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Le Yémen en 1995, carnet d’expédition avec Théodore Monod

par Pierre de Restigné

Nous connaissons et respectons tous Théodore Monod, cet immense savant, cet amoureux du Sahara en particulier et des déserts en général.

Nous le savions d’une immense culture, toujours l’esprit en alerte et, comme d’autres grands explorateurs comme Haroun Tazieff ou Paul-Emile Victor, un des premiers lanceurs d’alerte concernant le dérèglement climatique que nous subissons. Au cours de sa longue vie, il a vu physiquement ces lieux, qui lui étaient si chers, évoluer, changer et pas toujours de façon positive.

Au soir de sa vie, à 93 ans, il part en expédition dans les hauts plateaux du Yémen avec son ami, son disciple comme il se présente, José-Marie Bel, ethnologue, architecte, grand connaisseur du Yémen, l’homme qui a restauré la maison de Rimbaud à Aden. Ce dernier a tenu au jour le jour un carnet de bord sur cette expédition qui va durer 18 jours sous un soleil et une chaleur accablante.

Un premier constat, José-Marie Bel fait transpirer son amour pour le Yémen et les personnes qui y vivent, peu importe leur ethnie, leur statut social, en quelques mots il nous décrit des personnes dignes, fières, uniques, d’une grande humanité. Et je ne vous parle pas des paysages. Il nous les fait voir sans peine ainsi que les villages, les bâtiments, les ruines qu’ils visitent lors de leur périple. Nous sommes avec lui marchant sous le soleil, essayant d’éviter toutes les embûches qui pourraient provoquer des chutes mortelles.

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Nous apprenons à herboriser avec lui et Théodore Monod. C’est lors de cette expédition que ce dernier fera son vingt millième prélèvement ! Vous apprendrez à conserver chaque petit morceau de plante dans du papier journal (Libération, même s’il a beaucoup trop de photos est excellent pour cette opération). Vous apprendrez tout sur l’arbre à encens et sa quasi disparition au Yémen. Très accessoirement, vous apprendrez que pour conserver un plan, il faut les mettre dans une chaussure pleine d’eau !

Mais surtout, il y à Théodore Monod. Un homme âgé, ne pouvant pas toujours aller dans des endroits dangereux. Un homme parfois impatient, voire intransigeant ou « boudeur ». Mais surtout et avant tout un homme avec l’esprit toujours en alerte, bien que victime d’une grande cécité, il était capable de remarquer le moindre détail au milieu de l’étendue désertique ou sur la plus minuscule plante. Un homme qui jeûne tous les vendredis, qui mange et boit peu, se couche tôt (vers 19 heures), et qui adore dormir. Mais il est toujours disponible pour partager son immense savoir, le transmettre et ce quelque soit son public, avec, indéniablement, une grande préférence pour les jeunes et les autochtones plus que pour les notables et autres officiels. Il se prête à toutes les cérémonies officielles mais ne les recherche pas. Il y a des moments de grandes complicités entre lui et l’auteur, des pages pleines d’émotion comme quand José-Marie Bel pense que Théodore Monod risque de mourir.

C’est un portrait « vivant », d’un homme en action que nous livre là l’auteur, loin du style parfois « froid », voire avec trop de distance de n’importe quelle biographie (et des biographies il en a eues pour Théodore Monod).

Tout comme l’auteur, nous ne pouvons que regretter que l’expédition prévue dans l’extraordinaire île de Socotra ait du être annulée à cause des problème de santé de Théodore Monod, nous osons imaginer la joie, le plaisir qu’il aurait pris et que, nous n’en doutons pas, aurait su nous restituer José-Marie Bel.

Ce beau témoignage est suivi d’annexes sur les dernières années de Théodore Monod, mais aussi de quelques extraits d’interviews qu’il a donnés. Il y a des passages d’une très grande beauté comme son rapport avec la mort et surtout avec la religion, lui le fils de pasteur, le père d’un pasteur, lui qui jeûne le vendredi (52 fois par ans donc plus que le ramadan comme il a la coquetterie de préciser) car c’est le jour de la Passion. En quelque sorte, la première partie est l’homme, Théodore Monod, en action, la seconde, l’homme en réflexion. Et se sont ces deux aspects qui rendent ce livre original pour ne pas dire précieux pour mieux comprendre l’importance qu’a eu Théodore Monod sur tout ce XXème siècle qu’il a parcouru.

Il est certain qu’après avoir lu Au Yémen avec Théodore Monod, vous ne rêverez que d’aller au Yémen pour découvrir ce magnifique pays (au pire allez sur l’île de Socotra, dépaysement assuré et unique au monde) avec, pourquoi pas un livre de Théodore Monod.

Au Yémen avec Théodore Monod
José-Marie Bel

éditions Gingkgo. 20€

Illustration de l’entête: photo de Théodore Monod. Source: Transboréal

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