Voilà un bon pamphlet écrit par un historien, Dimitri Casali, spécialiste de Napoléon. Il dénonce avec force et vigueur les excès de ce mouvement venu des États-Unis d’Amérique, la cancel culture comme on la nomme et que l’on a traduit en français par culture de l’effacement. La partie la plus visible est la dégradation voire le déboulonnage de statues représentant des personnages marquants de l’histoire.
Il y aurait beaucoup de choses à dire sur les auteurs. Ils sont très minoritaires, c’est un fait, et, dans la bonne ligne de la pensée léniniste, ils se veulent, ils se décrètent en quelque sorte les porteurs de vérité que la masse abrutie par une éducation « de classe » (essentiellement la culture dite « blanche »), subit et qu’il faut donc éduquer. C’est exactement le même raisonnement qu’emploie bien des activistes dans le domaine de l’écologie ou du religieux (sauf que la « culture dominante n’est plus une culture raciale mais économique ou religieuse). Même démarche, seule la violence employée change. Car il y a violence parfois physique, tout le temps, morale.
La partie la plus visible est bien sûr le déboulonnage des statues, mais pas que comme l’on se plait à dire aujourd’hui ! En effet, dans certains endroits aux USA, on ne peut plus enseigner l’évolutionnisme de Darwin au nom de la religion, et que dire des livres retirés des bibliothèques, voire brûlés, les cendres d’Hitler doivent bien rigoler (excusez je vous prie cette remarque de mauvais goût !). Tenez-vous bien, même des albums de Lucky Luke sont partis en fumée ! On revient au bon vieux temps de la censure (et de l’Index) contre laquelle nos ancêtres se sont battus (et certains en sont morts). Une régression énorme. Quand on voit ce qui se passe un peu partout dans le monde, on ne peut qu’être effrayé et se dire, qu’hélas, Orwell avec 1984, n’a pas écrit un roman de fiction, mais une vraie prophétie.
Ce qui est certain, c’est que ce mouvement de déboulonnage veut imposer une vision binaire de la société : d’un côté les dominants qui étouffent les dominés, c’est à dire les Blancs qui sont, par principe, quasi génétiquement, les héritiers des erreurs de leurs ancêtres, et les Noirs qui eux sont victimes de faits s’étant produit dans le passé. Un monde binaire. Que penser des métis qui se trouvent au centre de ces deux « cultures » !
Le problème, l’énorme problème, c’est que l’histoire est bien plus complexe et ne fut jamais binaire. Soit, elle a été écrite par les vainqueurs, mais le travail des historiens est justement de démêler le vrai du faux dans tous les « romans nationaux » et de montrer que nos ancêtres étaient des hommes et que même ceux qui ont marqué l’histoire avait des personnalités nettement plus complexes que les caricatures qu’en font les adeptes de la « cancel culture ».
À titre d’exemple : le général Lee : soit, il a été le chef suprême des armées confédérées. Mais il avait une position nettement plus critique sur l’esclavage qu’un certain Lincoln et a refusé d’être le général en chef des armées du Nord seulement par fidélité à son état natal de Virginie.
Bon, chez nous on reproche à Colbert le Code noir (en passant sous silence tout le reste de son œuvre). Soit, il faut le dire, tout en précisant qu’il était mort depuis deux ans quand il fut promulgué par Louis XIV et que pour l’époque c’était le texte dans le monde entier le plus protecteur pour les esclaves.
Mais les tenants de la culture de l’effacement n’en ont cure. Ils veulent réécrire l’histoire avec la culture et les valeurs de nos jours et non point avec celle de l’époque incriminée. Et oui il y a deux millénaires nos ancêtres n’avaient pas le même corpus culturel que le nôtre. Aujourd’hui l’immense majorité des occidentaux sont consubstantiellement contre l’esclavage, l’une des pires horreurs que l’on puisse imaginer, mais avant rares en effet étaient ceux qui ne trouvaient pas cela normal (pour des raisons économiques, religieuses, etc.). C’est un constat, mais en quoi les descendants qui ne partagent pas cette idée en sont ils les responsables ? Peu importe, leur répond-on, nous sommes les descendants des victimes, donc nous sommes des victimes (et bien sûr nous demandons d’être dédommagés). Comme il est impossible de dédommager les crimes du passé, ce genre de démarche est vouée à perdurer. Et donc, tout ce qui n’épouse pas la culture d’aujourd’hui est condamnable et par voie de conséquence, il faut remettre en cause l’œuvre de Voltaire, de Platon, d’Aristote, de la Bible, de Lincoln, de Schoelcher (qui, soulignons-le, a fait abolir définitivement l’esclavage mais qui avait le tort d’être blanc), de Hugo et même de Churchill et du général de Gaulle !
Mais, en plus, les tenants de la culture de l’effacement ont une démarche fortement sélective. Ainsi, au niveau de l’esclavage, on ne condamne pas du tout l’esclavage en Afrique entre les ethnies, la participation active de certains rois locaux et de marchands indigènes dans tous les trafics aussi bien le transatlantique ou triangulaire ( Afrique-Europe-Amérique,) que vers le Moyen Orient qui firent bien plus de victimes que la traite transatlantique ( et qui … perdure toujours aujourd’hui)! Il faut dire que, dans notre beau pays, ils sont bien aidés par la loi Taubira qui ne condamne que la traite transatlantique en mettant un voile épais sur toutes les autres traites et toutes les autres sortes peuples ayant été mis en esclavage (plus d’un million et demi d’Occidentaux en mille ans dans les pays du Maghreb!). Et surtout ne parlons pas du ridicule de cette loi qui fait partir la traite au XVème siècle alors qu’elle ne commence qu’au XVIème siècle ! On peut noter par ailleurs que les pourfendeurs de l’histoire de l’Occident ne manifestent pas, n’attentent pas des actions juridiques, dans les pays qui pratiquent toujours l’esclavage comme la Libye ou l’Arabie Saoudite par exemple qui n’a toujours pas ratifié la convention contre l’esclavage prise sous l’égide de l’ONU. Courageux mais pas téméraires les gars…!
Quoiqu’il en soit, ce que dénonce, à juste titre, l’auteur ce sont les pressions morales, voire physiques dans les établissements universitaires. Si par malheur, ces « déboulonneurs » réussissaient, quel appauvrissement intellectuel (entre autres choses) pour les générations futures !
Oui l’esclavage est ignoble, oui il faut défendre et se battre pour l’égalité des sexes, oui tout ce qui est inégalitaire est condamnable. Mais ne confondons pas égalité avec égalitarisme et refusons de croire que nos sociétés sont régies par des conflits entre groupes irréconciliables. Non, les relations sociales ne sont pas binaires et l’histoire elle, l’est encore moins.
Dimitri Casali signe dans son livre un pamphlet clair, percutant. C’est un pamphlet et le lecteur est en droit de ne pas partager toutes ses analyses ou ses conclusions qui fleurent parfois bon la nostalgie d’un passé fantasmé. Mais c’est le genre qui veut ça. Ce qui est certain c’est qu’il nous ouvre l’esprit et nous délivre bien des arguments pour répliquer à ceux des wokistes.
«Wokiste», vous avez dit wokiste cher cousin… ?
Ces statues que l’on abat !
Dimitri Casali
éditions Plon. 19€
Illustration de l’entête: piédestale de la statuę de Colbert devant l’Assemblée Nationale à Paris, souillé et vandalisé .
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