Accueil Livres, Arts, ScènesHistoire Chang et Eng Bunker, frères siamois au Royaume de Sam

Chang et Eng Bunker, frères siamois au Royaume de Sam

par Émile Cougut

Connaissez vous les frères Chang et Eng Bunker ? La probabilité est faible, et pourtant ! Ce sont eux qui sont à l’origine de l’adjectif siamois, non en tant qu’habitants du royaume de Siam (d’où ils étaient natifs) non, mais pour désigner deux jumeaux reliés entre eux. Ils ont existé, vécu, furent célèbres en leurs temps. C’est donc leur histoire que raconte Laurent Bénégui dans un roman. Ce n’est donc pas d’une docte étude historique, d’une biographie des frères Bunker dont je fus chargé de faire la récession critique, mais bien d’un roman édité chez Julliard, d’une fiction trouvant ses origines dans un fait historique, lui, bien réel.

Les frères sont nés en 1811, dans un foyer de pauvres pêcheurs du royaume de Siam. Ils ont plusieurs sœurs et frères qui eux n’ont aucune « anomalie physique ». A leur naissance ils étaient reliés au niveau du sternum et du foie, plus précisément au niveau de l’appendice xiphoïde. Grâce aux soins de leur mère, ils survivent mais Chang euT toute sa vie une santé délicate et fut victime d’incessants maux de dos (il était plus petit que son frère). Pour autant, ils font l’objet de craintes de part la population locale, jusqu’au roi qui ordonne leur mise à mort, sentence qui ne sera pas exécutée, puis annulée par son successeur. Ce dernier les envoie même au Vietnam comme membre d’une ambassade. Ils eurent une enfance « normale » au regard de la vie de pauvres pêcheurs dans le royaume de Siam au début du XIXème siècle. Ils apprirent à ramer, à courir, nager, travailler avec une coordination parfaite.

Un négociant écossais Robert Hunter les repéra et avec son compère, un capitaine de la marine marchande, Abel Coffin les incitèrent à faire une tournée d’exhibition en Amérique et en Europe ( curieuse et cocasse amphibologie de leurs patronymes anglais ! ). Ils ne purent aller en France car les autorités craignaient que leur vue ne troublât alors les femmes enceintes qui accoucheraient de monstres. De fait, totalement naïfs, les deux frères seront totalement exploités par les deux hommes qui font fortune sans que les frères et leur mère restés au Siam, malgré leurs promesses, ne touchassent de quelconque royalties. A chaque représentation, ils doivent montrer au corps médical qu’il n’y a aucun trucage, qu’ils sont bien reliés entre eux de façon « naturelle ».

A 21 ans, considérant que leur contrat venait d’expirer, aidé par l’ancien employé de Coffin, ils continuèrent leur exhibitions et firent rapidement fortune. Ils allèrent même à Paris (l’interdiction ayant été levée) où ils rencontrèrent Isidore Geoffroy de Saint Hilaire, le théoricien de la tératologie,(la science des anomalies de l’organisation anatomique), congénitale et héréditaire. Il est l’un des tous premiers à les considérer comme des êtres humains et non comme des anomalies, des « bêtes de foire ».

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Ils finissent par acheter une propriété près de la ville de Mount Airy en Caroline du Nord. Ils acquièrent la nationalité américaine, se convertissent au christianisme, et, en 1843, après avoir surmonté bien des préjugés, ils épousent les sœurs Suzanne (Eng) et Adélaïde Yates. Ils eurent chacun 11 enfants, tous « normaux », réalisant ainsi les prédictions de Geoffroy Saint Hilaire. Mais la cohabitation devenant de plus en plus difficile, ils décidèrent que chaque sœur et sa progéniture habiterait dans une maison séparée, et qu’ils passeraient alternativement trois jours chez l’une et trois jours chez l’autre. Le frère qui n’était pas chez lui ne devant pas critiquer la vie, les décisions du couple qui le recevait.

La Guerre d’indépendance les empêcha de partir au Siam sur les traces de leur passé et, même si leur propriété ne fut pas dévastée les deux aînés revinrent vivants des armées, il n’en demeura pas moins qu’ils furent proches de la ruine. Alors, à plus de 50 ans ils reprirent leurs exhibitions avec Barnum en Europe.

Sur le chemin du retour, Chang fut victime d’un AVC qui le diminua grandement. Aussi, quand il eut une pneumonie en 1873, mourut-il dans son sommeil. Leur médecin, appelé pour, enfin, les séparer, arriva 10 minutes après le décès d’Eng, sûrement mort de peur de la mort. Ils furent enterrés dans un triple cercueil, et, pour que leur dépouille ne soit pas volée, placés sous un tas de charbon dans la cave de la maison d’Adélaïde. Sous la pression du corps médical, les deux veuves acceptèrent une autopsie au niveau du ligament qui les liait. Leur foie (un seul pour les deux) fut conservé et est toujours visible aux États-Unis. Après une nouvelle inhumation dans la cave, ils furent enterrés dans la propriété, puis après sa vente dans le cimetière local où ils reposent toujours.

Toute la vie des frères Bunker fut marqué par leur volonté de passer pour des être normaux. Chacun avait son caractère (Eng, posé, pondéré, cultivé, Chang impulsif, alcoolique). Ils ont montré qu’ils vivaient comme « tout un chacun », travaillaient, avaient des enfants, etc. L’idée de se faire chirurgicalement séparer a souvent été débattue, mais eux n’en voyaient pas l’utilité et surtout la science médicale de l’époque n’aurait pas permis une telle opération sans risque pour la  vie de l’un comme des deux jumeaux.

Ce roman joue sur la curiosité malsaine de tout un chacun face aux « anomalies » qui se rencontrent dans la nature, ce qui entraîne, parfois, des réflexes de rejet, et en vis à vis la volonté des deux frères  de démontrer à leurs contemporains que leur « pathologie » n’affectait en rien leur humanité et leur appartenance à la grande famille des êtres humains.

Les étoiles doubles
Laurent Bénégui

éditions Julliard. 24€

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