dirigeants de cette manifestation – en tête de laquelle Katarina Wagner, arrière-petite-fille du Maître de Bayreuth, entre autres- et l’annonce de la programmation de Rienzi a déjà été rendue publique.

[2] Par l’Opéra du Rhin à Strasbourg en 2016 mise en scène de Marianne Clément.

[3] On peut voir au Musée du Théâtre des Margraves un film extrêmement documenté qui retrace le travail soigné mais de longue haleine de ce chantier de restauration. Ils mettent en valeur le travail des artisans et des restaurateurs.

[4] On peut, pour plus de détails, consulter le site : www.bayreuth-wilhelmine.de

[5] Le sopraniste est un chanteur adulte de sexe masculin dont la tessiture est proche de celle de la soprano féminine.

[6] Il faut se reporter au travail de mise en scène « d’époque » de Benjamin Lazare notamment pour Il Sant’ Alessio qui date de 2007 dirigé musicalement par William Christie.

[7] Au Théâtre des Margraves de Bayreuth.

[8] Je cite la biographie de Markellos Chryssicos publiée sur le site de la Philharmonie de Paris.

[9] Rappelons que les Bacchantes

[10] Interview en date du 06.04.2023 : https://www.olyrix.com/articles/actu-des-operas/6686/les-nouvelles-dimensions-du-bayreuth-baroque-opera-festival-pour-2023-max-emanuel-cencic-directeur-artistique-entretien-interview-article-annonce-presentation-programme-allemagne-musique-lyrique-concert-recital-culture-bruno-de-sa-rolando-villazon

[11] Le regard du sourd présenté au festival du Théâtre universitaire de Nancy en 1971.  Son directeur d’alors était Jack Lang qui enseignait le droit à l’Université de Nancy. Bob Wilson en était à la fois l’auteur et le metteur en scène. On peut éventuellement se reporter aux documents sauvegardés par l’INA avec le lien : https://fresques.ina.fr/en-scenes/fiche-media/Scenes00415/le-regard-du-sourd-de-robert-wilson.html

[12] Parmi lesquels de jeunes metteurs en scène au début de leur carrière dont Patrice Chéreau entre autres.

[13] Bruno de Sà  Roma travestita  Érato publié en 2022 On peut se reporter à l’émission consacrée à ce disque sur RCF Jérico-Moselle Site RCF : https://www.rcf.fr/culture/rats-dopera qui permettra de découvrir un autre aspect du talent de Bruno de Sa dans le choix des aires chnatés.

[14] Rappelons pour mémoire que la vaudeville à l’origine n’était pas « que »  parlé mais comportait de nombreux passages chantés, souvent populaires et connus qui en chantaient les spectateurs un peu sur le modèle de ce que fît E.Schikaneder dans son théâtre Auf der Wien pour La flûte enchantée de  W.A.Mozart.


Illustration de l’entête: caricature de James Gillray (1756-1815)

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