La génération des enfants née en 1950 et les générations suivantes n’ont pas vécu la Seconde Guerre mondiale. Et pourtant, cette guerre les a marqués. Racontée par leurs parents, elle a fait l’objet de multiples films, romans et analyses, toutes plus ou moins complètes. Elles se basaient toujours sur des faits réels qui ont eu une incidence majeure sur nos vies d’Européens.
Il manquait une vision globale et donc mondiale de cette guerre qui a fait plus de soixante millions de morts et qui a, avec la Shoah, été d’une barbarie inimaginable L’humanité n’avait jamais atteint ni même conçu une telle barbarie. Comme l’a dit Elie Wiesel « à Auschwitz, dans les cendres, s’éteignirent les promesses de l’homme ».
Cette citation, rapportée dans l’« Histoire totale de la seconde guerre mondiale » pose la difficile et douloureuse question de savoir pourquoi et comment des hommes ont pu infliger une telle horreur à d’autres hommes. La réponse n’est sans doute pas univoque mais pour essayer de comprendre, encore faut-il savoir de quoi il s’agit et comment cette guerre s’est déroulée. Et c’est ce qu’Olivier Wieviorka, auteur de cette « Histoire totale de la seconde guerre mondiale », né en 1960, historien, professeur à l’Ecole Normale Supérieur de Paris-Saclay et membre de l’institut Universitaire de France s’est attaché à faire avec un regard aussi distant et objectif que possible
On apprend, à la lecture de cette Histoire, l’ensemble des faits de guerre mais aussi ce qui a amené à une puis à plusieurs guerres dans le monde entier. Le concept de guerre mondiale est discuté et finalement retenu, les pays neutres y ayant joué un rôle et les autres, non belligérants y étant tout autant impliqués par la fourniture de matériel ou de produits alimentaires destinés aux populations et aux armées en guerre.
On apprend aussi à corriger certaines erreurs ou certains faits qui semblaient évidents. La défaite de l’armée française en 1940 n’est pas due à un manque de combattivité des troupes mais à des erreurs stratégiques majeures. La traversée des Ardennes, réputée longue et difficile pour une armée s’est révélée d’une facilité déconcertante pour la Wehrmacht avec pour conséquence la prise à revers de l’armée française qui était montée bien impudemment en Belgique et aux Pays-Bas. Un autre exemple d’analyse : pour l’auteur, la défaite de l’Allemagne est autant la conséquence du débarquement en Normandie que de l’opération Bagration menée par les Russes pour chasser l’envahisseur. L’une sans l’autre n’aurait pas permis de vaincre. D’autres historiens contesteront peut-être cette vision des choses, il n’en demeure pas moins que la victoire a été acquise par la conjonction d’une attaque par l’Ouest et d’une autre par l’Est. Des erreurs stratégiques ont été commises par tous les belligérants comme Churchill qui s’obstinait à attaquer par la Méditerranée alors que les Américains et Eisenhower en premier lieu, avaient compris que ce n’était que par une attaque sur le flanc ouest de l’Europe que la victoire arriverait. Des généraux ne sont pas épargnés par une sévère critique : Montgomery, surnommé Monty, soldat à la réputation flatteuse, se révèle avoir un caractère impossible et à l’origine d’un retard dans l’écrasement de l’Allemagne.
Olivier Wieviorka analyse non seulement la succession des différents évènements mais aussi les motivations des belligérants. Il ressort que le nationalisme, que ce soit du côté russe comme du côté allemand a été une des causes du déclenchement et du développement des hostilités. En ce qui concerne le côté allemand, c’est une évidence puisqu’il s’agissait d’un national-socialisme. En ce qui concerne les Russes, les différents témoignages des combattants font penser que la défense de la mère-patrie était bien plus importante que la défense du communisme, Staline étant déjà redouté et honni par une politique de procès et de répressions tous azimuts. Les Allemands ont sous-estimé systématiquement tous leurs adversaires, aveuglés par l’idéologie nazie qui les avait persuadés que tous étaient des sous-hommes incapables de résister ni de se battre.
La Shoah, pour Olivier Wieviorka, n’avait pas été programmée avant la guerre mais c’est la conjonction de plusieurs facteurs qui, au cours de la guerre, ont conduit à la mise en place d’usines de morts. L’antisémitisme était bel et bien présent dans l’idéologie nazie. C’est l’échec des Allemand en Russie qui a obligé les hiérarques nazis à tirer un trait sur leur idée d’éliminer par la faim les populations de l’Europe de l’Est y compris la partie adjacente de la Russie, pour y installer la population allemande. C’est qui correspond au fameux espace vital. Finis les assassinats de manière désordonnées et sporadiques, il fallait passer à un mode industriel. Ce qui a été tragiquement fait.
L’économie, la puissance industrielle et l’intendance ont joué un rôle majeur. Staline a réussi avec des moyens limités et un pays en retard à produire des chars, des avions et du matériel pour les emmener sur le front. Les Etats-Unis ont produit un énorme effort de guerre en qualité et en quantité. Ils ont su transporter chars, avions et hommes sur un théâtre d’opération situé à plusieurs milliers de kilomètres. Face à ces deux machines de guerre, l’Allemagne ne pouvait pas gagner la guerre. Et ce n’est pas son allié italien qui pouvait l’aider en quoi que ce soit, bien au contraire.
Si le conflit en Europe est largement documenté, il en va de même pour le conflit en Asie. Les Japonais qui avaient colonisé une bonne partie du continent asiatique ont été défaits face à la puissance militaire américaine. Les mouvements des différentes armées et les grandes batailles sont moins connus en Europe. La guerre fut tout aussi cruelle et dure qu’en Europe mais il n’y a pas eu de volonté d’anéantir les Juifs ni toute autre population qui n’avait que le simple tort d’exister.
Richement documentée et parfois même rentrant dans des détails de stratégie et de tactique militaire qui ne passionneront que les spécialistes, cette Histoire est effectivement totale et constitue une somme qui permet de comprendre ce conflit qui a forgé toute la politique du siècle dernier et même celle d’aujourd’hui. La Seconde Guerre mondiale a fait ce de nous ce que nous sommes, ce que nous pensons et ce que nous espérons. Olivier Wieviorka conclut en disant que le goulag, le génocide du Rwanda, la guerre en ex-Yougoslavie et en Ukraine montrent et démontrent que le spectre de la guerre n’est pas bien loin et que tout, y compris des massacres de masse, pourrait recommencer. Nous ne sommes pas à l’abri, tout le monde le sait et espère ne jamais revoir ça. Une dernière citation de Primo Levi, à propos de la haine nazie, justifie tout ce travail de l’historien « Si la comprendre est impossible, la connaître est nécessaire ». Malgré tout, malgré cette Seconde Guerre mondiale, les promesses de l’homme telles que les comprend Elie Wiesel doivent rester vivantes et c’est de notre responsabilité de veiller sur elles.
Histoire totale de la Seconde Guerre mondiale
Olivier Wieviorka
éditions Perrin/ Ministère des Armées. 29 euros
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