Accueil Livres, Arts, ScènesLivres Les coquelicots, beau roman de Nedjma sur l’hypocrisie fondamentaliste en Afrique du Nord et la sexualité

Les coquelicots, beau roman de Nedjma sur l’hypocrisie fondamentaliste en Afrique du Nord et la sexualité

par Émile Cougut

Une jeune femme algérienne, Zahra, de la moyenne bourgeoisie, se marie et suit son mari en Tunisie. Là, il finit par partir du jour au lendemain, la laissant sans ressources. Elle finit par se prostituer, fait de multiples rencontres dont une qui lui permet d’avoir une vie de luxe. Par amour, elle part à la recherche de l’aimé en Patagonie. Malgré les retrouvailles, elle finit par repartir en Tunisie.

Voila en quelques lignes résumé ce roman. Il est basé sur deux grands piliers : le radicalisme religieux et la sexualité dans le Maghreb.

Zahra, adolescente, finit par porter des vêtements religieux totalement couvrants, au grand désespoir de ses parents, car elle s’est aperçu que les garçons ne la draguaient (très lourdement) plus, voire faisaient montre de respect vis-à-vis d’elle. Elle n’avait strictement aucune démarche religieuse, non elle ne faisait que se protéger des agressions extérieures : elle s’était rendue compte que les apparences sont beaucoup plus importantes que la réalité, que la vérité. Les « autres » ne la jugeaient, ne l’appréciaient non en tant que Zahra, mais comme une femme pieuse (qu’elle n’était pas pour autant). C’est d’ailleurs grâce, ou plutôt à cause de sa façon de se vêtir qu’elle est approchée par les fondamentalistes, voire les extrémistes religieux. C’est dans cette mouvance qu’elle rencontre Wael, avec qui elle se marie (religieusement) et part en Tunisie. Sa fréquentation des milieux rigoristes et extrémistes nous vaut de belles pages dénonçant leur hypocrisie. Elle se sait et se revendique hypocrite et donc se trouve plonger dans un milieu réunissant des hypocrites. Elle nous démontre les manipulations à partir du Coran (sourates tronquées, sorties de leur contexte, voire même inventées !), leur engagement avant tout pour en tirer des avantages, etc.

Pour eux ces fondamentalistes, ce qui importe se sont les apparences, soit une lecture littérale du texte et sûrement pas la prise en compte de la complexité de la nature humaine. Un exemple, en tant que prostituée, l’un de ses clients procède, à chaque rendez-vous, à leur mariage, puis, l’acte achevé, à leur divorce : il a eu donc une relation sexuelle avec son épouse, donc il est un bon musulman ! Un de mes amis d’origine marocaine m’a fait remarquer que dans son pays, les jeunes hommes les plus brillants font des études scientifiques, les autres, des études théologiques dans des écoles de second ordre et non dans des universités prestigieuses, ce qui explique en grande partie la méconnaissance, de fait, des subtilités du Coran et une vraie faiblesse au niveau théologique

Olécio partenaire de Wukali

Un non musulman qui aurait écrit cela, serait tout de suite traité de raciste, de faire montre de supériorité, voire même d’être néo-colonialiste ! Mais voilà Nedjma, l’autrice de ce roman, est une femme, musulmane, et son message en est d’autant plus fort et percutant. Ne serait-ce que pour cette démonstration brillante de l’hypocrisie des extrémistes musulmans (et l’on pourrait certainement tenir les mêmes propos sur les extrémistes de toutes les autres religions), c’est pour cette raison même que l’on se doit de lire le roman de Nedjma, femme de talent et de courage !

Le second pilier c’est la sexualité : la pauvreté sexuelle des hommes en ces pays du sud, l’hypocrisie entourant la sexualité. On est loin, très très loin de la libération sexuelle, du plaisir choisi et assumé. Et je ne parle pas de l’homosexualité ! Wael se marie pour les apparences, le moins que l’on puisse dire ce n’est pas le corps de sa femme qui l’attire et ce n’est pas avec lui que Zahra atteint l’orgasme !

De fait ce beau roman est l’histoire d’une femme radieuse, libre dans sa tête et dans son corps dans un univers où seules les apparences comptent et détruisent, broient les êtres humains. A nous de réfléchir si dans notre beau pays, les apparences ne sont pas elles aussi et sous d’autres formes, aussi présentes…?

Les coquelicots
Nedjma
éditions Plon. 22€

Illustration de l’entête: photo volontairement floutée de Nedjma pour des raisons hélas évidentes de sécurité

Vous souhaitez réagir à cette critique
Peut-être même nous proposer des textes et d’écrire dans WUKALI
Vous voudriez nous faire connaître votre actualité
N’hésitez pas, contactez-nous !

Ces articles peuvent aussi vous intéresser